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Le Sankarisme, Un Panafricanisme En Mouvement ?

Le Sankarisme, Un Panafricanisme En Mouvement ?

La ferveur douloureuse un tantinet nostalgique filtre dans le regard haut, rivé à l’horizon et cependant résolument chargé d’espoir. Une douceur moite d’octobre rappelle la fin de l’hivernage. On ne sème plus. Et pourtant ce 15 octobre, étudiants, enseignants, parents d‘élèves, autorités administratives et communales, présidents d’universités, ministres retrouvent le cercle de semailles à Saaba, une banlieue de Ouagadougou !

L’on ne peut plus commémorer l’assassinat perpétré sur la personne de Thomas Sankara, il y a trente-trois ans, sans que ne soient posée la première pierre d’un monument, un lycée, un studio de production musicale, une forge ; dévoilée une plaque à l’orée d’un square, un jardin, une rue ; baptisé un nouveau-né… L’Histoire et la mémoire se rejoignent, un peu comme lorsque des affluents cheminent pour aller vers un fleuve puissant, comme quand l’Atbara des saisons de grosses pluies mêle ses eaux à celles du Nil Blanc et du Nil Bleu pour couler, chargé d’alluvions vers le delta.

Quelque chose, un événement qui rompt avec nos traditions d’amnésie notoire dans ce continent qui assez souvent ruse avec sa mémoire ! Trente-trois ans déjà : un vide cruel, un abime que jamais rien ne comblera assez… et pourtant…! Blandine et Odile Sankara, les deux sœurs sont conviées elles-aussi au cercle des semailles pour l’inauguration de ce que l’on s’accorde tous à nommer : le temple des savoirs ! L’Université Thomas Sankara est porté aux fonts baptismaux : un joyau de près de 2000 ha pour 25,000 étudiants au milieu de l’écrin-commune de Saaba. Un vol lourd de moineaux, s’égosille, vient frôler l’assemblée stupéfaite, et s’envole vers le site-musée-granit de Loango, magnifique œuvre de Ki Siriki, tout proche.

L’on coupe le ruban, rituel oblige, pour découvrir des amphithéâtres de rêves, de nombreuses salles de classes et bureaux administratifs superbement équipées, un immense campus complet avec ses restaurants, ses dortoirs ses modules de banques, ses salles de sport, ses terrains de foot et basketball, son unité de santé…

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Le Président de l’Université, Adjima Thombiano, ne tarit pas de rêves enthousiastes pour le temple des savoirs que le peuple vient de lui confier. C’est d’une université futuriste qu’il veut, pôle de croissance économique pour le Burkina Faso, socialement intégrée et d’où jailliront du milieu des savoirs, les connaissances qui pourront tirer la société vers son développement harmonieux. Elle aura bien sûr, entre autres, ses UFR des sciences économiques et de gestion, des sciences juridiques et politiques, mais fera de l’écologie active une manière de célébrer le vivre-ensemble en incluant la nature… et puis l’on y construira un hôtel qui aura la cime dans les étoiles… Et puis, ici, le distinguo sera de travailler á l’éveil des consciences, travailler sur la transformation les mentalités, travailler á engager résolument tout le monde vers les idéaux de Thomas Sankara ; c’est scellé au fronton de l’édifice : « ce que nous souhaitons vraiment que cette université soit véritablement un centre de renaissance des forces vives de la nation. Cela veut dire que cette université soit effectivement le point de départ d’une prise de conscience généralisée de la société, mais à travers la jeunesse. Et je pense que c’est encore possible. Nous avons ce rêve qu’à travers la mission de l’UTS, on pourra impacter positivement la qualité des services publics qu’on constate aujourd’hui. Lorsqu’elle est invitée á dire un mot au nom de la famille, Blandine Sankara souhaite …que l’UTS incarne véritablement la vision de Thomas, ne soit pas une université de trop ; mais qui prenne en compte les aspirations de la jeunesse du Faso et de l’Afrique entière.

Tout près d’elle, Odile, veille, acquiesce ; elle partage bien sûr ces mots, ce sentiment. C’est aussi ce que souhaite la veuve Sankara Mariam, qui a promis de visiter, dès qu’elle le pourra, ce temple du savoir très particulier, iconoclaste. On voudrait les prendre tous au mot : on se prend à rêver… par exemple que l’UTS ouvre aussi ses amphi aux African Studies et qu’ y soient enseignés les théoriciens de l’afrocentricité panafricanistes royalement ignorés dans nos universités publiques assez souvent timorées; rêver que les chercheurs en sciences juridiques et politiques qui y naitront, nous proposent de nouveaux modèles d’organisation politique, tant l’Etat-nation jacobin hérité des violences physiques et symboliques coloniales semble ne pas s’éloigner des ruses ontologiquement constitutives de son dessein : l’impasse.

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Et le diagnostic au demeurant sévère qu’en fait Mbog Bassong nous remue : « Cette impasse globale de la réflexion s’accompagne de l’incapacité à créer un modèle alternatif. De la sorte, le modèle dominant de circonstance exporte tout simplement ses propres contradictions qui s’apparentent par certains contours à des solutions. Au vrai celles-ci dissimulent mal la généralisation du chaos social. Partout la pauvreté, les déviances sexuelles, la prostitution, la délinquance, la corruption, les détournements de denier public, les putschs militaires, l’inflation des egos, l’individualisme prononcé, le tribalisme, les guerres, les conflits fratricides, les sectes d’obédiences exogène, les religions révélés, etc. compromettent l’idéal de renaissance de la culture africaine ». La Renaissance du continent, parlons-en !

Pour sûr que Thomas Sankara en a été l’un des chantres passionnés, un panafricaniste convaincu. On se souvient de L’Institut des Peuples Noirs, qu’il dédiait non seulement aux peuples noirs du continent et de la diaspora ; mais qu’il inscrivait impérativement dans la continuité de notre Histoire… celle que nous a révélée Cheikh Anta Diop. L’allocution que le camarade Président du Faso, prononçait alors de l’ouverture du symposium de l’IPN qui se tenait á Ouagadougou deux mois après la disparition de Cheikh Anta est révélatrice á plusieurs titres. Oui, il s’agissait de rendre «un hommage mérité» au Professeur Cheikh Anta Diop décédé à Dakar le 7 février 1986: «S’il est normal et juste de lui rendre tout l’hommage vénéré que mérite ce grand africain, Cheikh Anta Diop, il ne serait guère suffisant de le pleurer. On ne pleure pas les grands hommes. Cheikh Anta Diop était un géant.

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Le meilleur hommage que nous puissions lui rendre c’est de nous engager à continuer avec le même courage, la même sincérité, avec les mêmes compétences l’œuvre qu’il a entreprise avec tant d’amour, de respect pour les peuples et les civilisations noirs. Et nous pensons sincèrement, en ce moment solennel du Symposium qui s’ouvrira bientôt, que l’Institut des Peuples Noirs à travers ses idéaux, est tout indiqué pour lui rendre hommage …»

A l’heure où la caricature de l’Etat-nation, monarchie républicaine ? agite férocement son manège éprouvé du diviser pour régner et que les sbires-marionnettes, gardes chiourme de la défaite de l’Afrique, mènent tambour battant les peuples à l’abattoir, dans l’unique objectif d’asseoir leurs pouvoirs ridicules et grossiers, peut-être serait-il enfin temps de revisiter l’Etat multinational et multiculturel traditionnel que nous avons connu dans l’Afrique précoloniale… et que tombent enfin les frontières coloniales comme l’on rêvé les panafricanistes pères de nos indépendances… « Tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme » L’Institut des Peuples Noirs, l’un des grands projets éducatifs de Thomas Sankara renait ces jours-ci de sa torpeur ; une nouvelle équipe y est affectée pour la relance. Des ponts au niveau de la recherche scientifique et humanistique et de réalisation de projets intégrateurs de la diaspora pourraient été jetés entre cet autre temple des savoirs et l’UTS… C’est serait formidable ! Et puis vivement que justice soit rendu à Thomas, maintenant que le Burkina Faso, par ces œuvres de la mémoire pose des jalons de l’Histoire… On peut se prendre á y rêver… aussi. Enfin… si l’on veut éviter de rencontrer le spectre épineux de la symphonie inachevée !

Koulsy Lamko est universitaire mais aussi dramaturge et romancier, une des grandes figures de la littérature Afrique contemporaine







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