Un violeur n’a pas sa place à la télé !
Depuis quelques semaines, nous assistons, sidéré.e.s, au retour sur les plateaux de télévision, de Cheikh Yerim Seck, condamné par la justice sénégalaise en septembre 2012 pour viol. Condamné à 3 ans de prison ferme, peine plutôt clémente vu la gravité des faits, il ne purgera pourtant que 15 mois sur la totalité de sa peine, bénéficiant d’une grâce qui avait fortement choqué les organisations de défense des droits des femmes.
Rappelons aussi qu’il était récemment déféré au parquet pour une affaire d’avortement présumé qui est toujours pendante devant la justice.
Malgré ce casier judiciaire, l’homme demeure un bon client des médias. L’avis de Cheikh Yerim Seck est sollicité sur une pléthore de sujets. Et il serait surtout « la personne ressource » à avoir quand il s’agit de sujets politiques. L’environnement médiatique serait-il si pauvre en analystes politiques ?
Nous ne pensons pas, il s’agit plutôt d’une réhabilitation orchestrée et programmée d’un homme de pouvoir, du privilège d’un mâle.
Comment les journalistes et patrons de télévision peuvent-ils se montrer si complaisants envers un violeur condamné ?
Et là, nous interpellons au premier chef M. Youssou Ndour, PCA du Groupe Futurs médias, au vu de la fréquence avec laquelle Cheikh Yérim Seck est invité sur ses plateaux.
L’environnement médiatique sénégalais est très problématique.
Il pullule d’hommes qui entretiennent à longueur de journée des stéréotypes genrées, les discriminations à l’égard des femmes, entretiennent le patriarcat et la culture du viol.
Il suffit d’écouter les émissions comme Teuss, Xalass ou Guis Guis.
Ils se sont érigés en procureur en charge d’assurer la pseudo vertu des femmes, mais ne piperont mot sur le fait qu’un violeur soit réhabilité ; par solidarité phallique sans doute.
La solidarité entre mâles doit-elle primer sur les droits fondamentaux de la moitié de la population sénégalaise ?
Pour rappel, 1 femme sur 3 dans le monde a subi au moins une fois dans sa vie des violences sexuelles et/ou physiques. Et les violeurs sont encore très peu condamnés.
Quand est-ce vous allez vous sentir concernés ?
Aux patrons de presse qui l’invitent volontiers et aux chroniqueurs qui acceptent de partager le plateau avec lui, nous demandons de reconsidérer votre rôle dans la promotion de la masculinité toxique et le traumatisme que chacune des victimes de Seck et leurs proches revivent en le revoyant à l’écran.
Aux téléspectateurs, nous demandons de boycotter purement et simplement ces plateaux qui se sont donnés pour mission de réhabiliter à grande eau ce délinquant sexuel.
« Payer sa dette » ne suffit pas !
Symboliquement, un violeur qui se pavane sur les plateaux télé est une insulte envers toute la société, et envers toutes les autres victimes silencieuses.
Quel autre délinquant sexuel au Sénégal a droit à pareille exposition médiatique? Cette réhabilitation sélective fait partie de la culture du viol.
Cette sympathie envers les violeurs pendant que les victimes continuent à se terrer, à gérer leurs traumatismes, à tenter d’avoir une vie normale, est insupportable. Elle banalise, pire, elle encourage les violences sexuelles.
Quel message envoie-t-on à toutes les femmes qui ont subi un viol ? Au-delà, quel message envoyez-vous, chers patrons de presse, journalistes et chefs de rédaction, à tous les petits garçons et à toutes les petites filles de cette société ? Que violer n’est pas si grave que ça ?
Pendant que la victime, elle, doit se terrer toute sa vie, le violeur, lui, se voit réhabilité comme si l’acte de violer est banal.
La honte doit changer de camp, le viol des consciences doit cesser !
Alors que les associations se battent au quotidien contre les mythes du viol et essayent de faire évoluer les mentalités sur ce sujet, les médias nous imposent un violeur, chaque soir.
Il est de notre responsabilité aussi de vous rappeler que le viol n’est pas un acte banal mais un acte de barbarie, que des milliers de Sénégalaises l’ont subi et que cela affecte toute leur vie.
Il est de votre responsabilité de vous engager, en tant que médias, à combattre la culture du viol et les violences sexuelles, en donnant la parole à des hommes et femmes intègres. Au lieu de laisser un contre-modèle absolu vaticiner sur tous les écrans en narguant ses victimes.
Il est de notre responsabilité de vous rappeler qu’il n’y a pas une hiérarchie des crimes qui justifierait un traitement de faveur selon l’identité du perpétrateur, quel que soit son niveau social et ses privilèges.
Signataires
1. Aby Diallo, Présidente de l’association des juristes sénégalaises
2. Awa Cheikh Seck, Administratrice technique
3. Aissatou Sène, Cheffe d’entreprise et féministe
4. Mame Diarra Diané, Manager et féministe
5. Dr. Rama Salla Dieng, Maitresse de conférences en études africaines et développement, Université d’Edimbourg
6. Aminata Mbengue, Psychologue clinicienne, féministe
7. El Bachir Niang, Président de l’association StopTontonsaïsaï
8. Micheline Lawson Niasse, CEO Pulse, manager
9. Eve Frieda Ngo Bakenekhe, Journaliste
10. Adama Pouye, Mediathécaire, communicante
11. Fatima Dieng, Project Manager
12. Kine Fatim Diop, Militante des droits humains
13. Ndeye Fatou Kane, Chercheuse en études sur le genre EHESS Paris
14. Sokhna Racky Ba, France, Professeure
15. Saly Diop, Manchester, UK Women Advocate and media specialist
16. Seydou Badiane, CEO Fabagroup
17. Adama Djitome Diatta, Journaliste
18. Marina Kabou, coordinatrice collectif Dafadoy
19. Dye Fall, Enseignante
20. Fatou Warkha Samb, Défenseure des droits des femmes, videaste
21. Aisha Dabo, Journaliste
22. Maimouna Astou Yade, Présidente de Jigen, féministe
23. Mouhamadou Elias Ndoye, collectif Dafa doy
24. Anta Ndiaye, Juriste et entrepreneur
25. Papa Ismaila Dieng, Journaliste et blogueur
26. Adji Fatou Faye, Pr and campaign manager, Ringier One Africa media
27. Dr Marame Gueye, Associate Professor of English and African Literatures, East Carolina University
28. Jaly Badiane, Activiste pour la promotion des femmes
29. Aida Niang, Conseillère municipale, Coordinatrice du Mouvement M23
30. Amy Sakho, Juriste, militante des droits des femmes
31. Fatouma Diallo, Etudiante en sciences politiques