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Job Ben Salomon, Marabout NÉgrier Et Esclave Affranchi (l’intÉgrale)

Job Ben Salomon, Marabout NÉgrier Et Esclave Affranchi (l’intÉgrale)

A côté de la plupart des grands personnages de l’histoire africaine dont la vie et les exploits sont étudiés dans la présente collection, Job ben Salomon fait pâle figure.

Pourtant le destin de cet obscur citoyen de la Sénégambie ancienne évoque une des périodes les plus décisives de l’évolution non seulement des peuples de cette région mais du continent noir dans son ensemble.

Vie et aventures de Job

Yuba Suleyman Ibrahima Jallo (Diallo), plus connu dans la littérature exotique européenne du XVIIIe siècle sous le nom de Job ben Salomon1, naquit vers 1700 à Jamweli, village du Bundu. Situé dans la région comprise entre les vallées supérieures du Sénégal et de la Gambie, le Bundu était un Etat théocratique musulman fondé vers la fin du XVIIe siècle. Il était dirigé par des Peuls originaires du Fuuta Tooro (moyenne vallée du Sénégal) à la suite de troubles politiques et religieux2.

Issu d’une famille maraboutique, Yuba passa son enfance et sa jeunesse comme tous les jeunes musulmans de son temps3. Il fréquenta d’abord l’école coranique dirigée par son père Suleyman Ibrahima dont il devint l’assistant vers l’âge de quinze ans. Vers la même période Yuba épousa 4 une fille elle aussi issue d’une famille maraboutique du Bambuk et de qui il eut trois garçons : Abdoulaye, Ibrahim et Samba. Quelques années plus tard il épousait une seconde femme musulmane originaire de la province du Damga (Fuuta Tooro), dont il eut une fille nommée Fatima.

Un jour de février 1730, le père de Yuba ayant appris l’arrivée au comptoir de Joar (Gambie) d’un navire de commerce anglais, l’envoya accompagné d’une suite d’esclaves domestiques pour échanger des captifs contre du papier et autres articles de traite. A son arrivée au comptoir, Yuba ne put se mettre d’accord avec les marchands du navire ; il dépêcha un messager au Bundu pour prévenir son père de la décision qu’il avait prise d’aller au bas du fleuve pour échanger sa cargaison à meilleur compte. Il partit en compagnie d’un certain Lamine Ndiaye qui devait lui servir d’interprète en langue mandingue. Yuba et sa suite se rendirent dans la province du Jaara où ils échangèrent leurs esclaves contre des bœufs.

Sur le chemin du retour, ils firent halte dans un campement de pasteurs nomades pour se reposer. Un groupe de brigands les y surprit et, avant même qu’ils n’eussent le temps de prendre leurs armes, ils étaient pris et liés et leur bétail saisi. Les brigands rasèrent la tête de leurs captifs comme il était de coutume de traiter les prisonniers de guerre. Le 27 février 1730, Yuba et Lamine Ndiaye furent transportés à Joar et vendus comme esclaves sur le navire même qu’ils avaient quitté quelques jours plus tôt.

Yuba offrit au capitaine du navire qui l’avait reconnu de payer une rançon d’esclaves pour se racheter. Un marchand qui se rendait au Bundu était chargé par Yuba d’avertir son père pour qu’il envoyât les esclaves nécessaires à sa rançon. Mais le navire ayant fait son plein de cargaison humaine dès le 1er mars leva l’ancre avec à son bord Yuba et Lamine.

Deux mois après, Yuba arrivait à Annapolis dans le district du Maryland (sud des Etats-Unis actuels). Il était compté au nombre des « marchandises » de M. Vachell Denton, négrier opérant pour le compte de Williams Hunt, grand armateur et négociant anglais de Londres.

Quelques temps après, Yuba était acheté par M. Tolsey, propriétaire d’une plantation de tabac située sur l’île de Kent (Maryland). Mais Yuba se révéla incapable de s’adapter au dur travail des plantations. Très vite, il tomba malade d’épuisement. Son maître fit preuve d’indulgence à son égard en lui confiant la garde du bétail. Yuba, au lieu de s’occuper des troupeaux, passait son temps en prières. De plus, le désir de s’évader s’emparait de lui. Au début de juin 1731, il se trouvait dans une prison du comté de Kent pour délit de vagabondage. En effet, à cette époque, une loi était en vigueur dans les colonies du Sud qui stipulait que tout esclave, fugitif ou non muni de passe, fût mis en prison jusqu’à ce que l’on retrouvât son maître.

Yuba, qui ne parlait pas anglais, était incapable de donner des indications sur l’identité ou la résidence de son maître et aurait passé le reste de ses jours en détention, si un vieil esclave wolof qui servait sur une plantation voisine ne lui eût servi d’interprète auprès du juge. A la fin de l’interrogatoire, le juge Thomas Bluett5 ordonna la restitution de Yuba à son maître M. Tolsey.

La détermination de Yuba à se libérer ne faiblit pas malgré l’échec de cette tentative d’évasion. Son malheur ne fit que renforcer sa foi. Il faisait montre d’une dévotion profonde pour la religion musulmane. Il ne manquait pas une seule de ses prières quotidiennes. Il refusait toute boisson fermentée et ne mangeait d’aucune viande qui ne provînt d’un animal qu’il aurait lui-même égorgé suivant le rite musulman. Sa dévotion religieuse et sa pratique de la langue arabe d’une part, d’autre part son caractère doux et affable joint à la fierté de son allure faisaient impression même sur ses maîtres blancs. Ceux-ci, influencés par la conduite exceptionnelle de cet esclave commencèrent à croire à ses déclarations, selon lesquelles il était d’origine aristocratique et que son père était le « Grand Prêtre » musulman du Bundu, etc.

A sa demande, Yuba fut autorisé à écrire une lettre à son père pour l’informer de ses aventures. La lettre écrite en arabe devait être envoyée aux bons soins du négrier Vachell Denton cité plus haut. Celui-ci la remit au capitaine du navire qui avait transporté Yuba de la Gambie au Maryland. Lors de son esclave (sic) [= escale] à Londres le capitaine montra la lettre de Yuba à la direction de la Royal Africain Company, James Oglethorpe, gentilhomme directeur de cette compagnie de commerce et gros propriétaire de plantations dans la colonie de Georgie dont il était le fondateur, fit traduire la lettre de Yuba par des arabisants de l’Université d’Oxford. Ceux-ci auraient été impressionnés par la qualité littéraire de la lettre et la teneur morale de son contenu : James Oglethorpe ordonna à son représentant au Maryland de racheter Yuba et de le faire transporter à Londres.

Yuba obtint ainsi sa libération. Il fut confié au juge Thomas Bluett qui devait lui tenir compagnie au cours de la traversée de l’Atlantique et lui apprendre des rudiments de la langue anglaise. Vers la fin avril 1733, Yuba débarquait à Londres. Il fut accueilli par les représentants de la Royal African Company qui le logèrent à African House, le siège social de la Compagnie.

Yuba devint vite une célébrité des salons londoniens. Les gentlemen les plus en vue du monde du commerce, des sciences et des lettres se disputaient sa compagnie. Il animait les conversations par le récit détaillé de ses aventures, la description des coutumes de son pays et les commentaires sur les livres Saints, comme le Coran qu’il savait réciter par cœur et l’Ancien Testament dont les enseignements faisaient partie de sa culture islamique. Bref, Yuba ne résista pas à la tentation de séduire ce public qui voyait en lui la consécration du mythe du bon sauvage si honoré en ce Siècle des Lumières.

Au nombre des hôtes les plus prestigieux de Yuba, il faut citer Sir Hans Sloane (1660-1753), médecin et botaniste célèbre, fondateur du British Museum et médecin personnel du roi George II. Par le biais de ses fréquentations, Yuba reçut l’honneur d’être introduit à la Cour et présenté au roi et à la famille royale. A la fin l’audience Sa Majesté lui offrit une montre en or. D’autres dignitaires imitèrent le geste royal en offrant toutes sortes de cadeaux. Les gentilshommes donnèrent généreusement à une souscription destinée à couvrir la rançon de Yuba, et ses frais de transport jusqu’au Bundu. Son altesse le Duc de Montague, gros propriétaire de plantations dans les îles antillaises de Saint-Vincent et Sainte-Lucie, offrit à l’issue d’un dîner des outils agricoles de la dernière invention. Il lui fit montrer la façon de s’en servir et lui recommanda de les utiliser dès son retour dans son pays natal. Le séjour londonien de Yuba fut couronné par une réception solennelle de la Gentlemen Society of London qui, en sa séance d’avril 1734, l’avait élu en qualité de membre.

A la fin juillet 1734, Yuba embarqua sur un navire de la Royal African Company qui mettait voile sur la Gambie. Le 8 août 1734, il débarquait à James Fort, principal comptoir anglais en Sénégambie où résidait le gouverneur de la concession. Selon Francis Moore6 qui le rencontra à James Fort, dès son arrivée, Yuba dépêcha un messager au Bundu pour annoncer son retour à sa famille. En attendant, il résidait à James Fort aux frais de la compagnie, conformément aux instructions de la direction de Londres.

Yuba mit cette attente à profit en se livrant à la traite. Il échangeait les articles qu’il avait rapportés d’Angleterre contre des esclaves et des produits du cru qu’il rééchangeait ensuite contre des articles européens. Ainsi l’esclave libéré était-il devenu trafiquant d’esclaves.

Le 14 février 1735 le messager revint du Bundu avec des lettres pour Yuba. Ce dernier apprit alors que son père venait de mourir mais que le vieil homme avant sa mort avait eu le bonheur d’apprendre la libération de son fils. D’autre part, le messager rendit compte à Yuba que l’une de ses femmes s’était remariée mais qu’à l’annonce de son retour elle avait décidé de rompre avec son second mari. Mais la nouvelle qui attrista le plus Yuba fut celle annonçant que depuis son départ le Bundu était en proie à la guerre et à la sécheresse qui avaient décimé les troupeaux. Ces nouvelles décidèrent Yuba à hâter ses préparatifs de départ. Le 9 avril 1735 il embarquait sur une chaloupe de la compagnie qui faisait la liaison entre James Fort et les comptoirs les plus hauts situés sur le fleuve. De là il regagna le Bundu par la route…

Efforts de Yuba en faveur de la pénétration anglaise en Sénégambie

Depuis son retour en Afrique, Yuba demeurait en correspondance avec ses protecteurs anglais et en particulier avec la Royal African Company. Nous avons pu retrouver une lettre en arabe écrite probablement par Yuba lui-même et adressée à Sir Hans Sloane à qui il exprimait sa reconnaissance, ainsi qu’à tous ceux qui avaient contribué à sa libération.7

A la lecture des lettres de remerciements de Yuba, l’on serait tenté de croire que celui-ci devait sa libération aux seuls sentiments philanthropiques de ses protecteurs. A la vérité, la libération de Yuba était avant tout le résultat des calculs mercantiles de la Royal African Company. Les négociants et armateurs anglais voyaient en Yuba un personnage dont l’influence supposée dans son pays serait utilisée pour promouvoir les intérêts de la Royal African Company qui aspirait au monopole du commerce de la Sénégambie. En tout cas, c’est ce qui ressort des aveux aussi bien de la compagnie que d’autres protecteurs de Yuba. Ainsi dans la lettre que la compagnie adressait au gouverneur de James Fort pour lui recommander Yuba :

« Nous vous recommandons vivement de le traiter avec gentillesse durant son séjour et de veiller à ce qu’aucun de ses effets ne se perde ou ne soit détourné. Et dès que viendra la saison pour lui faire remonter le fleuve, nous vous suggérons de le transporter avec toutes ses affaires à notre comptoir le plus haut sur le fleuve. Et afin de lui permettre de rentrer dans son pays en sécurité, vous le placerez sous la protection de toute personne en qui vous feriez confiance. Si la personne qui l’accompagnera désirait parvenir jusqu’à l’intérieure de son pays (le Bundu), elle pourrait par ce moyen rendre service à la compagnie en ouvrant et en entretenant un commerce et une correspondance entre les indigènes de cette contrée et nos comptoirs du haut du fleuve ». 8          

Les déclarations de Thomas Bluett sont encore plus explicites :

« Considérant son obligeance à l’égard des anglais, il pourrait en temps opportun rendre un service considérable à nous tous. Et nous avons raisons d’espérer cela à cause des assurances reçues de Job qu’en toutes circonstances il déploierait ses meilleurs efforts pour promouvoir le commerce anglais avant tout autre. » 9

Dans leur tentative d’expansion commerciale en Sénégambie, les Anglais disposaient d’un agent sûr en la personne de Yuba. Celui-ci prit part à plusieurs missions d’exploration destinées à établir des relations entre la côte et l’intérieur.

En janvier 1736, il était guide de la mission conduite par Thomas Hull, neveu de Richard Hull gouverneur de James Fort. Cette mission avait pour but d’explorer les mines d’or du Bambuk situées au sud- est du Bundu. Au printemps de 1737, la Royal African Company mettait sur pied à Londres une importante mission. Celle-ci était dirigée par un certain Melchior de Jaspas, un Arménien parlant l’arabe à qui furent adjoints James Anderson, un jeune Anglais parlant français et désireux d’aventures, et un esclave iranien nommé joseph.

Bien que la composition de cette mission puisse paraître étrange, pour la compagnie il s’agissait de mettre à profit les connaissances linguistiques des membres qui la composaient. Elle leur remit des cadeaux à l’intention de Yuba et dans une lettre adressée à ce dernier elle lui demandait de faire tout ce qui est en son pouvoir pour développer les relations commerciales entre le Bundu et les comptoirs de la Gambie10. La mission reçut l’ordre de se rendre au Bundu pour travailler de concert avec Yuba.

La mission de Jaspas n’aboutit cependant qu’à des résultats médiocres. Dès son arrivée à James Fort, elle fut en butte à des manifestations d’hostilité raciale des agents de la compagnie. Ces derniers en retardèrent les progrès tant qu’ils purent. Ce n’est qu’en janvier 1742 que nous apprenons que Jaspas avait réussi avec l’aide de Yuba à faire signer un traité de commerce avec un obscur chef maure, un certain « Haj Mouctari », marabout de « Porto-bar », agissant au nom de son roi « Habilila » de « Gannar ». Par ce traité, « Haj Mouctari » aurait accepté de réserver à la Royal African Company le commerce exclusif de la gomme.11 Mais cet accord ne semble pas avoir été suivi d’exécution.

En décembre 1736, Yuba était arrêté et emprisonné par les ordres du directeur du fort français de Saint-Joseph au royaume du Galam (Gajaaga). Il était accusé d’être un agent au service des Anglais : on redoutait qu’il ne vînt « établir son domicile sur le passage des captifs et à proximité des mines d’or, ce qu’il ne pouvait faire sans renverser les escales de Caignoux (Kenyu) et de Tamboncany (Tambukani). »12

 A l’annonce de l’arrestation de Yuba, tous les marchands africains de la région déclenchèrent un mouvement de solidarité en sa faveur. Ils décidèrent à l’unanimité de boycotter le commerce français. Défense était faite à quiconque de faire la traite dans les escales françaises tant que Yuba ne serait pas libéré. Le trafic caravanier du Haut Fleuve fut entièrement détourné sur la Gambie au profit des Anglais.

A la fin de la saison de traite de 1736, les navires français rentrèrent vides à Saint-Louis. Le directeur du fort Saint-Joseph fut obligé de libérer Yuba.13

Jusqu’à sa mort, survenue probablement vers 177714, Yuba demeura en relations suivies avec les Anglais. Un moment, il sollicita même le soutien de la Royal African Company pour effectuer un voyage d’agrément en Angleterre. Mais la compagnie découragea cette initiative.

En même temps qu’il servait d’auxiliaire aux Anglais, Yuba développait ses propres activités marchandes. Son emprisonnement au fort Saint-Joseph et les manifestations de solidarité dont il a bénéficié auprès des marchands traditionnels démontrent à quel point il était devenu un personnage influent du commerce sénégambien.  Il était en effet un actif trafiquant d’esclaves. Toutefois, instruit par ses propres aventures, il aurait tenté d’introduire quelques réformes dans l’institution de l’esclavage de traite. C’est ainsi qu’il passa un accord avec les agents de la Royal African Company par lequel les musulmans qui viendraient à être vendus à la compagnie seraient autorisés à se libérer contre rançon. C’est à la suite de cet accord que Yuba obtint en 1738 la libération de Lamine Ndiaye, le compagnon avec lequel il avait été transporté au Maryland. Hormis ce cas, nous n’avons pas d’autres preuves que l’accord fut appliqué de façon suivie. En fait, tout porte à croire que ce geste était uniquement destiné à ménager Yuba pour qu’il servît les desseins de la compagnie.

Sous ce rapport, même si au plan des réalisations concrètes les efforts de Yuba n’avaient pas abouti à des résultats durables, ils n’en avaient pas moins constitué un atout important pour les Anglais dans les rivalités coloniales qui les opposaient aux autres puissances maritimes en Sénégambie.

Rivalités coloniales sur la côte sénégambienne

Au XVIIIe siècle, le vocable de Sénégambie désignait pour les marchands et navigateurs européens les terres comprises entre le Sénégal et la Gambie, ainsi que les établissements fortifiés de la côte mauritanienne et les « Rivière du sud » (Casamance, Rio Cacheu), l’archipel des Bissagos (Bissau).

Cette région faisait l’objet d’une âpre rivalité entre les grandes puissances coloniales européennes pour une raison double. D’abord à cause de la position stratégique privilégiée qu’elle occupe dans l’Atlantique qui était, depuis les grandes découvertes maritimes des XV-XVIe siècles, devenue au détriment de la Méditerranée le principal axe du commerce international. Ensuite parce que la Sénégambie offrait l’avantage d’avoir un rivage côtier d’accès relativement facile pour les navigateurs, en même temps qu’elle possédait des voies d’eau menant à l’intérieur, dont la plupart étaient navigables sur une bonne partie de leur cours.

Les Portugais furent les premiers Européens à débarquer sur la côte sénégambienne. Ils gardèrent le monopole du commerce de cette région pratiquement jusqu’à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècles15. A partir de cette période, ils furent supplantés par la Hollande qui était devenue la plus grande puissance coloniale européenne.

Mais vers la fin du X VIIe siècle, la Hollande était en proie à des difficultés politiques intérieures qui donnèrent aux Français et aux Anglais l’occasion d’acquérir graduellement des positions dans le commerce sénégambien et de raffermir ces derniers au détriment de leur rivale.

Au début du XVIIe siècle, le Portugal ne gardait plus que quelques maigres comptoirs dispersés à l’embouchure des « Rivières du Sud ». Les marchands portugais qui étaient établis sur ces comptoirs avaient renoncé à toute expansion commerciale en raison de l’impossibilité pour la métropole en déclin de les soutenir militairement sur le terrain et diplomatiquement en Europe. Au contraire des Portugais, les Français disposaient d’un réseau commercial assez solide dans la région. Dès 1664, ils avaient fondé une compagnie dénommée la « Compagnie du Sénégal » dont le but était d’exercer le monopole du commerce entre le cap Blanc et la rivière de Sierra Leone. La compagnie devait fournir aux îles françaises d’Amérique «2 000 nègres par an pendant huit années et […] à sa Majesté tel nombre qu’il lui plairoit ordonner par le service de ses galères »16. En contrepartie, elle était exemptée de la moitié des droits d’entrée des marchandises qu’elle importerait d’Afrique et d’Amérique. À partir du fort de l’île Saint-Louis (Sénégal), son siège où résidait le gouverneur de la concession, la compagnie rayonnait sur une dizaine de comptoirs dont les plus importants étaient : Arguin et Portendicke sur la côte mauritanienne : l’île de Gorée et Joal sur la « Petite Côte », Albréda sur la Gambie et, vis-à-vis du fort anglais de James Island, les îles Bissagos, enfin le fort Saint-Joseph dans le royaume de Galam (Gajaaga) sur Haut Fleuve (Sénégal).

Toutefois, jusque dans le premier quart du XVIIIe siècle, le monopole français était plus théorique que réel 17.

La Compagnie du Sénégal était en butte à la concurrence des « interlopes », c’est-à-dire des navires de contrebande hollandais, notamment sur la côte mauritanienne. Les incursions des interlopes dans les possessions que s’étaient arrogées les Français furent à l’origine de conflits répétés entre les forces navales des deux pays au large de la côte sénégambienne.

Par le traité dit de la Haye, conclu le 13 janvier 1727, la Hollande renonçait définitivement à toute prétention sur le commerce de la région. La France devenait la première puissance maritime en Sénégambie.

Mais les Anglais étaient résolus à s’opposer par tous les moyens à l’hégémonie française. À l’instar de leurs rivaux, ils avaient confié le commerce exclusif de leurs possessions sénégambiennes à la Royal africain Company[18].

Cette compagnie exerçait un contrôle très sévère sur la Gambie depuis l’embouchure jusqu’aux chutes de Barakunda, point terminus de la navigation. De plus, elle possédait plusieurs points de traite sur les affluents de ce fleuve et menaçait gravement les positions de la Compagnie du Sénégal sur les rivières du Sin et du Salum, ainsi que sur la « petite côte » aux environs de Joal et Portudal. Sur la côte mauritanienne également, les « interlopes » Anglais opéraient à proximité des comptoirs français. La pression anglaise était devenue si forte sur les Français que ces derniers durent évacuer l’archipel des « Bissagos » (Bissau) et négocier l’abandon du comptoir d’Albréda au profit de leurs rivaux (1728). Même sur le Haut

Fleuve Sénégal (Etats du Galam : Bundu et Xasso – khasso) où la Compagnie du Sénégal était la seule à posséder des établissements fortifiés, les Anglais avaient inauguré au XVIIe siècle une politique de pénétration dont nous avons vu les prolongements avec les activités de Yuba Suleyman Jallo. Dès 1689, une mission anglaise conduite par Cornelius Hodges était parvenue au Bundu et au Galam19. Cette mission, comme celles qui lui succédèrent, visait à briser le monopole exercé par les Français et à assurer la jonction entre les comptoirs de la Gambie et les marchés des Etats du Niger dont le Haut Fleuve constituait la plaque tournante.

Dans le premier quart du XVIIe siècle, nous assistons dans cette partie de la Sénégambie à une véritable guerre commerciale entre la Compagnie du Sénégal et la Royal Africain Company. Chacune de ces compagnies tentait d’attirer vers elle les caravanes de marchands traditionnels. Elles n’hésitaient pas à utiliser le dumping pour tenter de s’éliminer mutuellement. Dans cette lutte, l’Angleterre disposait d’un atout majeur. Le progrès notable accompli par ses manufactures lui permettait de présenter les produits manufacturés à un taux plus avantageux pour les marchands traditionnels. D’où la tendance de ceux- ci à préférer la traite avec les Anglais au détriment des Français, malgré la distance qui séparait la Gambie des marchés de l’intérieur. Les Français essayaient tant bien que mal d’imiter cette stratégie d’expansion des Anglais. Ce qui ne fit qu’accroître les tensions entre les deux puissances.20

Ainsi, partout en Sénégambie, les frictions se multipliaient entre les compagnies commerciales soutenues par leurs gouvernements respectifs qui mettaient à leur disposition des forces navales de protection. Des collisions fréquentes en résultèrent entre les bâtiments de la flotte des deux pays. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la Sénégambie demeura l’un des principaux foyers de crise internationale qui joua un rôle considérable sur le cours des guerres coloniales, voire des conflits continentaux qui opposèrent les grandes puissances maritimes de l’Europe au cours de cette période.

Causes profondes des rivalités Franco-anglaises

L’animosité avec laquelle Français et Anglais se sont combattus en Sénégambie dans la première moitié du XVIIIe siècle était à la mesure de l’importance économique que représentait cette région. Trois « produits » principaux constituaient à cette époque la richesse de la Sénégambie : les esclaves, la gomme et l’or.

Le développement de l’économie de plantations dans les îles et le continent américain à partir du milieu du XVIe siècle eut comme conséquence une demande croissante de main-d’œuvre que la population indienne des Amériques ne pouvait satisfaire. Très vite, les Amérindiens furent décimés par l’esclavage, le travail forcé et les épidémies. Les planteurs se tournèrent vers l’Afrique noire pour assurer la relève.

En tant que région la plus proche d’Europe et d’Amérique, la Sénégambie fut le premier foyer où fut inauguré ce qu’on appelle le commerce triangulaire 21. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, il semble que la majorité des esclaves traités dans cette région provenait des Etats de la bordure côtière. Au début du XVIIIe siècle cependant, la côte fut relayée par les Etats de la boucle du Niger. Deux faits historiquement liés sont à l’origine de cette évolution : d’une part l’invasion marocaine de l’empire Songhay (Gao) à la fin du XVIe siècle avait entraîné une situation d’anarchie qui s’est répandue dans tout le Soudan occidental. En réaction à la fois contre les exactions des troupes d’invasion marocaines et l’oppression de la classe dirigeante de l’empire Songhay, des groupes minoritaires comme les Bambara (ou Banmana) organisaient leur propre défense suivant des principes de démocratie militaire. Ce processus aboutit à la création d’Etats dotés d’une formidable puissance guerrière, comme le royaume de Ségu qui, à partir de la révolution qu’il introduisit dans la tactique militaire, se maintenait et

renforçait son pouvoir d’Etat sur la base de l’asservissement des populations voisines. Le royaume bambara du Karta évoluera dans le même sens.  

Les guerres de conquête bambara, qui atteignirent leur point culminant dans la première moitié du XVIIIe siècle, jetèrent sur le marché sénégambien un nombre croissant de captifs que les marchands africains acheminaient sur la côte et les comptoirs français du Haut Sénégal (Galam et Bundu) 22. En même temps, plus à l’est de ces royaumes, dans les Etats de la vallée du fleuve Sénégal, les querelles dynastiques qui minaient les monarchies traditionnelles étaient mises à profit par le roi du Maroc pour mettre à exécution ses prétentions sur ces riches terroirs. Ainsi la période 1700-1740 fut-elle marquée par les déprédations fréquentes des « Ormans », terme sous lequel on désignait alors les troupes marocaines. Les « ormans constituaient une bande de guerriers pillards vivant sur le pays et réduisant la population en esclavage. Même les souverains qui faisaient appel à eux contre leurs voisins n’étaient pas épargnés par leurs méfaits23.

De la sorte, nous assistons dans la première moitié du XVIIIe siècle à un accroissement considérable du système de la captivité en Sénégambie. L’apparition de ce phénomène coïncidait avec un essor parallèle de la demande européenne en esclaves. En effet, c’est à cette époque que les Français donnaient une impulsion nouvelle à leur économie de plantation aux Antilles. Les Anglais par un arrangement dit de l’Asiento conclu avec l’Espagne en 1703 (Traité de Methuen), obtenaient le droit exclusif de fournir aux colonies espagnoles d’Amérique le nombre d’esclaves dont elles

avaient besoin. D’où les efforts des Anglais pour accroître leur approvisionnement en ce « produit ». La demande européenne et l’offre sénégambienne se stimulaient mutuellement.

Ainsi la première moitié du XVIIIe siècle fut la période d’apogée de la traite négrière en Sénégambie. Le fait que Yuba Jallo soit originaire du Bundu, principal centre de transit des caravanes d’esclaves, explique l’importance exceptionnelle revêtue par ce personnage aux yeux des Anglais.

La gomme constituait le second produit qui faisait l’objet des rivalités acharnées franco-anglaises. En fait, ce « produit » ne provenait pas de la Sénégambie elle-même. Elle était cueillie dans les forêts des gommiers (différentes variétés d’acacia) qui se trouvent dans le centre de la Mauritanie actuelle24. La gomme servait à divers usages. Elle était utilisée dans la confiserie et la droguerie. Les médecins du XVIIIe siècle lui attribuaient la vertu de guérir nombre de maladies : « humeur séreuse », rhume, dysenteries, hémorragie, etc. Mais c’est surtout en tant que matière première utilisée dans l’apprêt des tissus que la gomme revêtait une importance économique de premier plan. L’introduction de la gomme dans la manufacture textile constituait une mutation technologique aux conséquences très importantes. Elle permettait à la manufacture européenne de fabriquer des produits textiles de qualité supérieure, donc de concurrencer plus facilement les textiles des autres régions du monde, des Indes en particulier. Car avant de détruire par la force la manufacture textile indienne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les Anglais avaient commencé à imiter, en les améliorant grâce à la gomme, les modèles de toiles indiennes. C’est sur la base des mutations technologiques intervenues dans le secteur des manufactures textiles et surtout la manufacture du coton d’une part et, d’autres part, l’immense accumulation de capital que l’échange des produits textiles sur le marché mondial a entraînée, que l’Angleterre fut à même d’accomplir dès la première moitié du XVIIIe siècle sa première révolution industrielle.25

On comprend dès lors l’acharnement des Anglais à vouloir contrôler les sources de la gomme. Or l’hégémonie française en Sénégambie mettait en péril leurs efforts. Grâce à ses comptoirs d’Arguin, de Portendicke et aux escales du fleuve Sénégal, zone exclusive de traite de la gomme, la Compagnie du Sénégal été devenue le principal fournisseur de gomme en Europe. Elle détenait un monopole de fait sur la distribution de ce produit. Vers 1720, la bourgeoisie française, effrayée par les progrès du grand commerce maritime et des manufactures anglaises, lançait une vaste opération de sabotage de l’économie anglaise. Les négociants de Rouen, Bordeaux, Nantes et la Rochelle qui formaient le groupe le plus actif dans le commerce colonial qui avait fait la fortune de leurs villes, imposèrent un embargo sur les fournitures de gomme à l’Angleterre et à la Hollande. En 1718 la Compagnie du Sénégal, avec l’appui du gouvernement royal, fit racheter par ses agents tous les stocks de gomme existant en Europe. Elle les bloqua ensuite pour provoquer artificiellement une pénurie de ce produit devenu indispensable. L’accaparement des stocks par la compagnie du Sénégal permit à cette dernière de rehausser considérablement le prix de la gomme. Jusque vers 1760 les manufactures anglaises souffrirent d’une crise provoquée par les « disettes de gomme » du Sénégal.

Les importations de la Royal Africain Company baissaient graduellement. Cette baisse provoqua même l’effondrement de la compagnie anglaise en 1755.

Les Anglais réagirent très vivement contre l’embargo français. D’une part la Royal Africain Company encourageait dès les années 1730 des tribus Maures à exploiter les forêts d’acacia qui se trouvaient entre le Bundu et le royaume du Jolof dans la zone semi-désertique du Ferlo. La compagnie anglaise espérait ainsi contrôler le nouveau débouché, d’autant que cette zone était plus facile d’accès à partir des comptoirs de la Gambie que ceux du Sénégal. C’est là une autre raison qui explique l’intérêt des Anglais pour les entreprises de Yuba Jallo. Mais la gomme du Ferlo était de qualité médiocre et, de plus, la production de cette zone était largement en dessous des besoins anglais. Les manufacturiers anglais multipliaient leur pression sur la chambre des communes pour qu’elle prît toutes mesures utiles pour préserver les fournitures normales des gommes du Sénégal. Après le traité de Paris, en 1763, qui mettait fin à la guerre coloniale dite de Sept ans (1756-1763), les manufacturiers anglais obtinrent satisfaction avec la cession du Sénégal à Angleterre.26

En plus des esclaves et de la gomme, l’or occupait une place de choix dans les rivalités des puissances maritimes en Sénégambie. Depuis l’antiquité classique jusqu’à la « découverte » de l’Amérique, l’or du Soudan (Afrique au Sud du Sahara) a joué un rôle majeur dans l’histoire monétaire des civilisations du bassin méditerranéen. Il a contribué de façon décisive à la prospérité de ces civilisations.27 C’est le contrôle des sources du métal jaune qui fut l’un des principaux objectifs des « Grandes découvertes » et qui amena les européens à s’établir sur les côtes d’Afrique.

La découverte des mines d’or et d’argent d’Amérique avait depuis le XVIe siècle entraîné un afflux considérable de métaux précieux en Europe au point de reléguer l’exportation africaine au second rang. Mais cette évolution coïncidait avec un essor sans précédent du commerce international et n’aboutit pas, par conséquent, à étancher la soif de métal précieux qui constituait un handicap à l’expansion de l’économie mercantile de plusieurs pays d’Europe occidentale. Au début du XVIIIe siècle le papier monnaie venait tout juste de faire son apparition. Mais il rencontrait encore la méfiance et l’hostilité aussi bien de certains secteurs du capitalisme commercial que des populations. Ainsi, en France, l’expérience de spéculation financière sur la base du papier monnaie lancée par Law échouait-elle lamentablement en 1723.

En ces temps où l’or exerçait un rôle prépondérant dans les échanges, la Sénégambie, en tant qu’une des sources de ce métal, entrait nécessairement dans les préoccupations stratégiques des grandes puissances coloniales. En Sénégambie les placers aurifères étaient situés dans le triangle formé par le cours supérieur des fleuves Sénégal et Niger et la rivière Falémé. L’or était extrait des alluvions des cours d’eau ou des mines (Bambuk, Buuré). Le Bundu, patrie de Yuba Suleyman Jallo, était précisément situé aux portes de ces placers. Bien qu’au XVIIIe siècle la production d’or de cette zone semble avoir été beaucoup moins importante que celle d’autres régions (Ashanti -Ghana actuel- par exemple), elle n’en constituait pas moins un objet de rivalité entre l’Angleterre et la France. La Compagnie du Sénégal et la Royal africain Company étaient convaincues qu’en prenant en main la direction de l’exploitation des mines elles arriveraient à augmenter sensiblement leur rendement, ou en tous cas à dépasser la production locale qu’elles jugeaient insuffisante. C’est là une autre raison qui avait incité la Compagnie du Sénégal à fonder des comptoirs permanents dans le royaume de Galam (Gajaaga). Quant aux Anglais, dès le début du XVIIe siècle, ils avaient lancé plusieurs tentatives de pénétration dans la zone des mines d’or. La plus importante de ces tentatives fut celle de Richard Jobson en 1620. Ce dernier ne réussit pas à aller au-delà des chutes de Barakunda en Gambie.28 C’est seulement en 1689 qu’une mission anglaise, la mission de Cornelius Hodge, arrivait dans le Haut Sénégal, mais elle revint sans avoir abouti à des résultats concrets.29 Les missions confiées à Yuba Jallo entraient aussi dans le cadre des convoitises anglaises pour l’or de la Sénégambie.

La question de la traite dans l’histoire de la Sénégambie

L’analyse des problèmes liés à la biographie de Yuba Jallo vient de nous révéler l’importance de la traite européenne dans l’histoire de la Sénégambie dans la première moitié du XVIIIe siècle. Les historiens sont unanimes à reconnaître que la traite a été le phénomène qui a le plus influé sur l’évolution du continent noir. S’appuyant sur des principes moraux, ils condamnent tous l’esclavage. Toutefois dans leurs travaux scientifiques, ils formulent des jugements différents, voire opposés, quant aux conséquences de la traite sur les sociétés africaines. A quelques nuances près, les jugements des auteurs contemporains peuvent être rangés en deux grandes catégories. La première école qui regroupe la majorité voit dans la traite le facteur principal du déclin de l’Afrique et de son retard sur les autres continents. Les historiens de cette école30 avancent très souvent la thèse d’une dépopulation massive de l’Afrique à la suite de l’esclavage atlantique pour étayer leur jugement. Mais leur argumentation repose sur des données quantitatives la plupart du temps incertaines.

La deuxième école, toute récente, est formée par des historiens anglo-saxons dont le plus en vue est P. D. Curtin. Celui-ci, au terme d’une enquête très minutieuse dans les archives en Europe, en Afrique et en Amérique sur le nombre d’esclaves « exportés » par le continent noir durant la traite atlantique, aboutit à la conclusion que les chiffres traditionnellement avancés sont exagérés. Selon lui, l’Afrique n’aurait pas exporté plus de 9,5 millions d’individus pour toute la période, jusqu’à l’abolition de l’esclavage (XVIe – XIXe siècles) : les conditions de la navigation atlantique à cette époque n’auraient pas permis aux européens d’en importer plus vers les Amériques. Par ailleurs, en objection à la thèse de la dépopulation massive du continent, il suggère que l’introduction de plantes nouvelles comme le manioc, le maïs, la banane, etc., en Afrique grâce aux liaisons entre ce continent et l’Amérique à partir des relations de traite, a dû contribuer au bien-être des populations africaines et par conséquent agir dans le sens d’une croissance démographique.31 Enfin, il affirme que l’impact de l’esclavage fut très limité dans le temps sur les sociétés africaines, puisque, dès l’abolition de l’esclavage, les sociétés ont fait preuve d’une adaptation rapide aux nouvelles conditions économiques.

La plupart des thèses de P.D. Curtin sont reprises et élaborées par J. D. Fage. Ce dernier se fonde sur deux arguments principaux pour réfuter les thèses de la première école.32 Après avoir montré que les régions les plus touchées par l’esclavage (Golfe du Bénin, côte Congo- Angola) sont paradoxalement parmi les régions les plus peuplées de l’Afrique d’aujourd’hui, il conclut que l’esclavage n’a pas eu les effets démographiques négatifs que l’on prétend – se basant sur l’essor consécutif à la traite d’une part et, d’autre part, des Etats puissants comme les royaumes d’Oyo (Nigeria actuel) et du Dahomey dont l’ascension est liée au commerce atlantique, il estime que la traite a exercé dans l’ensemble une influence historiquement positive sur le destin de l’Afrique.33 

La présente étude ne peut examiner ces thèses en détail. Tout au plus peut-on, en donnant une brève analyse des conséquences de la traite en Sénégambie dans la première moitié du XVIIIe siècle, ébaucher quelques remarques critiques.

Impact de la traite sur les formations sociales sénégambiennes

La traite atlantique en général, et surtout le développement de l’esclavage, sont à l’origine de bouleversements sans précédents dans l’histoire des peuples de la Sénégambie. Au cours de la période étudiée, le processus d’intégration de l’économie sénégambienne dans le commerce triangulaire, pièce maîtresse du commerce mondial de l’ère mercantiliste, connaît une impulsion décisive. Par les mécanismes de la libre concurrence et l’introduction forcée des produits de traite européenne, la production intérieure baissa sensiblement. Des manufactures locales comme celle du coton et l’industrie domestique du fer périclitent au profit des textiles et du fer ouvragé apportés par les marchands d’Europe. L’essor des échanges avec l’Europe entraîne un développement inégal très marqué à l’intérieur de la Sénégambie. La zone côtière, les axes fluviaux et les carrefours des routes caravaniers de l’intérieur, comme le Bundu, pays de Yuba Jallo, constituent alors les principaux centres de croissance de l’économie sénégambienne. L’arrière-pays servant de marché intérieur fournit, outre les produits de traite, du mil et du riz destinés à ravitailler les captiveries (Gorée, Saint-Louis) et les bateaux négriers en route vers l’Amérique. La traite des produits de subsistance au détriment de la consommation locale rend les masses populaires plus vulnérables aux catastrophes naturelles (sécheresses, inondations, invasions de criquets, épizooties …) qui sont particulièrement fréquentes entre 1650 et 1750 environ. Au cours de cette longue période, la Sénégambie est victime de disettes et de famines accompagnées d’épidémies qui accentuent la ponction démographique opérée par l’esclavage atlantique et donc la crise économique de la région.34

Cette crise place la Sénégambie dans une position de dépendance plus marquée vis-à-vis du marché mondial dominé par le mercantilisme européen. Les transformations sociales qui s’opèrent à cette époque sont dialectiquement liées à la situation économique. Progressivement, la traite marque de son empreinte délétère les relations sociales, les rapports de production et même les idéologies au sein des sociétés sénégambiennes. L’institution ancienne de la captivité domestique change radicalement de forme et de contenu. Le nombre des captifs domestiques s’est considérablement accru à la suite des guerres, aussi de la misère qui oblige des paysans soit à offrir leurs services à un seigneur, soit à disposer de leurs enfants en échange d’une protection ou de quelque pitance. La proportion des hommes libres baisse nettement au profit des captifs et autres personnes placées à divers degrés de dépendance personnelle et sociale. Pour les auteurs du XVIIIe siècle, la société sénégambienne est en majorité composée de personnes dépendantes.35 L’exploitation du travail des esclaves s’aggrave. C’est au sein de cette population servile que se recrutent les esclaves destinés à la traite atlantique. Souvent sans moyens de défense, ils sont plus que les hommes libres exposés aux guerres et aux rezzou. Avant l’intrusion de la traite européenne, les captifs domestiques étaient intégrés dès la deuxième génération au sein de la famille du maître.36 Un ensemble de coutumes réglait les relations entre maîtres et captifs. Si les seconds doivent aux premiers une rente en produit ou en travail, les premiers leur doivent en contrepartie protection et assistante. Le maître ne pouvait revendre un captif domestique de deuxième génération et au-delà. L’intensification de la traite européenne donne l’occasion aux maîtres de se soustraire à leurs obligations légales. De plus, le système pénal des Etats prend un contenu plus sévère à l’égard des délinquants. Alors que traditionnellement des délits comme le vol ou l’adultère étaient punis simplement de dommages et intérêts, au cours de cette période ces mêmes délits deviennent passibles de l’esclavage. Francis Moore cite par exemple le cas d’un homme qui fut vendu comme esclave pour avoir volé une pipe. Un habitant de la province du Kantora (Gambie) qui avait tué accidentellement un homme se voit réduit à l’esclavage sur ordre du chef de province ; celui-ci décide encore que les trois frères et sœurs du meurtrier seront à leur tour échangés sur un navire négrier qui mouille à Joar (Gambie).37 La traite contribue à l’approfondissement des inégalités de droit et de fait qui prévalent au sein des sociétés sénégambiennes. Entre la fin du XVIIe et le XVIIIe siècle, des minorités ethniques à organisation sociale moins développée comme le groupe Tenda (Bassari, Koniagui, Badianke, etc.) sont victimes d’un véritable génocide de la part d’Etats voisins mieux organisés comme les royaumes mandingue de la Gambie (Kaabu) et l’Etat théocratique musulman du Fouta-Jallon fondé en 1725 ; le pays Tenda est transformé en garenne de chasse aux esclaves pour les oligarchies voisines. S’il est vrai que la traite européenne a favorisé le développement des structures étatiques, même chez des communautés à organisation sociale égalitaire comme celles de la bordure forestière guinéenne (Balantes, Pepels, Mandjaks, Jolla de Casamance) et les pasteurs nomades comme les Peul du Fuladu, les régimes qui naissent durant ce temps sont d’une nature particulière. À la différence de leurs prédécesseurs, ces régimes de type nouveau ne reposent plus pour l’essentiel sur un consensus populaire pour autant que l’on puisse utiliser un tel concept pour cette époque38 : en d’autres termes, ce sont des régimes militaires fondés sur la violence armée et qui entendent se maintenir par le même moyen. Les armes à feu introduites par les européens en quantités de plus en plus grandes constituent l’instrument déterminant pour affirmer leur pouvoir à l’intérieur et assouvir leurs desseins expansionnistes à l’extérieur. Leurs bases économiques elles-mêmes changent avec la traite.

Les revenus des taxes sur les marchands et des douanes renforcent le pouvoir économique de l’Etat. Les produits de traite remplacent, comme principale source de revenu de l’État, les produits agricoles jadis prélevés sur les paysans sous forme de rente en travail et en produits. Les marchandises européennes considérées comme produits de luxe sont utilisées par les souverains pour entretenir la fidélité des courtisans et des clients de plus en plus nombreux et avides. Il en résulte une demande croissante de ces produits étrangers. Et quand les revenus des taxes et des douanes ne suffisent pas à faire face aux besoins, les rois s’endettent auprès des compagnies commerciales. Mais aussi, ils organisent des pillages sur les biens de leurs sujets dont ils réduisent certains à l’esclavage. Mues par leurs intérêts et objectifs de classe, les couches dirigeantes de la Sénégambie se trouvent ainsi dans une situation de collusion effective avec les négriers. Utilisant l’instrument du chantage économique, ces derniers parviennent aisément à briser les velléités d’indépendance de souverains comme Latir Fal Sukabe Damel (roi) du Kayor (1697-1719). Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, les ingérences des agents des compagnies commerciales dans la politique intérieure des Etats sénégambiens se multiplient. Les négriers soutiennent les factions les unes contre les autres. Cette politique de division favorise les révolutions de palais et, plus grave encore, fait éclater des guerres civiles. Sans exception, tous les États Sénégambiens deviennent à cette époque des champs de bataille où s’affrontent de façon permanente les différentes coteries de la classe dirigeante.

Dès le milieu du XVIe siècle sous la pression de la traite atlantique, l’empire du Jolof, un des Etats les plus vastes de la région, se disloque en donnant naissance à plusieurs royaumes indépendants (Kayor, Baol, Waalo et Jolof proprement dit). Le morcellement entretenu par les négriers devient la donnée permanente de la géographie politique de la Sénégambie. Ce tableau est encore assombri par les guerres extérieures que chaque régime mène, soit pour se défendre contre les invasions du régime voisin, soit pour piller ses possessions. Aux temps de Yuba Jallo, une ambiance d’insécurité, d’anarchie et de misère règne en Sénégambie. Ruinés par les catastrophes naturelles et les pillages des princes, déplacés de force par les guerres, des paysans errants tentent d’organiser leur propre défense en formant des bandes qui à leur tour se livrent aux brigandages sur les routes et sèment la terreur autour des agglomérations.  Aux champs, sur les routes et même dans les villages, l’on est obligé d’être armé en permanence pour faire face à d’éventuels assaillants qui, à défaut de biens, s’emparent des personnes pour les vendre aux négriers. Les déplacements entre localités ne se font pas en dehors de groupes de dix à cent personnes armées, seuls capables de tenir en respect les brigands. C’est à la lumière d’un tel contexte que s’explique la capture de Yuba Jallo.

Si la traite a, d’une part, accentué la misère des gens du peuple et, d’autre part, amorcé le déclin des classes dirigeantes de la Sénégambie, il en va tout autrement des marchands traditionnels. Ceux-ci portent la dénomination générale de Jula (dyula)39, qui désigne à cette époque en Sénégambie tous ceux qui, sans distinction d’appartenance ethnique, ont pour profession l’échange des produits à l’intérieur d’une zone donnée, et entre cette zone et les comptoirs européens. De tous les groupes de la société sénégambienne ancienne, les marchands forment la classe la plus homogène. Ils se différencient non seulement par l’identité de leurs occupations, mais aussi par une communauté de religion (l’islam).

De plus ils parlent les mêmes langues (différents dialectes de la langue mandingue) qui achèvent de faire d’eux une communauté se distinguant par une culture identique.

Au contraire de l’aristocratie et de la paysannerie, les marchands se trouvent enrichis par la traite. Les sources du XVIIIe siècle nous montrent généralement ces négociants comme des « gens riches, policés et de bon commerce ». A la faveur de l’essor de la traite atlantique, ils ont établi tout le long des routes caravanières, du Niger à l’Atlantique, de gros bourgs commerciaux. Ces bourgs jouent le double rôle de marché et de sanctuaire religieux. Ils sont, la plupart du temps, entourés de villages et de hameaux où une population essentiellement composée de captifs domestiques se livre à la culture et à l’artisanat. En vertu de la puissance économique qu’ils détiennent et du pouvoir surnaturel que leur connaissance du coran et des textes sacrés de l’islam est censé leur conférer, les marchands musulmans font l’objet d’une vénération très grande de la part du peuple.  L’insécurité qui règne dans la région à ce moment joue en faveur de l’influence grandissante des communautés musulmanes dans la société sénégambienne. Les musulmans jouissent de l’immunité : en cas de conflits armés, leurs demeures sont inviolables ; si l’un d’entre eux vient à être prisonnier ils paient une rançon pour obtenir sa libération. L’islam leur sert dans la pratique de ciment idéologique pour affirmer leurs intérêts de classe. Tous ceux qui se mettent sous leur protection bénéficient de cette immunité. Ainsi, de proche en proche, réunissent-ils à grossir au détriment de l’aristocratie leur clientèle recrutée parmi les paysans. Des villes musulmanes comme Koki dans le kayor, Setuko sur la Gambie, et Gunjuru et Daramanne sur le Haut Sénégal voient ainsi leur population croître prodigieusement au cours de cette période. Contrairement à la thèse souvent reprise de Spencer Trimingham40, qui voit un recul de l’islam en Afrique de l’Ouest entre le XVIe et le XVIIIe siècle, la Sénégambie de cette période témoigne de progrès rapides dans la diffusion de cette religion.

Les musulmans avaient acquis tant de puissance qu’ils étaient à même de revendiquer la direction politique de plusieurs Etats de la région :

« Ils étoient assez forts avec leurs voisins, leurs alliez, non seulement pour résister à toute la puissance de l’Etat ; mais encore, parce qu’on étoit assuré dans tout le pays que ceux qui ozeraient leur faire le moindre déplaisir devoient s’attendre à mourir sans rémission dans trois jours »41.

C’est cette politique qui leur permettra de réaliser comme au Bundu vers 1690, et plus tard au Fuuta Toro (1775), une révolution politique qui, comme d’autres tentatives plus ou moins réussies au Kayor, Waalo, etc…, a pris la forme de véritables révoltes bourgeoises. Bien que les mots d’ordre de ses révoltes aient varié selon les époques et les localités, ils n’en ont pas moins revêtu dans l’ensemble un contenu identique, à savoir la condamnation de l’attitude de l’aristocratie traditionnelle, notamment les exactions de cette dernière et sa collusion avec les négriers. C’est cette politique des marabouts qui leur a valu l’alliance des paysans ; alliance qui se renforcera davantage au XIXe siècle avec les guerres de conquête coloniales et dont nous voyons encore les traces si vivaces dans la société sénégambienne d’aujourd’hui. En utilisant Yuba Jallo, musulman fervent, comme instrument de sa politique d’expansion, la Royal African Company optait pour les forces montantes de la société sénégambienne. Cependant, on a vu que ce choix n’avait abouti qu’à de maigres résultats pour la période considérée. En dépit de cet échec relatif des Anglais, la traite dans ensemble n’en a pas moins contribué de façon décisive au déclin des formations sociales sénégambiennes. Bien que la Sénégambie fût, de l’avis général des historiens, une des régions les moins productrice d’esclaves, ses structures économiques, sociales et politiques ont été profondément marquées par la traite.

Contrairement aux assertions de P.D. Curtin42 l’empreinte de ce phénomène est très durable puisque nous en voyons les stigmates encore aujourd’hui dans notre société contemporaine. D’où le grave danger de vouloir analyser l’esclavage par les données quantitatives.

L’évocation de la vie et des mésaventures de Yuba Suleyman Jallo, et surtout l’ambiance sociale qui en constitue la toile de fond apparaît donc digne d’intérêt. Pour le lecteur non averti, l’attitude de collaboration de Yuba avec les négriers pourrait surprendre de prime abord. En présentant une analyse des conflits sociaux qui régnaient en Sénégambie dans la première moitié du XVIIe siècle, on a voulu montrer que le comportement de l’homme était conforme à celui d’un groupe social plus large : l’aristocratie, traditionnelle. Celle-ci constituait la classe dirigeante qui, pour ses propres intérêts, se rangeait du côté des négriers. Ce comportement était la traduction sur le plan politique et social de la dépendance de l’économie sénégambienne vis-à-vis du marché occidental en cette phrase de capitalisme mercantile, qui contribuait à dissoudre par la violence les rapports sociaux traditionnels, conformément au modèle général des relations entre le capitalisme et les formations sociales précapitalistes :

«… Pour les dépouiller de leurs moyens de production, leur prendre les forces de travail et les transformer en clients de ses marchandises, il [le capitalisme] travaille avec acharnement à les détruire en tant que structures sociales autonomes. Cette méthode est du point de vue du capital la plus rationnelle, parce qu’elle est fois la plus rapide et la plus profitable. »43

Texte préalablement paru en 1978 dans la collection « Les Africains » de Jeune Afrique qui a autorisé SenePlus à le republier.

1. Les prénoms Job et Salomon des religions chrétienne et juive correspondent respectivement à Yuba (Ayub) et Suleyman chez les musulmans.

2. Sur les origines du Bundu voir : A Rançon. Le Bondou : Etudes de Géographie et d’Histoire soudaniennes de 1681 à nos jours, Bordeaux, XVIII94.

3. La biographie de Yuba telle que nous la relatons ici est fondée sur le récit qu’il en a fait lui-même à Thomas Bluett : Some  Memoirs of the life of Job, the high priest of Boonda in Africa, Londres. 1734.

4. A cette époque, chez les Peuls, les jeunes se mariaient tôt, seize ans au plus pour les garçons et treize pour les jeunes filles.

5. il s’agit du même Thomas Bluett qui allait devenir le biographe de Yuba, voir p. 10.

(6) Francis Moore, Travels into the inland parts of Africa, Londres, 1738, pp, 202-203 ; 205-209 ; 223-224 ;230-231

7. Letter of Job Ben Salomon to Sir Hans Sloane, James Fort Rio Gambia. Decmber 8, 1734, in Sloane Papers Manuscript. Letter to Hans Sloane. Vol. XVIII, folio 341, British Museum, manuscript 4053.

8. P.R.0. T 70/55. Royal African Company To Richard Hull James Ford Gambia, London 4th July 1734.

9. Thomas Bluett, op. cit. pp 59 60. Voir aussi F. Moore, op. cit.pp 230-23

10. P.R.O. T 70/56. Royal African Company to Mr Job at Bundu in Africa 19 May 1737.

11. P.R.O. T 70/1424 f. 196.

12. A.N.F. Colonies C 611, de Saint Andon Gouverneur du Fort Saint – Louis à Compagnie des Indes. 2 décembre 1736.

13. Ibid.

14. John Nicholas. Literary Anecdotes of the Eighteegh Centry, vol 6.pp. 90 91.

15. Sur ce mouvement des « Grandes Découvertes Maritimes » dont le Portugal fut l’initiateur voir V. Magalhaes –Godinho, L’économie de l’empire portugais aux XVe et XVIe siècles, Paris 1969.

16. J. B. Labat, Nouvelle Relation de l’Afrique occidentale, vol. 1 pp. 20-21

17. La meilleure étude faite sur la Compagnie du Sénégal demeure celle d’A. Ly.  La compagnie du Sénégal. Paris 1958. Encore que l’enquête de cet auteur porte plus précisément sur le dernier quart du XVIIe siècle.

[1] Sur la Royal Africain Company voir k. G. Davies, The royal africain Company. Londres, 1957.

19. Th. G. Stone, « The journey of Cornelius Hodges in Senegambia”, English Historical Review, 39. 1924. Pp. 89-95

20. Sur les rivalités franco-anglaises dans cette région cf. J. M. Gray A history of the Gambia, Londres, 1940. pp. 33-214, et J. Machat Documents sur les établissements français d’Afrique occidentale au XVIIIe siècle, Paris, ­1906, première partie.

21. Le commerce triangulaire peut être décrit comme suit : « Le vaisseau négrier quittait la mère patrie avec une cargaison de produit manufacturés. Sur les côtes d’Afrique, ceux–ci étaient échangés contre des noirs vendus à leur tour aux plantations [d’Amérique] en échange d’une nouvelle cargaison de produits tropicaux destinés à la métropole » E. Williams, Capitalisme et esclavage, Paris, 1968. P. 74.

22. Sur l’histoire des Bambara, voir L. Tauxier Histoire des Bambara, Paris, 1942. Pour une interprétation nouvelle des faits de l’histoire des Bambara, cf. J.F. Ajayi et M. C Rowder, History of West Arica vol. 1, Londres, 1971, pp 452-460.

23. Plusieurs auteurs ont abordé dans leurs travaux, avec plus ou moins de détails, cette question de l’invasion des Ormans qu’on appelle encore Ruma ou Arma. Un article récent d’Oumar Kane analyse l’impact de cette invasion sur les Etats de la moyenne Vallée du Sénégal : « Les Maures et le Futa Toro au XVIIIe siècle », Afrika Zamani, n°2, avril 1974, pp. 81-104.

24. Sur la gomme et le commerce de la gomme, voir G. M. Désiré Vuillemin, Essai sur le gommier et le commerce de la gomme dans les escales du Sénégal, Dakar. Clair-Afrique, 1963.

25. Ainsi, comme Karl Marx l’a montré, le régime colonial joua un rôle de premier plan dans « l’accumulation primitive du capital » : « le régime colonial donna un grand essor à la navigation et au commerce. Il enfanta les sociétés mercantiles, dotées par les gouvernements de monopoles et de privilèges et surtout de puissants leviers à la concentration des capitaux. Il assurait des débouchés aux manufactures naissantes dont la facilité d’accumulation redoubla, grâce au monopole du commerce colonial. De nos jours, la suprématie industrielle implique la suprématie commerciale, mais à l’époque manufacturière proprement dite, c’est la suprématie commerciale qui donnait la suprématie industrielle. De là le rôle prépondérant que joua alors le régime colonial » (souligné par nous). K. Marx, Le Capital, Livre Premier, vol. III, Paris, Editions Sociales, 1969, pp. 195 196. Sur l’impact de la manufacture textile dans la révolution industrielle, voir P. Mantoux. La Révolution industrielle au XIIIe siècle, Paris 1969 (1er Ed. : 1905). E.J. Hobsbawm, Industry and Empire, Londres, 1969, chap. 3.

26. sur cette guerre de la gomme entre Français et Anglais, voir A Delcourt. La France et les établissements français au Sénégal 1713-1763, Mémoire IFAN N°171952, pp. 179-185.

27. Cf. F. Braudel.  La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. Ed. 1966. Vol I. 422-32.

28. Richard Jobson, The Golden trade or a discovery of the river Gambia, and the golden trade of the Aethiopians, Londres, 1963.

29. Th. G. Stone « The journey of Cornelius Hodge in Senegambia 1689–1690 ». English Historical Review, 1924. pp. 89-95.

30. Parmi ceux-ci on peut citer J. Suret-Canale, Afrique Noire : Géographie, civilisations, histoire, vol. 1, 1961 ; W. Rodney, A History of the Upper Guinea Coast 1545-1800, Oxford, 1970 ; J. Ki- Zerbo, Histoire de l’Afrique noire, Paris 1972, pp. 208–225 ; B. Barry, Le royaume du Waalo, Paris 1972.

31. P. D. Curtin, The Atlantic Slave Trade. A census, The University of Wisconsin Press, 1969, p. 268.

32. Ibid., p 270.

33. J.D. Fage, A History of West Africa, Cambridge, 1969, chap. VI

34. Sur ces famines et épidémies, cf. S. Mody Cissoko, « Famines et épidémies à Tombouctou et dans la boucle du Niger du XVIe au XVIIIe siècle. Bull. IFAN, B1 XXX, 3. 1968, pp 806 – 821; P. D. Curtin, Economic change in precolonial Africa : Senegambie in the era of the slave trade, Wisconsin, 1975, pp.110 – 111.

35. Ainsi l’explorateur écossais Mungo Park qui visita la Sénégambie en 1795 – 1796, puis en 1805, estime que les esclaves constituaient les deux tiers de la population des régions qu’il a traversées : the travels of Mungo Park, edited by R. Miller, London, 1960, pp 220.

36. Sur l’importance de l’esclavage domestique en Afrique occidentale, voir C. Meillassoux, L’esclavage dans l’Afrique noire précoloniale, Paris, Maspéro, 1975.

37. F. Moore, op. cit. pp 42 – 43.

38. La rupture intervenue entre les dirigeants et le peuple est bien attestée par l’adage Buur du  mboka  (« un roi n’est pas un parent ») que la tradition populaire wolof du Sénégal attribue à Koca Barma, célèbre sage qui vécut au royaume du Kayor entre 1584 et 1654.

39. Sur les Jula, voir les remarquables développements faits par Y. Person, Samori, une révolution Dyula, Dakar 1968, vol. 1, Chap. 111 IV.

40. S Trimingham. A History of Islam in West Africa. Londres, Oxford University Presse, ed. 1970, pp 141 – 154.

41. J.B. Labat. Op. cit. vol.2.p. 335

42. P. D. Curtin est d’ailleurs conscient de la faiblesse de sa thèse sur ce point, puisqu’en conclusion de son ouvrage The Atlantic slave trade, 1969.p.273, il écrit : « even if the dimensions of the slave outlined here were as accurate as limited sources will ever aloow and they are not, still other dimensons of far greater significance for African and atlantic history remain to the explored. »

43. R. Luxembourg. L’accumulation du capital, Paris, Maspero, 1969. Vol 2 p 43.







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