Tout le monde s’attendait à un remaniement gouvernemental, mais sans doute pas à un chamboulement de l’échiquier politique comme vient de le faire le président Macky Sall. A la faveur du remaniement opéré la semaine dernière, le chef de l’Etat a recomposé la scène politique, en élargissant notamment les bases de sa majorité. L’idée de faire revenir le camp de Idrissa Seck au sein de la majorité ainsi que la fraction du Parti démocratique sénégalais (Pds), conduite par Oumar Sarr, ne paraissait pas très opportune aux yeux de nombreux observateurs. En effet, le président Macky Sall, n’étant pas confronté à un problème de majorité politique après sa réélection l’année dernière, avec un score avoisinant les 60% des suffrages et pouvant compter sur une écrasante majorité parlementaire, n’était sous aucune pression pour avoir à s’associer à de nouvelles forces politiques afin de maintenir la stabilité et la cohésion de son régime. Il s’y ajoute que l’idée de s’ouvrir à l’opposition pourrait faire nourrir certaines appréhensions. D’aucuns ont pu considérer que la situation politique et/ou économique n’était pas si dramatique, au point de chercher à s’allier coûte que coûte avec l’opposition. Surtout que cette opposition ne pourrait pas donner des gages certains de sincérité ou de fidélité, ou même de meilleures compétences.
En revanche, l’entrée au gouvernement de personnalités politiques de l’opposition leur permettrait de se faire une nouvelle santé financière et de pouvoir caser certains de leurs camarades et militants. Alors que l’histoire politique sénégalaise a enseigné que des opposants, invités à la table du Conseil des ministres, ne se gêneraient pas pour quitter le navire une fois que la situation ne les arrangerait plus ou qu’ils seraient dans une logique de disputer des élections sous leur propre bannière. On a déjà vu ce schéma avec Abdoulaye Wade et Abdou Diouf (1993 et 1995). Au demeurant, la taille d’un gouvernement n’étant pas extensible à souhait, les places données à l’opposition le seraient au détriment du camp du président Sall. La recomposition devrait induire de délester le parti présidentiel de postes ministériels, au profit de nouveaux arrivants de l’opposition. En outre, l’entrée de l’opposition au gouvernement pourrait impacter négativement le gouvernement qui pourrait donner l’air d’un partage du gâteau. Le risque étant également de donner l’image d’un pouvoir cherchant toute aide pour se légitimer après juste 18 mois de mandat. Le président Macky Sall a choisi de ne pas écouter ces voix pourtant assez audibles. A l’analyse, son choix d’ouvrir son alliance politique à de grands pans de l’opposition semble gagnant et lui donne davantage les coudées franches.
Le bon sens politique de Macky Sall
L’opération a indubitablement permis au président Sall de montrer la justesse de sa posture et sa légitimité politique reconnues, de bon gré, par de virulents adversaires politiques qui exprimaient des velléités de contester sa réélection, en février 2019 au premier tour du scrutin. Ces personnes seront maintenant bien mal placées pour lui porter la critique. Un artiste français disait : «L’homme politique est devenu un si habile manipulateur qu’il se rapproche de l’illusionniste.» En effet, on ne le dira jamais assez, en politique, la fin justifie les moyens. C’est ce que distillait Machiavel dans son «célébrissime» ouvrage Le Prince, quand il affirme que : «Tout bien considéré, (le prince) trouvera quelque chose qui semble être vice, mais en la suivant, il obtient aise et sécurité». Aussi, «toute vertu ne concourt pas nécessairement à la conservation de l’Etat et à la sauvegarde du trésor public». La philosophie de gouvernance politique de Macky Sall demeure de s’associer avec le plus large spectre de familles politiques. C’est ainsi qu’il a su asseoir des alliances politiques depuis son arrivée au pouvoir en 2012, en enjambant tous les clivages partisans, idéologiques ou personnels. Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng et Djibo Leyti Kâ ont pu travailler dans une même alliance politique. Des Libéraux ont travaillé avec des personnalités socialistes ou des communistes.
La dernière surprise du chef a donc été de se rallier à nouveau avec Idrissa Seck, arrivé deuxième à la dernière élection présidentielle avec plus de 20% des suffrages. La nouvelle recomposition politique qui se dessine élargit considérablement les bases du régime de Macky Sall. On annonce l’arrivée certaine de El Hadji Malick Gakou dans la nouvelle majorité ainsi que de certains autres ténors de la Grande alliance qu’il avait mise sur pied avec d’autres candidats malheureux à l’élection présidentielle, comme Me Madické Niang, Issa Sall ou d’autres leaders comme Cheikh Hadjibou Soumaré ou Abdoulaye Baldé. Le gain politique pour le président Sall est énorme. Il se donne les atouts, avec ces belles prises, pour s’assurer un raz de marée électoral aux prochaines élections locales et législatives. Macky Sall aura, par ce biais, étendu son hégémonie politique dans des circonscriptions qui lui étaient restées hostiles, comme Thiès, Touba, Ziguinchor, Oussouye ou Bignona, ou dans la banlieue de Dakar, où le président a un grand besoin de renforcer son assise politique. On ne voit pas cette alliance se disloquer au bout de quelques petits mois, car les opposants qui ont intégré le pouvoir de Macky Sall se disqualifieraient beaucoup si, sitôt entrés, ils trouvaient des raisons de le quitter.
De toute façon, cette nouvelle alliance si elle débouche, comme on s’y attend, sur un projet électoral commun, devrait permettre au camp du président Sall de s’assurer un triomphe dans la plupart des circonscriptions électorales du pays. L’agrégation des voix potentielles lui donnerait une victoire sans bavure et lui assurerait davantage des conditions plus sereines, jusqu’à la fin du mandat présidentiel en cours. Dans l’absolu, si d’aventure une telle alliance électorale devait se disloquer au lendemain des élections à venir, on peut considérer que le président Macky Sall aurait préalablement fini de placer, sur les listes dans des circonscriptions où son parti serait assez faible pour risquer d’être défait, et à des positions éligibles, des personnalités politiques qui lui resteraient fidèles, quelle que soit l’issue de ce compagnonnage. On a vu des membres de la société civile s’étrangler de rage, considérant que les hommes politiques auraient trahi la Nation au gré de leurs propres intérêts. Cela donne encore du sens à l’enseignement de Platon qui disait que «ceux qui sont trop intelligents pour entrer en politique sont punis en étant gouvernés par ceux qui le sont moins».
La panacée du dialogue pour se sauver d’un mauvais syndrome
Le chef de l’Etat a eu l’initiative d’impulser un dialogue politique et social qu’il avait voulu large et inclusif. Tous les acteurs ayant participé à ce dialogue en étaient arrivés à la conclusion de la nécessité de procéder à une ouverture, encore plus large, de la gouvernance politique. On peut considérer que le président Sall les aura pris au mot. Le contexte politique en Afrique, particulièrement dans la sous-région, donne encore du sens à cette volonté générale au Sénégal d’une ouverture plus large à la classe politique pour trouver des consensus et assurer les conditions d’une paix politique et civile. La recomposition politique qui vient donc d’être opérée consacre cette exception sénégalaise. Une autre raison qui conforterait le président Sall est relative à l’ambition de relancer l’économie du pays, après les ravages économiques et sociaux consécutifs à la pandémie du Covid-19. L’union «sacrée» autour du chef de l’Etat et les synergies en découlant permettraient de faire l’économie de troubles politiques ou sociaux et donneraient des chances de conduire des actions efficaces de reconstruction. Le président Macky Sall n’aurait pas voulu s’arrêter en si bon chemin. Il serait de ses intentions de chercher à rallier le camp du président Wade à la nouvelle mouvance, mais ce dernier ne souffrirait pas l’idée de donner sa bénédiction à des personnalités comme Idrissa Seck et Oumar Sarr, que la rhétorique du Parti démocratique sénégalais (Pds) présente comme des renégats. En prenant le groupe de Oumar Sarr dans ses filets, le Président Sall a fini de donner l’estocade au Pds. Macky Sall reste ferme, pour ne pas dire intransigeant, sur son refus d’envisager toute idée d’amnistier les crimes économiques pour lesquels Karim Wade et Khalifa Sall sont condamnés par la justice.
L’emprise sur le camp présidentiel
Le président Sall aura fait d’une pierre plusieurs coups. L’élargissement de sa majorité permettrait de pallier la supposée perte de vitesse de certains vieux alliés comme le Parti socialiste (Ps), l’Alliance des forces de progrès (Afp) ou le Parti de l’indépendance et du travail (Pit). La recomposition politique va aussi permettre au président Sall de réaliser une reprise en main de son appareil politique au sein de son parti, l’Alliance pour la République (Apr). Il a, à l’occasion, limogé des responsables politiques d’envergure. Les départs de Aminata Touré, Mahammed Boun Abdallah Dionne, Amadou Ba, Aly Ngouille Ndiaye, Mouhamadou Makhtar Cissé et Oumar Youm auront permis au chef de l’Etat de clarifier en quelque sorte le jeu politique au sein de son parti. C’était un secret de polichinelle que ces personnalités politiques étaient en délicatesse avec le chef de l’Etat du fait que leurs agendas personnels pourraient se révéler incompatibles avec les exigences du «patron», ou que par leurs actes, attitudes ou comportements, le degré de confiance que le président de la République leur accordait aurait beaucoup baissé. On a vite fait de conclure que le limogeage de ces personnalités politiques serait justifié par des ambitions politiques qui leur seraient prêtées pour l’horizon 2024.
Qu’à cela ne tienne ! Le cas échéant, le président Sall aura au moins le mérite de libérer de telles ambitions qui pourraient désormais s’exprimer sans aucune entrave. Il reste que ce ne serait pas trahir un secret d’Etat que de dire qu’aucune de ces personnalités politiques ne pouvait ignorer la limite et les conditions que le Président Sall avait fixées à leur compagnonnage. Le président Macky Sall n’apparaîtrait plus, lui-même, crédible, s’il continuait de se coltiner certaines personnalités. De toute façon, il n’aurait pas perdu au change. A l’exception d’Aminata Touré, ancienne présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese), remplacée par Idrissa Seck, toutes ces autres personnalités semblent s’inscrire dans une logique de rester en réserve du président Macky Sall. L’avenir dira ce qu’il en adviendra, mais on doit souligner que Macky Sall n’a pas décidé de se passer de leurs services sur un coup de tête. Il a patiemment pris le soin de leur chercher des doublures au niveau des bases politiques en question. Aussi, le remaniement du gouvernement lui aura permis de mettre le pied à l’étrier à des cadres politiques, jeunes et technocrates, qui ne manqueront pas d’avoir à l’esprit l’engagement, le dévouement, le devoir de mouiller le maillot, d’autant qu’ils auront conscience des tares et autres écueils fatals à leurs prédécesseurs. En revanche, l’attitude de defiance, à son égard, de Aminata Touré, lors de son départ du Cese, démontre à suffisance que le Président Macky Sall ne devrait rien avoir à regretter. Il a l’avantage de pouvoir mettre à l’épreuve tout ce groupe.
On retiendra que le président Sall a semblé bien réussir son coup. Il a désorganisé son opposition politique, en s’assurant déjà que les leaders qui restent ainsi dans cette opposition sont incapables de s’unir, de s’entendre, pour se mettre dans une dynamique unitaire. On connaît suffisamment les gros problèmes d’ego qui empêchent ces leaders de l’opposition que sont Ousmane Sonko, Karim Wade, Khalifa Ababacar Sall, Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall, Mamadou Lamine Diallo, Pape Diop, à se mettre autour d’une table pour s’entendre sur des causes communes. El Hadji Malick Gakou qui servait de trait d’union a fini par choisir le camp du président Sall.