Madame la présidente du Conseil d’Administration de la Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav), l’autre nuit, je vous ai contacté par whatsApp pour vous informer et vous suggérer une action vigoureuse contre le piratage et la contrefaçon des œuvres littéraires au programme officiel d’enseignement du français au Sénégal.
En effet, à chaque rentrée scolaire et universitaire, on constate ce fléau qui, au lieu de faiblir, s’aggrave dangereusement, et met en péril le devenir de notre littérature et appauvrit les acteurs nationaux du livre et de la lecture : les auteurs, les éditeurs, les imprimeurs et les libraires.
Faites un tour aux marchés Ndiarème à Guédiawaye, Colobane, Tilène à la Médina et sur les trottoirs longeant les routes autour de l’ex-marché Sandaga. Les parterres, les kiosques et autres bazars improbables sont jonchés ou débordent d’œuvres littéraires illicitement reproduites ou frauduleusement acquises.
Parmi les ouvrages bradés, on dénombre essentiellement des romans et des pièces de théâtre. Outre Vol de nuit de Saint Exupéry, L’Etranger de Albert Camus, nombreux sont les ouvrages d’auteurs sénégalais piratés ou contrefaits : L’Aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane, L’Exil d’Albouri de Cheik Aliou Ndao, L’Os de Mor Lam de Birago Diop, Une si longue lettre de Mariama Bâ, La collégienne et Aliin Sitooye Jaata ou la Dame de Kabrus suivie de Adja, Militante du G.R.A.S de votre serviteur.
La situation n’est pas seulement alarmante, elle est révoltante. Il s’agit, en effet, d’une sorte de pillage sauvage programmé et délibéré, se faisant au su et vu de tous, notamment de ceux qui prétendent défendre le droit des auteurs.
Que fait la Sodav qui remplace le Bureau sénégalais du droit d’auteur (Bsda) dont on sentait l’engagement et la détermination à éradiquer le mal ? Où est la brigade d’intervention contre le piratage et la contrefaçon ?
Les pirates et les contrefacteurs ne se cachent même pas, comme s’ils jouissaient d’une immunité incompréhensible ou de tacites complicités. Ils vendent les livres contrefaits partout, au grand jour. Lorsqu’on en aborde quelques-uns, ceux qui portent leur boutique ambulante confessent qu’ils s’approvisionnent dans l’un des marchés cités plus haut ; quant à ceux qui tiennent une librairie de fortune, ils vous avouent, sans sourciller, que ce sont les employés des imprimeries ou des maisons d’édition qui sont leurs fournisseurs.
Madame la présidente, je suggère que la campagne médiatique de sensibilisation contre le piratage et la reprographie illicite soit reprise, que la brigade d’intervention soit remobilisée et mieux équipée.
Les parents d’élèves et d’étudiants, les élèves et les étudiants eux-mêmes, doivent être informés sur les conséquences néfastes du fléau qu’ils contribuent à faire prospérer, conséquences dont la plus pernicieuse sera le tarissement de la créativité.
La sensibilisation et la répression s’imposent d’autant que des personnalités et des institutions, ignorantes ou simplement inconscientes, jouent le jeu des contrefacteurs par inclination à la facilité, cherchant à acquérir un livre au prix le plus bas, fermant les yeux sur la qualité ou la provenance. En effet, j’ai surpris des enseignants bon teint achetant au parterre des ouvrages au programme. Un principal de collège m’a confié que c’est son «fournisseur» qui lui procure le nombre d’exemplaires de Adja, Militante du G.R.A.S qu’il commande à 1000 ou 2000 F Cfa l’unité, alors que ce volume coûte 3500 F Cfa, en librairie.
Les écrivains, les éditeurs, les imprimeurs et les libraires sont des parties prenantes de la campagne de sensibilisation contre le piratage sauvage et la reprographie illicite qu’il faut combattre à tout prix et punir assez sévèrement pour y mettre fin.
De la même manière que celui qui fournit de la drogue et celui qui en consomme sont poursuivis par la loi, le fournisseur de livres contrefaits et celui qui s’en procure doivent être saisis et sévèrement condamnés.
Marouba FALL
Dramaturge, romancier
maroba_fall@yahoo.fr