Aujourd’hui c’est vendredi 13, journée de deuil national pour la jeunesse sénégalaise, du moins pour ce qui reste de la population juvénile de mon pays. Au programme, une séance de récital du Saint Coran pour le repos des âmes de nos frères et sœurs qui ont préféré prendre les esquifs pour fuir la misère infinie, l’indigence fulgurante, la disette générationnelle et les pressions sociales continues. Ils sont partis en quête de fortune dans l’espoir de mettre leurs familles respectives à l’abri du besoin.
Quel courage !
Aujourd’hui c’est vendredi, jour de visite à nos morts. Je devrais me rendre aux cimetières de Darou Salam. Je prends un taxi clando et en prenant place aux sièges arrière, je me rends compte que je partage le taxi avec une amie d’enfance. Après les salamalecs, on entame directement le sujet qui est sur toutes les lèvres des Mbourois(es) : l’émigration.
– Hé, Ass ! Je me rends actuellement aux funérailles d’un de mes beaux-frères. Il était parti en compagnie de son frère ; ils avaient réussi à atteindre les côtes espagnoles le vendredi passé, malheureusement il était mal en point à leur arrivé et il a fini par trépasser.
– Ndeysan !
– C’est ce matin, alors que je venais juste d’ouvrir ma boutique, que j’ai reçu le coup de fil de ma sœur qui m’annonce la triste nouvelle. J’ai dû aussitôt la renfermer pour me rendre chez elle, la réconforter, la soulager par ma présence, quelque infinitésimale que cela puisse puissent être auprès d’elle.
– Ndeysan !
Elle continuait sa confession alors que je sentais sa voix grelotter de chagrin. Elle ressentait de l’amertume dont elle avait du mal à dissimuler. La raideur de ses lèvres la trahissait et elle fronçait de temps à autre ses sourcils. Je ressentais au fond de moi tout en étant convaincu que cette colère était légitime.
– Ass ! Cette semaine je me suis rendu à quatre funérailles de mes propres amies. Tous emportées par la colère de l’Atlantique.
Je me rendais compte qu’en voulant redonner le moral à sa sœur, elle aussi avait immensément besoin de quelqu’un pour la lui remonter. Hélas ! Mbour entière est une ville éplorée. Je ne pourrais que me comporter comme un docile exutoire pour absorber son amertume et son chagrin.
Seigneur ! Qui veille sur cette jeunesse ? Les politiques ont perdu leur sens auditif. Au moment où on décompte les morts part centaine, un nouveau ministre, de surcroît un gynécologue, affirme publiquement à ses partisans que le moment était venu où ceux qui recevaient auront le privilège de donner. Seigneur ! Ceux qui sont à l’abri du besoin ne tendent plus la main à ceux qui s’enfoncent quotidiennement dans les gouffres de la misère.
Seigneur ! Faites en sorte que cet épisode macabre soit un vulgaire cauchemar et que demain — dès les premiers rayons de l’aurore, à l’orée d’une journée d’opulence — je me réveille dans un pays où l’espoir sera permis.
Ass Malick Tine