J’ai trouvé nécessaire de faire cette contribution, afin d’éclairer l’opinion publique sur l’accord de pêche et son protocole d’application entre notre pays et l’Union Européenne, portant sur le thon et le merlu qui a eu à susciter beaucoup d’interrogations par voie de presse.
Nombreux sont les journaux sénégalais qui ont traité de cet Accord de pêche. Ces articles nous informent que « le Parlement européen a donné son approbation, par vote (524 voix pour, 47 contre et 115 abstentions) lors de la plénière de ce jeudi 12 novembre, pour la mise en œuvre d’un nouveau protocole d’accord de pêche entre l’Union européenne (Ue) et le Sénégal. A cet effet, « le protocole prévoit des possibilités de pêche pour un maximum de 28 thoniers senneurs congélateurs, 10 canneurs et 5 palangriers d’Espagne, du Portugal et de France (10 000 tonnes par an) ainsi que des possibilités de pêche au merlu noir pour 2 chalutiers espagnols. ».
Cependant, la population sénégalaise ou les professionnels qui sont en manque d’informations s’adonnent à un lynchage médiatique et des critiques parfois malsaines. Si d’aucuns parlent de pillage de nos ressources halieutiques, d’autres par contre trouvent la contrepartie financière dérisoire, en émettant des réserves sur cette collaboration avec UE. A mon humble avis, la signature de cet accord ainsi que son protocole d’application avec l’UE sur le thon et le merlu n’augure rien de scandaleux. Vous conviendrez avec moi que les thoniers senneurs opèrent dans une vaste zone de l’Océan Atlantique allant de l’Angola au Maroc et le stock de thon n’appartient pas à un pays, mais à tous les pays côtiers des Océans en général et ceux de l’Atlantique en particulier membres de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (ICCAT ou CICTA) en charge de leur exploitation et gestion.
Ladite Commission qui a son siège à Madrid, est aujourd’hui dirigée par un Sénégalais en la personne de Camille Jean Pierre Manel, ancien Directeur des Pêches maritimes (DPM) au Ministère des Pêches et de l’Economie maritime. La mission de la CICTA est de recueillir des statistiques halieutiques auprès de ses membres et de l’ensemble des entités pêchant ces espèces dans l’océan Atlantique, de coordonner la recherche, notamment l’évaluation des stocks, pour le compte de ses membres, de formuler des avis de gestion reposant sur la science, et enfin de fournir aux Parties contractantes un mécanisme leur permettant de se mettre d’accord sur des mesures de gestion.
Sur ceux, la CICTA détermine pour chaque pays membre un quota annuel à ne pas dépasser. Le quota concernant est de 50 000 tonnes. Il est défini selon la disponibilité de la ressource. Force est de reconnaitre que depuis des années, notre pays n’arrive pas à dépasser les 50% de son quota annuel soit 25 000 tonnes. Face à cette polémique, je pense qu’il serait judicieux d’édifier le peuple Sénégalais sur la problématique même de cet accord.
Ainsi, dès l’ouverture des rencontres exploratoires entre les deux parties, la délégation sénégalaise avait clairement indiqué qu’elle n’était pas disposée à céder des droits de pêche sur des ressources telles que les pélagiques côtières (sardinelles et autres), les démersales côtières (thiofs, dorades, soles et crevettes côtières) et les crevettes profondes. En ce qui concerne ces espèces, la délivrance des licences de pêche est gelée depuis 2006. Ainsi, n’ont été cédés que des droits de pêche sur les thonidés et le merlu. Cette décision de 2014 montre à suffisance la volonté des autorités sénégalaises à préserver les ressources, afin d’éviter la précarité aux pêcheurs artisans qui sont sur le segment des pélagiques côtières et des démersales côtières. Concernant le thon, espèce pélagique hauturière, est un poisson grand migrateur, pêché à l’échelle de l’Océan Atlantique, plus en dehors des Zones Economiques Exclusives(ZEE) des Etats côtiers qu’à l’intérieur de celles-ci. La CICTA qui assure sa gestion n’a soumis à contingentement que le germon, le thon obèse et l’espadon. Le germon, poisson des mers tempérées, n’est pas pêché au Sénégal.
Selon l’ancien Directeur des Pêches maritimes, Docteur Sogui Diouf : « s’agissant du Sénégal, les prélèvements effectués à l’intérieur de sa ZEE sont évalués à 11.049 tonnes en moyenne par an et représentent 30% des prises totales effectuées dans une zone allant du nord de la Mauritanie à la Guinée Bissau. A cet égard, aucun pays ne peut s’approprier la propriété d’un stock de thon. Au Sénégal, les captures des pêcheurs artisans sont de 228,78 tonnes pour l’albacore, de 297,89 tonnes pour le listao et 6,23 tonnes pour le thon obèse. » S’agissant du merlu, la deuxième espèce prévue par le protocole d’accord, est un poisson transfrontalier pêché des deux côtés de la frontière sénégalo-mauritanienne.
Deux chalutiers merlutiers sont autorisés à en pêcher 2.000 tonnes par an. Il vit à de grandes profondeurs entre 200 à 1 000 m et rarement pêché par nos pêcheurs artisans. En 2014 pour 28 senneurs et 8 canneurs, les captures autorisées étaient de 14.000 tonnes par an, la contrepartie financière était de 8.720.000 euros pour 5 ans soit 1.744.000 euros par an, ce qui donne 124,5 euros par tonne de thon pêché. A ce montant s’ajoutent l’appuie sectoriel qui s’élève à 750 000 euros par an et l’embarquement des observateurs à bord des 28 senneurs et 8 canneurs 72 000 euros. Au vu de ce qui précède, nous pouvons dire sans risque de nous tromper que le protocole d’accord entre le Sénégal et l’UE sur la pêche thonière respecte les normes et standards internationaux de pêche durable. Par ailleurs, il faut préciser que l’UE a signé avec des pays tiers, 14 Accords de Partenariat de Pêche Durable (APPD). Onze (11) sont des accords thoniers et trois (3) des accords mixtes.
Contrepartie financière…
Pour la contrepartie financière, je partage toujours avec vous les informations portant sur les accords signés entre l’UE et quelques pays ACP sur la période 2004-2013. Il s’agit entre autres, du Cabo Verde, des Iles Comores, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Mozambique, des Iles Salomon, de Sao Tome et Principe et des Seychelles pour la pêche thonière. Pour la Mauritanie, le Maroc, et la Guinée Bissau, ce sont des accords pluri-spécifiques.
La contrepartie financière générée par un accord de pêche portant sur plusieurs espèces notamment des démersaux côtiers (dorades, mérou, crevettes côtières) plus chers que les thons, n’est pas comparable à la compensation qu’on peut attendre d’un accord thonier.
Par tonne de thon pêché, dans les accords signés par l’UE avec quelques pays africains se présentent ainsi qu’il suit : Cap vert : pour 25 senneurs, 48 palangriers de surface et 11 canneurs, les captures autorisées sont de 5.000 tonnes par an. La contrepartie financière est de 385.000 euros par an soit 77 euros par tonne de thon pêché ; Côte d’Ivoire : pour 25 senneurs et 15 palangriers de surface, les captures autorisées sont de 7.000 tonnes par an et la contrepartie financière de 595.000 euros par an soit 85 euros par tonne de thon pêché. Cet accord a été prolongé jusqu’en 2018 et la contrepartie revalorisée à 104,61 euros par tonne de thon pêché ; Gabon : pour 24 senneurs et 15 palangriers de surface, les captures autorisées sont de 11.000 tonnes par an et la contrepartie financière est de 860.000 euros par an, soit 78,3 euros par tonne de thon pêché ; Sao Tome et Principe : pour 25 senneurs et 18 palangriers de surface, les captures autorisées sont de 8.500 tonnes par an et la contrepartie financière de 663.000 euros par an, soit 78 euros par tonne de thon pêché ; Seychelles : pour 40 senneurs et 12 palangriers de surface, les captures autorisées sont de 63.000 tonnes et la contrepartie financière de 5.355.000 euros par an soit 84,68 euros par tonne de thon pêché. Sénégal : pour 28 senneurs et 8 canneurs, les captures autorisées sont de 14.000 tonnes par an, la contrepartie financière visée à l’article 6 de l’accord est de 8.720.000 euros pour 5 ans soit 1.744.000 euros par an, ce qui donne 124,5 euros par tonne de thon pêché.
Ce montant ne prend pas en compte l’appui sectoriel qui est de 750 000 euros par an. Pour ce nouveau protocole dont fait cas la presse, la contrepartie financière est de 15,25 millions d’euros sur 5 ans, soit plus de 3 millions d’euros par an. A vous de juger…