Les images ont fait le tour de toutes les télés et plateformes vidéo du Sénégal. Celles d’un sac à dos noir, bourré de liasses de billets de banque, exhibé avec ostentation et remis sans pudeur sous les projecteurs médiatiques aux sinistrés du marché Ocass de Touba. On aurait presque aimé que cette image soit floutée tant elle renforce le soupçon vicieux d’une République viciée par la mal gouvernance avec cette indécente valse de millions.
L’épisode est d’autant désastreux qu’il met en scène le ministre de l’Intérieur. Voir le «premier flic de la République» se trimballer publiquement avec une cinquantaine de millions sous le bras fut un véritable acte de boucherie de tous les principes républicains. Tout le symbole de l’effondrement total de la promesse tant vantée par le président de la République d’une gouvernance sobre et vertueuse, au moment où des centaines de jeunes sénégalais sont engloutis tout au fond des océans en tentant pour certains, de vouloir tout simplement échapper à l’enfer de la désespérance.
Un dérapage moral du ministre de l’Intérieur
Cette première sortie officielle de Felix Antoine Diome (FAD), ministre régalien de surcroît et qui devrait en toute circonstance incarner l’exemplarité, fut un naufrage absolu. La séquence outrancière « de son sac à dos plein de billets » remis au Khalife Général des Mourides, risque non seulement de lui coller pendant longtemps à la peau, mais pourrait surtout se transformer en marqueur absolu de sa carrière ministérielle naissante.
Mais au-delà du dérapage moral, cette affaire jette une lumière crue sur la pratique nauséeuse de la politique dans notre pays où tout ou presque se vend et s’achète. Le Sénégal s’est transformé en hypermarché à ciel ouvert de la parole donnée, de la fierté, de l’honneur, de la loyauté, de l’engagement. Tout est mis à l’encan sur le marché des valeurs éthiques et morales. C’est « black Friday » tous les jours. Et c’est tout un pays qui est devenu une caricature géante, sonnante et trébuchante où l’argent, la cupidité sont devenus les points de fragilité d’une grande partie de son élite et de l’écrasante majorité de sa population.
On se sent presque mal de voir FAD projeté dans l’œil du cyclone politico-médiatique avec cette calamiteuse affaire, qui ne correspond en rien à l’image de ce brillant technocrate qui fait partie des cerveaux les plus exemplaires et compétents de la jeune génération de magistrats sénégalais.
Pas question d’accabler Félix-Antoine Diome
Si sa très récente nomination au très sensible poste de ministre de l’Intérieur a surpris même certains observateurs très au fait de la vie politique sénégalaise, beaucoup ont salué la promotion de ce personnage cryptique au talent et à l’intelligence reconnus. Alors pour ce haut magistrat à la précision sémantique rare, impitoyable défenseur de la société et du droit, y compris certainement aussi celui de se fourvoyer, avoir son nom au centre d’un tel torrent accusatoire doit être vécu comme une profanation de son intégrité. Bienvenue monsieur le ministre, dans le monde tempétueux de la politique.
Il n’est bien sûr pas question de faire de Félix Antoine Diome un bouc émissaire et encore moins de l’accabler. Encore trop tôt et surtout aucune expérience de gouvernement pour le tout nouveau ministre de l’Intérieur qui ne dispose pas encore de tous les codes de déverrouillage de l’univers ultra crypté et mouvant de la politique sénégalaise. Normal lorsqu’on sait que le cœur de métier de ce haut fonctionnaire a toujours été l’administration, la chose publique. Si tant est que dans cette malheureuse « affaire du sac des 50 millions », personne ne peut lui reprocher d’avoir commis une faute administrative. Si son acte reste moralement répréhensible, il n’en est pas pour autant illégal. Tout au plus, une grossière erreur de communication hélas emblématique de la dégradation avancée et continuée de l’exigence d’exemplarité républicaine.
L’irénisme présidentiel risque d’être mal compris
Mais Felix Antoine Diome ne doit pas se méprendre. Lui qui fut « la bouche de la loi » et magistrat emblématique de la lutte contre l’enrichissement illicite, doit bien savoir que tous ceux qui incarnent la République doivent s’élever à hauteur de la confiance que le peuple du Sénégal a placée en eux, en refusant d’être entraîné dans certaines dérives. Le choc et le tumulte de «l’affaire Alex Segura » du nom du représentant permanent du FMI au Sénégal sous l’ère Wade sont encore frais dans nos mémoires.
Plus que les autres, c’est au chef de l’État de faire de la moralisation de la vie publique, le mantra de son action politique. Macky Sall doit montrer la voie afin d’éviter que l’irénisme présidentiel symbolisé par le récent remaniement et sa volonté d’ouverture, ne soit perçu comme un simple entre soi partisan pour faire couler du sang beige marron dans toutes les veines de la République.
La geste (féminin) républicaine exige de tout un chacun, le respect des principes en conformité avec l’idée même de République. Pour que l’exemplarité des responsables publics cesse d’être un lointain spectre. Pour que la politique devienne enfin plus éthique.
Malick Sy est journaliste