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Les Migrants Aux Iles Canaries, Une HospitalitÉ En Question

Les Migrants Aux Iles Canaries,  Une HospitalitÉ En Question

Le dimanche 28 août 1994, une barque, la première, arrivait aux Canaries et accostait précisément sur les côtes de l’île de Fuerteventura. A son bord, deux jeunes émigrants sahraouis. Vingt-six ans et 110000 migrants plus tard nous n’avons pas encore appris à les accueillir, ni en tant que société, ni en tant qu’État.

En cette funeste année 2020 de pandémie, c’est un constat que l’on peut faire au risque de paraitre présomptueux, avec l’afflux de migrants dans les îles. Et pourtant les Canaries ont toujours été une terre d’accueil en raison de leur propre expérience migratoire et de leur ouverture permanente au monde.

Il faut déjà dire que depuis 1994, nous ne pouvons pas établir avec exactitude le nombre de migrants décédés. Ou plutôt devrions-nous dire assassinés? – sur le parcours terrestre avant l’embarquement ou sur les dangereuses voies maritimes qui séparent les îles du continent ou enfin lors des reconduites immédiates illégales et les abandons subséquents dans le no man’s land : pratiques avérées des gouvernements espagnols successifs, quelle que soit leur position idéologique, ainsi que des régimes d’Afrique du Nord.

Les morts se comptent certainement dans ces tragiques cas de figure par dizaines de milliers. À la fin de l’année 2005, les graves événements survenus dans les enclaves de Ceuta et Melilla ont marqué un tournant décisif quant aux aspects quantitatifs et qualificatifs de l’émigration africaine aux Canaries. En effet, le bateau qui arrive pour la première fois sur l’île de Gran Canaria, dans la commune côtière d’Agaete, mieux qu’une simple pirogue, est une embarcation qui dispose d’une plus grande capacité de chargement et par la même, présente de grands risques d’autant plus que tout accident risque de virer au drame.

Force est de souligner que la pression des autorités espagnoles et européennes sur des États comme le Maroc, la Mauritanie ou le Sénégal, a externalisé les frontières européennes, en déplaçant vers ces États les tâches de répression du mouvement migratoire. Pour leur sécurité, les migrants empruntent des itinéraires de plus en plus éloignés du territoire canarien et donc beaucoup plus périlleux.

Tout au long de l’année 2006, précisément en raison de l’utilisation des pirogues comme nouveau type d’embarcation et des difficultés croissantes pour atteindre l’Europe par les voies de Ceuta, Melilla et, par la suite, le détroit de Gibraltar, c’est sur les côtes canariennes que les migrants arrivent, le nombre ayant augmenté au fil du temps de façon exponentielle. 31678 personnes ont alors débarqué aux îles Canaries entrainant ce qu’on a pu appeler, sans la moindre originalité ni empathie, «la crise de 2006».

Cette crise, entre autres événements regrettables, a engendré la politisation de la question migratoire. On a commencé à parler d’invasion, de déferlement, d’avalanche… etc. Le «socialiste» feu Alfredo Pérez Rubalcaba, alors ministre espagnol de l’Intérieur, avait pris l’initiative du rapatriement de 750 émigrants des Canaries, ce qu’il a lui-même qualifié de «message sans équivoque aux mafias» ; ces mêmes mafias impliquées dans le processus migratoire et qui ont toujours servi de bouc émissaires à la politique inhumaine pratiquée par l’Espagne et l’Union européenne, politique doublée d’une totale inaction face au drame ou, ce qui est encore pire, d’une démarche répressive et sécuritaire recouverte du vernis de la coopération qui, vu dans la perspective des années, a été bien peu utile.

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Une industrie, celle de la sécurité, qui a fait et continue de faire jusqu’aujourd’hui les beaux jours d’un négoce qui, comme au temps de la Traite négrière, s’abreuve du sang des migrants. Les années suivantes, et de façon progressive, on a vu une diminution du flux migratoire aux Canaries, jusqu’à atteindre cette année 2020 où l’on tend peut-être même à dépasser les chiffres de 2006. depuis le début de l’année, près de 18 000 personnes ont atteint les côtes canariennes. Rien que pendant la première quinzaine de septembre, 1270 personnes sont arrivées sur des embarcadères ou des pirogues. Le bilan de l’année, à ce jour, s’élevait à 5303 personnes et, rien que le mois dernier, le nombre d’arrivées aux Canaries a nettement dépassé ce chiffre, atteignant à ce jour près de 18000 personnes dans un flux incessant qui n’est pas près de s’arrêter. Cependant, 2020 est aussi l’année de la Covid 19, l’année de la pandémie et de la semi-paralysie des économies mondiales et, en ce qui nous concerne, une année difficile pour l’économie espagnole et donc pour celle des îles Canaries.

Le taux de chômage dans les îles s’est accru vertigineusement, une multitude de petites et moyennes entreprises ont fermé ; le chômage des jeunes dépasse 65% et plus de 35% de la population canarienne vit sous un taux de pauvreté inouï. Malheureusement, la politisation de la question migratoire n’a fait qu’amplifier, dans un contexte européen et mondial caractérisé par une radicalisation fasciste et xénophobe d’une population majoritairement ignorante dont dépend la survie électorale des gouvernements. de ce point de vue, l’attitude des politiciens les plus modérés et/ou supposés progressistes, qualités dont se vante l’actuel gouvernement espagnol, est à la tiédeur au mieux, sinon ouvertement répressive. On viole les droits les plus élémentaires du migrant et du réfugié.

 

Les médias généralistes, propriété des secteurs les plus immobiles et réactionnaires de la population, tant espagnole qu’européenne, n’aident pas non plus, dès lors qu’elles utilisent des expressions qui exacerbent l’inquiétude et même nourrissent la peur d’une population durement touchée par cette crise, alors qu’elle ne s’était pas encore remise de la crise financière de 2008. dans ce contexte, il y a quelques jours à peine, le 18 novembre 2020, 1300 immigrants africains (au moment où ces lignes sont écrites, ils sont déjà plus de 2000), étaient entassés sur 400 m2 du quai d’Arguineguín sur l’île de Gran Canaria, dans ce qu’on a appelé «le camp de la honte», où beaucoup d’entre eux dorment depuis de longues journées dans le froid et ne peuvent ni se laver ni se changer.

Il y a quelques semaines, après une visite sur ce quai le ministre de l’Intérieur de l’actuel gouvernement de coalition espagnol, Fernando Grande-Marlaska, s’est rendu au Maroc pour convenir avec son homologue d’un durcissement des mesures répressives sur l’émigration, en y mettant tout le prix, en sacrifiant par exemple le peuple sahraoui. Ce ministre qui a failli l’être de la droite la plus rance de ce pays, s’était fendu de fausses déclarations selon lesquelles aucun migrant ne passait plus de 72 heures dans ces « conditions infâmes » (certains depuis 25 jours), quand bien même, 227 d’entre eux, maghrébins pour la plupart, ont été enlevés par la police de ce quai de la honte, transportés dans trois autobus affrétés par la maire de Mogán (zone touristique de l’île de Gran Canaria) et abandonnés à leur sort, sans nourriture, sans boisson ni argent, sur une place de la capitale, en face de la délégation du gouvernement central. Ces migrants livrés à eux-mêmes, sans le soutien d’aucune administration ont été pris en charge par certains citoyens du voisinage qui leur ont distribué de la nourriture, des boissons et des couvertures pour le cas où ils auraient à passer la nuit à la belle étoile.

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Le scandale national, bien instrumentalisé, est énorme. Les différentes administrations, dans un exercice d’hypocrisie et de cynisme, se crêpent le chignon, tandis que d’autres, politiciens, de ceux qui flairent le sang, ajoutent l’émigration aux armes qu’ils fourbissent pour tenter – de toute façon, tout se vaut- de saper et, si possible, renverser le gouvernement de la nation qui prétend être le plus progressiste de l’Histoire et qui, sans se départir de sa superbe, dit déjà, par son ministre des Migrations, que 90% des migrants sont rapatriables, expulsables, et qu’ils n’entrent pas dans le cadre de ce que notre législation modèle considère comme dignes du droit d’asile ou même, pourrait-on ajouter, de la moindre considération. La presse n’a pas le droit de prendre des photos pour ne pas risquer d’exposer les conditions déplorables dans lesquelles se trouvent ces migrants. Ces derniers ne sont pas autorisés à quitter les Canaries à destination du continent européen (dixit «bruxelles»).

À partir de là, recommencent les rapatriements immédiats, les retours dits à chaud, sans que les avocats ne puissent exercer leur travail d’instruction de dossier et de défense du migrant. Et au centre de tout ce chaos politique, une société canarienne de plus en plus polarisée. des secteurs xénophobes et ouvertement racistes appellent à manifester contre le migrant et, pour la première fois dans l’Histoire récente de la ville de Las Palmas de Gran Canaria, ville portuaire ouverte au monde et traditionnellement accueillante, des graffitis sont peints sur certains murs appelant littéralement à l’expulsion des Noirs.

Les partis politiques ouvertement fascistes font de cette situation de faiblesse et d’abattement d’une partie de la population, ignorante et peureuse, un lieu de pêche au filet pour étendre leur influence. Malgré tout cela, il y a aussi des raisons d’espérer, parce qu’une autre partie importante de la population canarienne, convoque des manifestations et des caravanes de voitures, clairement solidaires, qui parcourent la ville ou une partie de l’île, exigeant du soutien pour la population migrante. Pendant ce temps, au milieu d’une confusion sans précédent au sein des administrations, des gouvernements de tous bords, municipaux, autonomes ou centraux, manifestent leur incompétence, se reprochent mutuellement leur incapacité, rajoutant ainsi tant á la situation horrible des migrants qu’á l’inquiétude, voire la panique, d’une partie de la population canarienne.

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Après leur passage dans des hôtels et autres établissements touristiques, vides en raison de la crise provoquée par la Covid 19, certains migrants ont été reversés dans des Centres d’Internement des Étrangers (CIE), en fait des lieux de détention controversés qui avaient déjà été fermés en raison de leurs mauvaises conditions et de leur légalité discutable. de surcroit, d’anciennes casernes sont réhabilitées afin de retenir la population migrante pendant le traitement des dossiers, sans aucune garantie, de rapatriement. Ces camps, apparemment appelés à devenir permanents et sans les conditions minimales de confort, deviendront bientôt trop exigus et convertiront ces îles en véritables prisons de migrants retenus par l’Europe, cela en phase avec ce qu’ont été et sont d’autres camps dignes de l’Histoire universelle de l’infamie comme Lampedusa en Italie ou Moria en Grèce.

Le discours officiel et officieux, dans une communauté comme la Canarienne qui recevait, jusqu’à la fermeture qu’a imposée la pandémie, entre 10 et 15 millions de touristes par an, c’est qu’il n’y a pas de place pour les milliers de migrants qui arrivent, qu’ils ne relèvent pas de notre responsabilité ou, s’ils le sont, qu’ils doivent être partagés avec le reste de l’État espagnol et avec une Union Européenne qui, comme nous le savons, s’en fout de ces noyés… Il y a quelques années, une telle insensibilité a fait dire très justement au journaliste canarien basé à dakar, José Naranjo : «C’est là, dans notre tête, qu’ils essaient d’inoculer l’idée la plus pernicieuse de toutes, celle qu’il y a vraiment d’une part un « eux » et d’autre part un « nous », celle de droits différents selon l’origine ou la couleur de la peau. C’est le prix à payer pour la civilisation, disent les barbares. Et ainsi nous parcourons le monde, avec ces frontières invisibles ancrées dans le cervelet qui nous empêchent de voir ce qui se passe au-delà, et pourtant nous continuons à donner, sans honte aucune, des leçons de bien-vivre.»

Rien de nouveau sous le soleil de cette Europe non solidaire et criminelle qui, il y a bien longtemps, a abandonné les principes dont elle s’est vantée un jour lointain d’avoir le monopole, qu’elle a écrits en lettres d’or mais qui ont fini par se révéler, au prix de tant de souffrances, du papier mouillé où se noient, entre l’indifférence et le mépris, les sans-papiers du monde entier. des mers et des déserts se transforment ainsi en cimetières où repose une Europe sénile, lâche et rétrograde aux côtés de gouvernements africains irresponsables et complices.







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