Ce remaniement a quelque chose d’irréel. On attendait tous de ce changement tant espéré, des réponses fortes aux cataclysmes de cette terrible année 2020. La Covid-19 avec ses conséquences économiques désastreuses, les troubles sécuritaires à nos portes méritaient bien cela. Le changement des hommes pour faire face aux défis de demain semblait donc être la préoccupation majeure du moment. Le remaniement qui a eu lieu n’y a pas répondu. Celui proposé à la nation s’est avéré essentiellement politique. Tel l’a voulu le président. Les analystes ont eu tout faux. Idrissa Seck bombardé président du Conseil Economique Social et Environnemental, une fournée de hauts cadres de l‘APR défénestrés du gouvernement. Voilà le menu servi par le maître Macky. Une situation des plus improbables il y a de cela quelques semaines. Des signes avant-coureurs laissaient bien entendre qu’il y avait de la négociation dans l’air. Le long silence d’Idy cachait forcément quelque chose mais de là à rejoindre, lui et ses moussaillons, la mouvance présidentielle personne ne l’ aurait parié ! C’est sûrement à cela que l’on mesure l’adresse politique du président Sall. Bien qu’ingénieur, donc habitué à réfléchir selon les situations, à concevoir et à construire, Macky se comporte différemment en politique. Il adopte des stratégies chères à H. Queuille pour qui la politique ne consiste pas à faire taire les problèmes mais à faire taire ceux qui posent les problèmes. La prise d’Idy dans ses filets est d’autant plus remarquable que toute notre attention était ailleurs : Idy comme chef de l’opposition semblait être le débat du moment. C’est tout l’art du camouflage exécuté de main de maître.
Le président Sall dame le pion à son maître Wade qui disait prosaiquement que tout homme avait un prix. Macky Sall sait, mieux que tous, trouver le faible de chacun de ses adversaires politiques. C’est ce qui explique qu’il n’a pas son pareil pour faire venir à lui les hommes qu’il veut attirer. Oui les hommes politiques ont leurs faiblesses. Certains ne résistent pas aux honneurs et aux ors de la République, d‘autres sont mûs par l’intérêt qu’ils peuvent trouver dans une transaction, le reste, la plupart au demeurant, sont juste sujets de leur plaisir. Macky connait le vrai caractère d’Idy et sans nul doute, il a su l’attaquer dans sa plus forte passion. Aux indignés de la transhumance d’Idy et qui exhument ses paroles empreintes de conviction, vitupérant contre le camp d’en face, ils devraient tout de même savoir que l’on ne se repaît point de paroles, d’autant plus que la plupart du temps elles ne sont que du vent. Tout, presque tout procède de la tromperie hélas. Idy est pris dans la nasse. Un decret l‘a nommé. Un autre decret mettra fin à ses fonctions quand le maître le jugera utile. Macky est le maître incontesté du jeu. Il disloquera son parti pour créer un cadre plus ambitieux, intégrant tous les nouveaux venus. Il formera une autre coalition. Tel est le schéma bien huilé de la stratégie du président Sall : Macky 2012 était devenu caduque après la victoire de 2012, Benno Bokk Yakkar est usé après la victoire de 2019. Il faut un autre attelage pour les futures échéances. C’est ainsi qu’il fera taire ceux qui posent les problèmes. “Ce faisant, il se ménagera un boulevard devant lui pour le troisième mandat, si l’envie lui en prenait.
A Idrissa maintenant d’adopter la position de l’homme de cour, celui qui contraint son humeur, qui agit et qui parle contre ses sentiments. Cela demande d’être adroit, souple et faux. Gageons qu’il saura faire cette fois. Il avait échoué avec Wade, victime de son empressement à enterrer le vieux président. Il devra réussir cette fois avec un président plus jeune. Sa tâche ne sera pas facile.
L’autre énigme de ce remaniement est le départ des grosses pointures de l’APR du gouvernement. De quels péchés d’Israël sont-ils donc coupables ? Mauvaise gestion ? Sûrement pas. D’autres, bien moins vertueux, ont conservé leur portefeuille ministériel. De lorgner vers le fauteuil présidentiel ? Cela semble être le dénominateur commun des mis en cause. Sans que cela puisse constituer un délit, on pencherait pour cette hypothèse. Après avoir interdit aux membres de sa coalition de parler du troisième mandat, voilà maintenant qu’il est interdit d’y penser… Amadou Ba, Aminata Touré, Makhtar Cissé et Aly Ngouille Ndiaye en ont fait les frais. Ils ont, ou on leur prête à tout le moins, le délit d’avoir des ambitions présidentielles. Leur proximité avec le président avaient sûrement renforcé leurs croyances en leurs capacités individuelles de remplir la fonction. Cette confiance leur aura été fatale. Le président sait tout, le président voit tout et par dessus tout, il a le pouvoir de défaire ce qu’il a fait. Gare à ceux qui l’oublient. Telle est la dure loi de la politique. Le destin de ces bannis ne sera pas le même. Amadou Bâ et Makhtar Cissé rentreraient dans le rang car dans le fond, ce sont de grands commis de l’Etat et pas des orfèvres politiciens. Le président les privera à temps utile de leur base électorale de Dakar et de Dagana. Aly Ngouille Ndiaye devra se ressourcer auprès des siens dans son fief de Linguère avant de tenter un come back. Il lui faudra dorénavant ferrer avec les ministres Aly Sallé Diop et Samba Diobène Ka pour les locales à Linguère. Il aura fort à faire. Mimi Touré se rebiffera à coup sûr. Toutefois, elle n’a pas de base. Sa trajectoire à la Cresson ne jouera pas en sa faveur sur le moyen terme. 2024 est encore bien loin. En politique, il ne faut pas être seul et Mimi est bien seule.
Trajectoire croisée, Oumar Sarr passe de la guillotine à la table du prince. Il a su maneuvrer en se désolidarisant des Wade au bon moment. Sa prise reste moins spectaculaire que celle d’Idy, peut être parceque prévisible et en congruence avec ses actes de ces derniers mois. Ce n’était qu’une question de temps.
Quant à nous, observateurs de la vie publique, on a tous été floué. On s’attendait à ce qu’il extirpât de son gouvernement, tous les petits arrogants qui insultaient de leur indifférence et de leurs mauvaises conduites le peuple, au lieu de cela, il les confirme et se débarasse de ses faucons.
Le président a visiblement changé de braquet. A ceux qui raisonnaient dans un contexte donné, [les ravages sanitaires et économiques de la maladie] et prônaient un gouvernement de combat contre les conséquences de la covid, il a changé de contexte, [les locales et les législatives en ligne de mire] rendant caduques les analyses des uns et des autres. Son gouvernement est politique et va se déployer pour gagner les prochaines locales. Les libéraux sont revenus en masse. Ils sont tous là. Il ne manque que le fils du grand Manitou.
En attendant les locales, il faudra venir à bout des problèmes économiques, atténuer les disparités sociales qui se creusent, il faudra faire face aux jeunes qui partent mourir par vagues dans les flots.
Point de “Queuillisme” : L’absence de solutions ne viendra pas à bout des problèmes. Pas plus que les mauvaises solutions ne les feraient disparaitre du reste. Hélas.
Gémir et exprimer une compassion tardive même sincère ne suffit pas. Il nous faut agir pour qu’ils retrouvent l’espoir. La politique c’est aussi cela : susciter l’espoir et rendre du sens à la vie.