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Thiaroye 44, Une Plaie IneffaÇable

Thiaroye 44, Une Plaie IneffaÇable

Il est 10h du matin. L’air est suffoquant. Les éclats du soleil n’y peuvent rien. Au loin, un chant : Thiaroye.

Des centaines de corps gisent sur la terre ensanglantée de Thiaroye. 1er décembre 1944.

5h30. A l’aube, l’armée française prépare son crime. L’axe Dakar-Rufisque est bloqué ; les villageois autour ne doivent pas savoir ce qui va s’y passer.

9h20. Les forces armées réunissent, sur une esplanade, plusieurs centaines de tirailleurs. Trois automitrailleuses, un char, deux autochenilles et des voitures équipées de fusils mitrailleurs. L’armement est sophistiqué, le massacre est prémédité.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, ce sont des centaines de milliers de soldats africains qui combattent dans l’armée française. Enrôlés, souvent de force, ils provenaient de tous les territoires sous occupation coloniale française : du Sénégal au Cameroun, du Congo au Togo. Regroupés sous l’appellation de « tirailleurs sénégalais ».

En juin 1940, la France capitule ; jusqu’en 1944, le pays sera sous occupation allemande. Les soldats sont faits prisonniers de guerre, de l’autre côté de la frontière. Mais l’armée du 3ème Reich, animé par un violent racisme qui motive des tueries comme celle de Chasselet du 20 juin 1940, refuse que ces soldats noirs foulent leur sol. Des dizaines de milliers de tirailleurs sont capturés et détenus, non pas en Allemagne mais en France. Et à partir de 1943, par leurs propres officiers, sous les ordres du régime de Vichy.

À partir de l’automne 1944, de nombreuses opérations de rapatriement sont enclenchées. C’est le cas des 1950 tirailleurs rassemblés à Morlaix qui embarquent sur le navire Circasia en direction de Dakar. Environ 300 d’entre eux refusent ; l’intégralité de leurs dûs ne leur a pas été reversée. Le 11 novembre 1944, ils sont transférés au camp de Trévé, emprisonnés pendant deux mois.

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Le 21 novembre 1944, le Circasia arrive à Dakar ; les anciens prisonniers de guerre sont immédiatement transférés au camp militaire de Thiaroye. L’objectif est le rapatriement de chacun d’entre eux, au cours de la dizaine de jours suivante, en direction de leur territoire d’origine. Mais il est hors de question de rentrer chez soi sans compensation. Toutes ces promesses auraient donc été un mensonge murement maintenu…                                                                       

Le terrorisme colonial s’y interpose. Marcel Dagnan (responsable de la division Sénégal-Mauritanie) et Yves de Boisboissel (commandant militaire de l’Afrique Occidentale Française) se concertent, la veille du drame. À l’aube du 1er décembre 1944, tout est en place. Dans ses rapports, le général Dagnan évoque tantôt 35 morts, tantôt 70. Mais l’ampleur du drame est largement sous-estimée.                     

Plus de 1600 tirailleurs embarquent dans le Circasia ; près de 1300 en débarquent. Selon la version officielle, ce différentiel s’explique par le refus de plus de 300 tirailleurs d’embarquer à nouveau, lors de l’escale de Casablanca. Après les évènements, il est facile de tordre les chiffres. Mais le rapport Carbillet indique que plus de 508 cartouches furent tirées. Depuis 1944, ce sont des centaines de corps qui sont enfouies dans des fosses communes.

Le révisionnisme historique explique la tuerie par une supposée mutinerie. Trois mois après le drame, le 5 mars 1945, 34 rescapés du massacre sont condamnés à des peines allant jusqu’à dix années d’emprisonnement pour « rébellion armée », « refus d’obéissance » et « outrages à des supérieurs ». En 1946 et 1947, ils sont amnistiés, mais juridiquement toujours coupables. Coupables d’avoir refusé l’arbitraire, de s’être indignés face à l’impunité, d’avoir fait valoir leur humanité.

Chaque perte humaine demeure une plaie ineffaçable.

Thiaroye 44 ; Sétif 45 ; Haiphong 46 ; Madagascar 47 ; Casablanca 47 ; Bouaflé-Dimbokro-Séguéla 50… La liste continue.

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Les oublier serait accepter qu’ils meurent une seconde fois.

 

Thiaroye 44, an indelible wound

It is 10 in the morning. The air is suffocating. The sun’s beams are helpless. Afar, a scream: Thiaroye.

Hundreds of bodies lay on Thiaroye’s bloodstained soil. December 1, 1944.

5:30. At dawn, the French army is preparing for its crime. The Dakar-Rufisque axis is blocked; the neighbouring villagers mustn’t be aware of what is to happen.

9:20. Armed forces gather, on an esplanade, several hundred ‘tirailleurs.’ Three armoured cars, one tank, two half-tracks and cars equipped with automatic rifles. The armament is sophisticated, the massacre premeditated.

During the Second World War, hundreds of thousands of African soldiers fought in the French army. Enlisted, often by force, they came from all the territories under French colonial occupation: from Senegal to Cameroon, Congo to Togo. Grouped under the label of ‘tirailleurs sénégalais.’

In June 1940, France surrendered; until 1944, the country was under German occupation. Soldiers were captured as war prisoners, on the other side of the border. But the Third Reich’s army, animated by violent racism that motivated killings like the one in Chasselet on June 20, 1940, refused to let these Black soldiers set foot on their soil. Tens of thousands of ‘tirailleurs’ were captured and detained, not in Germany but France. And from 1943, by their officers, under the orders of the Vichy Regime.

In the autumn of 1944, repatriation operations were launched. This included the 1950 ‘tirailleurs’ gathered in Morlaix, who embarked on the Circasia ship bound for Dakar. About 300 of them refused; all of their dues had not been paid to them. On November 11, 1944, they were transferred to the Trevé camp, imprisoned for two months.

On November 21, 1944, the Circasia arrived in Dakar; the former war prisoners were immediately transferred to the Thiaroye military camp. The objective was to repatriate every one of them, within the following ten days, to their territory of origin. But there was no way they would go back home without compensation. All these promises would have been a well-maintained lie, after all…

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Colonial terrorism struck. Marcel Dagnan (head of the Senegal-Mauritania division) and Yves de Boisboissel (military commander of French West Africa) met on the eve of the tragedy. At dawn on December 1, 1944, everything was set.

In his reports, General Dagnan sometimes mentioned 35 dead, sometimes 70. But the scale of the tragedy was largely underestimated. Over 1,600 ‘tirailleurs’ boarded the Circasia; nearly 1,300 disembarked. According to the official version, this differential was justified by the refusal of more than 300 ‘tirailleurs’ to board the boat upon transiting through Casablanca. After the events, it is easy to twist the figures. But the Carbillet report indicates that more than 508 rounds of cartridges were fired. Since 1944, hundreds of bodies are still buried in mass graves.

Historical revisionism explains the killing by a supposed mutiny. Three months after the tragedy, on March 5, 1945, 34 survivors of the massacre were sentenced to up to ten years imprisonment for “armed rebellion,” “refusal of obedience” and “insulting superiors.” In 1946 and 1947, they were amnestied but still legally considered guilty. Guilty of refusing arbitrariness, being outraged by impunity, and asserting their humanity.

Every human loss remains an indelible wound.

Thiaroye 44. Setif 45. Haiphong 46. Madagascar 47. Casablanca 47. Bouaflé-Dimbokro-Séguéla 50. The list goes on.

Forgetting them would be accepting that they die a second time.







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