Exit donc Donald Trump et sans doute le Bureau Ovale ne gardera pas de lui un souvenir impérissable, car il est de notoriété publique qu’il passait le plus clair de son temps à twitter des messages incendiaires ou injurieux, à réagir à chaud aux programmes de sa chaine de télévision préférée, Fox News, qu’à éplucher ses dossiers, qu’il ne lisait d’ailleurs jamais.
Exit Trump, mais ce fut plus difficile qu’on ne croyait, plus long qu’on ne pouvait penser dans une vieille démocratie.
DIFFICILE !
Ce fut difficile parce qu’on avait affaire à un homme si imprévisible que les 600 sondages réalisés sur ses chances face à son adversaire démocrate se sont révélés inexacts et, d’une certaine manière, sa défaite est d’abord celle des instituts de sondage américains. On croyait que son passif (car il avait un passif, contrairement à Joe Biden qui n’a jamais exercé une fonction présidentielle) était assez lourd pour convaincre la majorité des Américains qu’il n’était pas à sa place à la Maison Blanche et persuader ceux qui avaient voté pour lui en 2016 qu’ils avaient fait un mauvais choix. Comment les citoyens de la première nation du monde (aux plans économique, financier, militaire, scientifique, culturel, sportif) pouvaient-ils accepter de renouveler le mandat d’un président inculte et qui selon un de ses anciens et plus proches conseillers, est vulgaire, raciste, menteur et sans aucun principe moral ?
Comment une nation fondée par des populations éprises de liberté, qui rassemble des hommes et des femmes venus de tous les continents et prend de jour en jour l’allure d’un pays arc en ciel, pourrait-elle tolérer longtemps un président qui la divise, qui appelle à l’intolérance et à la violence, qui méprise une partie de ses concitoyens ? Un président qui, par ses prises de position publiques, est rejeté unanimement dans son pays et hors de son pays, par les intellectuels, le monde de la culture, du loisir et des sports? Comment les Américains peuvent-il accorder le pardon à un président qui, face au plus grand péril sanitaire vécu par l’espèce humaine depuis des siècles, s’est distingué par une gestion calamiteuse de la pandémie, montré le mauvais exemple en bafouant les recommandations des scientifiques et ignoré les mesures d’hygiène les plus élémentaires, au point de conduire son pays à la catastrophe ? Comment pourraient-ils nier que Trump n’a pas fait baisser le chômage comme il s’y était fermement engagé, qu’il n’a pas construit le mur qui était le grand projet de son mandat, qu’il s’est mis à dos ses alliés naturels sans en gagner de nouveaux, qu’il a renié les engagements internationaux signés par ses prédécesseurs, qu’il est calfeutré dans son pays parce que chacune de ses visites officielles à l’étranger déchaine des manifestations de colère et de rejet ?
LONG, TROP LONG !
Pourtant, malgré tous ces handicaps, et alors qu’on pensait que le bon sens allait l’emporter sur l’aveuglement, il a fallu bien du temps, et d’autres artifices, pour venir à bout de Trump. On avait sous-estimé ce fait que ses électeurs ne connaissent pas les palinodies, ils ne voient pas plus loin que sa moumoutte rousse, balayent d’un revers de main tous les reproches faits à leur héros et ils sont même plus nombreux à voter pour lui qu’en 2016 ! On avait cru à tort que les Latinos allaient sanctionner ses propos racistes, mais c’était sans compter les Cubains. On avait oublié que tout le mandat de Trump n’a été qu’une longue campagne électorale au cours de laquelle il a flatté les plus bas instincts de ses militants, eu recours aux mesures les plus barbares, comme la séparation des enfants d’immigrés de leurs familles, ou les plus rétrogrades .On n’avait pas pris au mot les menaces proférées pendant sa campagne, celles de paralyser le système postal ou de ne pas reconnaitre les résultats s’ils lui étaient défavorables. On avait cru, tout bêtement, que lorsqu’un responsable de son rang annonce des fraudes, il prend la peine d’en fournir la preuve. Donald Trump aura ainsi tout essayé et qu’importe si par son obstination à refuser de reconnaitre les faits, il a installé dans son pays un climat qui rappelle le Kenya de Uhuru Kenyatta en 2017 ou la Gambie de Jammeh. Un pays avec un chef de parti qui intervient dans le processus électoral, fait des annonces de résultats non conformes à la loi, un pays où l’on assiste à des bagarres rangées entre militants, où des électeurs armés assiègent les salles de comptage des voix. Pour imposer sa volonté au peuple Trump a multiplié sans convaincre les recours à la justice et mobilisé 600 avocats.
« LE VOTE PAR CORRESPONDANCE M’A TUER ! »
Mais, au bout du compte, les raisons de la chute de la maison Trump (sa fille et son beau-fils, ses fils et un peu moins sa femme) c’est que les Etats-Unis ne sont tout de même pas une république bananière, que ses institutions sont solides et qu’on ne peut pas « réduire les Américains au silence ». Les règles y varient certes d’un Etat fédéral à l’autre, il n’y a pas de commission électorale fédérale, mais la sécurité des dépouillements est garantie par la présence d’un binôme représentatif des courants.
Au sein même du parti républicain des voix représentatives se sont élevées pour marquer les limites de leur soutien à Trump et exiger les preuves de ses accusations. Situation exceptionnelle : les médias (y compris Fox News !) n’ont pas hésité à interrompre ses fausses allégations ou à les corriger. Peut-être parce qu’elle avait senti la fin du feuilleton, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, habituellement plus prompte à sanctionner la Russie, a osé l’accuser « d’abus de pouvoir » ! Trump lui-même a payé le prix de ses tweets compulsifs qui ont favorisé une participation électorale jamais égalée, une mobilisation exceptionnelle des femmes, des jeunes et même de quelques retraités choqués par ses outrances. Il a été victime de l’évolution de la démographie et de la carte électorale et sa défaite en Géorgie marque un tournant. Enfin il pourrait dire : « le vote par correspondance m’a tué », car, comme il fallait le prévoir, la majorité de ceux qui ont utilisé ce mode de vote étaient ceux qui étaient respectueux des mesures de distanciation physique qu’il avait bafouées!
ET MAINTENANT ?
Sa défaite fera des malheureux : les marchands d’armes, les suprémacistes américains, les petits blancs des campagnes… les caricaturistes. Elle réjouira la majorité des Américains, humiliés par ce dirigeant hors normes, et le reste du monde, au Nord comme au Sud, à l’exception d’Israël dont il aura été le VRP auprès des Arabes au patriotisme flageolant. Trump garde néanmoins un pouvoir de nuisance pour quelques semaines encore, et en posant comme postulat qu’il évitera tout de même de mettre le pays à feu et à sang, on peut s’interroger sur la sortie qu’il adoptera. Lui, qui aime le jeu, choisira -t-il une solution à la Nixon, en démissionnant pour se faire amnistier par celui qui deviendra le président intérimaire, pour pouvoir ainsi échapper à la justice ? Lui, qui aime la bravade, pratiquera-t-il la politique de la terre brulée, par des procédés sournois ? Y aura-t-il au contraire une âme charitable pour le ramener à la raison et le convaincre que désormais seule une sortie digne peut le sauver de l’opprobre ?