Des intellectuels africains répondent à Emmanuel Macron (1/3). Suite à l’interview accordée par le chef de l’État français à Jeune Afrique, le 20 novembre, plusieurs intellectuels ont souhaité lui répondre. Jeune Afrique a choisi de publier trois de leurs contributions.
Celles et ceux qui ont eu l’opportunité d’échanger avec le président Emmanuel Macron au sujet de la politique française en Afrique auront été frappés par sa pugnacité et sa vivacité d’esprit. Sa longue interview accordée à Jeune Afrique en aura cependant laissé perplexe plus d’un, en particulier celles et ceux qui étaient disposés à lui accorder le bénéfice du doute. Les sceptiques, en revanche, crient victoire. Dès le début, ils ont dénoncé l’effort consistant à faire passer une révision en profondeur des rapports franco-africains ce qui, à leurs yeux, n’était qu’une simple opération marketing.
Comment leur donner entièrement tort ? Flagrante absence d’imagination historique en effet. Aucune parole politique de poids. Pas un seul concept. À parcourir rapidement ces pages, l’on en ressort avec la ferme impression que la France n’aspire qu’à une chose, sur un continent dont elle s’accorde pourtant à reconnaître le rôle vital au cours de ce siècle. Faire de l’argent.
Cynisme et raison d’État
Mieux, faire de l’argent à la manière de la Chine et de son impérialisme froidement prédateur. La Chine, ce nouveau venu que l’on présente volontiers comme un repoussoir de jour, mais que l’on ne peut s’empêcher d’admirer à la nuit tombée, le dragon qui pille gaiement, et qui, sans s’encombrer d’on ne sait quelle mission civilisatrice, oblige les Africains à gager leurs sols, sous-sol et autres biens et à tout vendre, dans l’espoir de s’acquitter de colossales dettes dont le gros des montants aura été détourné par des élites vénales.
Caricature ? À peine. Étonnement? Pas davantage. En maints endroits du monde, le libéralisme se conjugue désormais au nationalisme et à l’autoritarisme. Très peu d’États ou de régimes peuvent aujourd’hui mettre le poids d’une conduite exemplaire dans les remontrances qu’aux autres ils veulent faire. Pourquoi, dans la nouvelle course pour le continent, la France se priverait-elle d’avantages auxquels ses concurrents n’ont guère renoncé ?
Emmanuel Macron souhaite que le France fasse preuve du même virilisme sans qu’à tout bout de champ ne lui soit renvoyé à la figure son passé colonial. Ou que lui soient chaque fois rappelés ses hypothétiques devoirs en matière de défense de la démocratie, des droits humains et des libertés fondamentales. Après tout, si les Africains veulent la démocratie, pourquoi n’en paient-ils pas eux-mêmes le prix ?
Prenons donc acte du fait que, constamment, le rapport des chefs d’État de la Ve République avec l’Afrique aura été avant tout motivé par des intérêts militaro-commerciaux. Dans ce domaine, ni l’âge ni l’écart générationnel ne jouent aucun rôle, sauf peut-être idéologique, comme aujourd’hui. Les sentiments non plus, qu’ils soient d’amour, de haine ou de mépris. Seule compte la raison d’État, c’est-à-dire un ou deux juteux contrats grappillés ici et là.
Vertigineuse perte d’influence
Si, dans ce monde de larcins, calcul froid et cynisme prévalent, qu’est-ce qui distingue donc Emmanuel Macron de ses prédécesseurs ? A-t-il, mieux qu’eux, pris l’exacte mesure de ce qui se joue effectivement, à savoir la vertigineuse perte d’influence de la France en Afrique depuis le milieu des années 1990 ? Que certains s’en désolent tandis que d’autres s’en réjouissent importe peu. Dans un cas comme dans l’autre, l’on a bel et bien atteint la fin d’un cycle historique.