Jamais dans l’histoire politique du Sénégal, avant Macky Sall, un président de la République n’avait attendu 120 heures pour installer un nouveau gouvernement. Mais si les Sénégalais qui étaient dans l’expectative lassante ont accepté dans la souffrance ce long délai, c’est parce qu’ils pensaient qu’enfin, après 102 mois de gouvernance qui n’ont pas été à la hauteur de leurs attentes, le président Sall allait procéder à une révolution copernicienne. Le propre de la révolution est l’instauration d’un ordre nouveau. Mais l’éléphant a accouché d’une musaraigne. En lieu et place d’un gouvernement résilient et efficient, un salmigondis indigeste composé de paléo-libéraux désargentés dont l’avenir présidentiel s’est assombri depuis plusieurs années et d’hommes-liges a été servi aux stoïques Sénégalais. Mais les miasmes de ce salmigondis gouvernemental exhalent surtout de la présence nauséabonde d’un politicien qui avait confessé que, dans ce qui reste de sa carrière politique, il ne serait plus sous la coupe d’un décret mais uniquement sous celle des suffrages. Mais en politique, le reniement, la dénégation et le mensonge, loin d’être une pathologie, sont une vertu. En la matière, Idrissa Seck, l’hôte-surprise de ce festin gouvernemental est un as.
En bon disciple d’Ulysse, le célèbre héros de l’Odyssée de Homère, le leader de Rewmi fait preuve de ruse, d’habileté, de duplicité et ne cesse d’avancer masqué, dissimulant la vérité à ses responsables de parti, à ses militants et à ses alliés dans l’unique but de parvenir à ses fins. Le personnage insaisissable d’Idy est un nœud de complexités inextricable. Il y a une alchimie d’actes et d’actions qui obscurcit et brouille sa trajectoire politique de sorte que tous ses militants qui veulent le suivre dans son évolution politique s’égarent. Par une pureté extérieure, il montre qu’il ne possède rien qui ne soit licite et cela est crédibilisé constamment et malicieusement par la référence aux sourates coraniques et souvent même aux psaumes bibliques. Et tout cela pour faire adhérer les Sénégalais à sa duplicité politique permanente.
Il a révélé que, pendant 15 mois (donc depuis mai 2019 avant le lancement du dialogue politique), il est en contact avec le président Macky Sall. Donc un mois après la mise en place du gouvernement du fast track et au lendemain de la publication de son livre blanc sur les fraudes électorales, Idy était déjà en négociation avec Macky dans la totale ignorance de ses partisans et collaborateurs. Une telle attitude relève de la roublardise, de la perfidie voire de la traitrise. C’est en cela que le leader de Rewmi incarne doublement ces personnages de la littérature et de l’histoire que sont Ulysse et Judas. La ruse et la trahison sont le fil conducteur de la trajectoire politique d’Idrissa Seck. Ses relations politiques et filiales avec son mentor ont finalement été empoisonnées par le désir délirant, obsessionnel, irrationnel voire loufoque du « born to be a président » dès les premières heures de l’alternance de 2000. Et la suite, on la connait. Son appétit gargantuesque du pouvoir est stoppé net par le rouleau compresseur de la machine politico-judiciaire qui s’abat sur lui avec une violence telle qu’il est limogé de la Primature le 21 avril 2004 avant de passer sa première nuit à Rebeuss le 23 juillet 2005 à la suite d’un rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE) qui l’accuse de «détournement autoritaire et illégal de crédits et de surfacturations».
Sa sortie de prison le 7 février 2006 au bout de 199 jours de prison après un protocole notoirement appelé celui de Rebeuss renforce son aura politique au point de devenir le principal opposant d’Abdoulaye Wade, reléguant du coup Tanor et Niasse au second plan. D’ailleurs, à propos du Protocole de Rebeuss, Madiambal Diagne, dans son éditorial du 19 février 2018, écrit ceci sous un air de défi : « Idrissa Seck s’était ainsi engagé à rembourser 21 milliards de francs CFA à Abdoulaye Wade. Les acteurs de cette négociation, en l’occurrence la notaire Me Nafissatou Diop Cissé et l’avocat Me Ousmane Sèye, en ont déjà largement témoigné… »
A quelques encablures de la présidentielle de 2007, au moment où beaucoup de Sénégalais pensent que le fondateur du parti Rewmi le 04 avril 2006 peut accéder au second tour et par voie de conséquence renvoyer Abdoulaye Wade à nouveau dans l’opposition, il est ainsi reçu, au Palais pour négocier on ne sait quoi avec son principal adversaire. Cette réception qui est un traquenard tendu par le président Wade, candidat à sa propre succession, lui fait perdre beaucoup de militants et de sympathisants qui voient en cette visite au Palais une trahison et un manque de considération à leur égard. En vrai renard politique, Wade vient d’affaiblir celui peut compromettre sa réélection au premier tour. Dans la même foulée, la coalition Jamm-Ji que le leader de Rewmi a créée en 2007 avec Ousmane Tanor Dieng du PS, Abdoulaye Bathily de la LD/MPT et Moustapha Fall Che pour aller aux élections législatives reportées éclate à la suite de son comportement duplice en sus de sa boulimie car il exige, compte tenu de son poids électoral, de prendre 40% de leur liste nationale commune.
Après la présidentielle de 2007 où il s’est classé deuxième, Idy prend encore ses distances avec Wade avant de recommencer à négocier en vain son retour au PDS depuis l’Hexagone. Ne pouvant plus compter sur le PDS dont il revendique l’actionnariat majoritaire, il poursuit son combat contre Wade qui veut briguer un troisième mandat. Et au moment où les autres leaders politiques membres du M23 se lancent dans la campagne électorale de 2012, le Rewmiste en chef a préféré continuer son combat à la place de l’Indépendance pour respecter un « engagement ». Par conséquent, ses chances de devenir Idy 4e président sont littéralement nulles. Les résultats de la présidentielle de 2012 remportée par son éternel challenger Macky Sall le classent dernier dans le « Big 5 ».
A l’an I de l’accession de Macky Sall au pouvoir, Idrissa Seck, invité du Groupe Futurs Médias, évoque avec tristesse ses années de souffrance sous le régime de Wade au point de pleurer à chaudes larmes. Larmes de crocodile ou de sincérité ? Allait-il résipiscence ou jouait-il au Christ crucifié et martyrisé par ses Ponce-Pilate ? Toujours est-il que ces larmes ont retenu l’attention des Sénégalais au point de faire la « une » des journaux le lendemain. Opération de com réussie au point de porter ombrage aux Apéristes qui célébraient l’an I de la gouvernance de Macky !
Même si en 2012, le quatrième président du Sénégal lui a octroyé des postes dans son premier gouvernement, Idrissa gardera jalousement sa liberté de critique. Ainsi, il ne manquera pas de critiquer la politique de l’emploi du président et de lancer les premières salves sur le gouvernement, notamment sur les banquiers Abdoul Mbaye (Premier ministre) et Amadou Kane (ministre de l’Economie et des Finances). Ces critiques itératives indisposent les ministres Pape Diouf et Oumar Guèye, et finissent par créer la rupture entre lui et ses frères de partis siégeant dans le gouvernement. A ces deux défections et non des moindres viennent s’ajouter celles de Talla Diouf, Léna Sène, Marie Mbengue, Youssou Diagne, Nafissatou Diop, Ousmane Thiongane, Wali Fall, Dr Assane Kâ, Cheikh Tidiane Diouf, Oumar Sarr, Jean Pierre Tine et le Dr Abdourahmane Diouf
Mais de fil en aiguille, le leader de Rewmi secoue le pouvoir avec ses communications percutantes et blessantes. Et pour plonger le régime de Macky Sall dans un état d’affolement profond, Idrissa et ses cinq autres leaders politiques de l’opposition Abdoulaye Baldé, Pape Diop, Djibo Ka, Mamadou Diop Decroix et Oumar Sarr jettent les bases d’une coalition anti-Macky. Cette stratégie de rassemblement traduit le désir irrépressible du leader de Rewmi de conduire le train l’opposition. Mais Abdoulaye Wade met en garde le coordonnateur du Front patriotique pour la défense de la République (FPDR) contre Idrissa Seck connu pour sa félonie légendaire en matière de politique. Moustapha Fall Che qui a déjà vécu les coups bas du patron de Rewmi dans la Coalition Jamm-Ji en 2007 embouche la même trompette et demande à ses homologues leaders de partis d’opposition de s’attendre inéluctablement à ses coups de Jarnac.
Aujourd’hui, l’histoire donne raison aux prophètes Wade et Che. En politique, « la trahison n’est qu’une question de temps » comme le dit André Thérive. Tel Iznogoud, tenaillé par son désir irrépressible et incompressible de prendre la place du Calife, Idy trahit ses militants et alliés pour s’amouracher avec l’actuel occupant du trône. Mais il n’est pas entré dans ce gouvernement comme un chanoine le fait dans un monastère. Les convictions politiques, les principes démocratiques, le respect de la parole donnée ne résistent pas devant les intérêts crypto-politiques. Ainsi les raisons de son émigration gouvernementale oscillent entre intérêts financiers et opportunisme politique avec en échange le fauteuil de la coquille vide du CESE, deux postes ministériels et la trahison de l’opposition. Tel Ulysse après plusieurs années de guerre, Idy entre dans le gouvernement par le biais de son cheval de Troie (CESE, postes ministériels). Mais Macky sait bien qu’il faut toujours « se méfier des Grecs, même quand ils apportent des cadeaux ».
Il appert que ces postes de prébende et la trahison de l’opposition ne sont que la face immergée de l’iceberg du deal Macky/Idy. Y perçoit-on les signes avant-coureurs du balisage d’un 3e mandat sans anicroche ou d’une dévolution successorale ? Les résultats des prochaines échéances électorales (locales et législatives) serviront de lanterne pour mettre à nu la teneur du deal Macky/Idy. Espérons, comme dit Idy, que ce poker menteur ne soit pas une affaire de grands bandits, lesquels ne se battent qu’à l’heure du partage du butin. Nous n’osons pas croire à une pareille fantasmagorie. Ce serait trop ubuesque parce que le sang va gicler.