On peut dire que c’est la saison des alliances, des unions politiques. Le Président Macky Sall a élargi sa majorité politique en s’alliant avec Idrissa Seck et ses proches. Cette nouvelle situation, fort surprenante, a induit une recomposition de la scène politique. En effet, ce qui reste de l’opposition cherche, tant bien que mal, à s’organiser, à unir ses forces pour pouvoir peser sur le cours de l’histoire. C’est dans cette dynamique qu’il faudrait voir l’esquisse d’une nouvelle alliance politique entre Ousmane Sonko, leader de Pastef, et l’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall. La dynamique de la rencontre entre ces deux hommes politiques que tout opposait, après la réconciliation, devant les caméras entre Barthélemy Dias et Me Moussa Diop, et sous l’égide du même Ousmane Sonko, a quelque part «excusé» les retrouvailles entre Macky Sall et Idrissa Seck. De part et d’autre, il aura fallu un grand écart, beaucoup de reniements et sans doute une grave amnésie pour que ces personnes arrivent à se rabibocher et prétendre cheminer ensemble pour une même cause. Qu’à cela ne tienne ! Mais qui gagne quoi dans la perspective d’une alliance entre Khalifa Ababacar Sall et Ousmane Sonko, qui apparaît manifestement comme un jeu de dupes ?
Khalifa Sall va travailler pour les autres
En nouant une alliance politique avec Ousmane Sonko, Khalifa Sall renonce à toute ambition politique, on peut même dire qu’il va, de fait, enterrer sa carrière politique. Il se mettrait dans une posture de se ranger derrière le leader de Pastef pour la prochaine élection présidentielle de 2024. Khalifa Sall saborderait toute possibilité de retrouvailles avec la majorité parlementaire, dirigée par le camp de Benno bokk yaakaar (Bby), alors que seule une loi d’amnistie pourrait le faire revenir dans le jeu politique, après sa condamnation pénale pour des actes de prévarications de deniers publics commis à la mairie de Dakar. C’est un truisme que de dire qu’on ne voit pas le camp de Bby s’empresser d’adopter une loi d’amnistie qui remettrait dans le jeu politique un adversaire politique d’envergure. Au meilleur des cas, Khalifa Sall ne pourrait espérer être amnistié que par une nouvelle majorité parlementaire favorable à sa coalition. Le cas échéant, si d’aventure un Ousmane Sonko était élu président de la République en 2024, ne penserait-il pas s’assurer les conditions d’une réélection en 2029, plutôt que de se mettre dans une logique de refiler le pouvoir à un Khalifa Sall après seulement un mandat ? Ainsi, Khalifa Sall étant né en 1956, dépasserait l’âge limite de 75 ans pour être candidat à une élection présidentielle en 2034.
De toute façon, cette alliance ne permettra pas non plus à Khalifa Sall de pouvoir, aux prochaines élections locales et législatives (2021-2022), retrouver un mandat de maire et/ou de député, qu’il a perdu du fait de sa condamnation à cinq ans de prison ferme. Les mêmes causes qui l’empêchent encore de pouvoir être électeur et éligible, en dépit de la grâce présidentielle accordée par Macky Sall, demeureront. Khalifa Sall sera alors bien obligé de travailler pour les autres. C’est dans cette optique qu’il faudrait lire l’activisme de Barthélemy Dias pour nouer cette alliance avec Ousmane Sonko. Le maire de Mermoz-Sacré Cœur pourrait espérer être le porte flambeau du camp de Khalifa Sall à la mairie de Dakar et bénéficierait du soutien du camp de Ousmane Sonko. Seulement, un choix de Khalifa Sall en faveur de Barthélemy Dias ne serait pas très évident. En effet, Barthélemy Dias a toujours souffert du fait que Khalifa Sall avait préféré, depuis sa première élection comme maire de Dakar en 2009, confier des responsabilités à d’autres personnalités politiques. Khalifa Sall avait toujours préféré choisir Soham El Wardini, ou Bamba Fall ou Moussa Sy, entre autres, pour occuper des fonctions d’adjoint au maire de Dakar. Quand bien même que Soham El Wardini restait une militante (suspendue) de l’Alliance des forces de progrès (Afp), de Moustapha Niasse, le choix préférentiel de Khalifa Sall était sans équivoque en sa faveur, alors qu’elle et Barthélemy Dias ne se sont jamais faits de cadeau dans leur fief électoral commun.
Barthélemy Dias qui est à la manœuvre dans le rapprochement entre Khalifa Sall et Ousmane Sonko se positionne valablement comme pouvant être un candidat consensuel adoubé par Ousmane Sonko, qui ne semble pas faire de la mairie de Dakar un objectif pour sa formation politique. Seulement, Barthélemy Dias reste lui aussi sous la menace d’une éventuelle disqualification judiciaire, car l’affaire du meurtre du nervi Ndiaga Diouf, dans laquelle il avait été reconnu coupable et condamné à deux ans d’emprisonnement en première instance, n’est pas encore totalement vidée par les juridictions. Cette affaire a été renvoyée par la Cour d’appel de Dakar au 6 janvier 2021. Il reste aussi sous le coup d’une autre condamnation en 2018, à six mois ferme, pour outrage à magistrat.
Ousmane Sonko adopte le «système»
Le leader de Pastef avait pourfendu ce qu’il appelait le «système», constitué par des hommes politiques à la trajectoire sinueuse et sans foi ni loi. Il se posait en parangon de vertu et chevalier de la bonne gouvernance. Mieux, aux élections législatives de 2017, Ousmane Sonko avait refusé de faire partie de l’alliance électorale qui se proposait de faire de Khalifa Ababacar Sall, encore détenu, la tête de liste pour les élections législatives. Ousmane Sonko était intransigeant, n’acceptant aucune compromission avec des hommes politiques en délicatesse avec la gestion des ressources publiques. C’est ainsi qu’il avait préféré mettre en place sa propre liste aux élections législatives, tandis que Idrissa Seck et Malick Gakou jetaient leur dévolu sur Khalifa Ababacar Sall pour diriger leur coalition électorale. C’était tout à l’honneur de Ousmane Sonko. Mais il se montrera on ne pouvait plus incohérent, quand il chercha à tous prix à s’allier, à la Présidentielle de 2019, avec le Président Wade à qui il avait déjà promis le peloton d’exécution à l’instar des Présidents Abdou Diouf et Macky Sall. Ousmane Sonko accepterait maintenant de nouer un pacte avec Khalifa Sall ! On peut bien se demander si Khalifa Sall ne constituerait pas l’expression la plus affirmée du «système» ? Nous lisions, le 4 décembre 2020, un papier signé par Louis Henry, journaliste qui posait la question : «Ousmane Sonko était-il vraiment anti-système ?» Il disait : «A l’heure d’aujourd’hui, le visage de ‘’l’anti système’’ n’est plus qu’une pâle copie de ce qu’il fut autrefois. L’incarnation supposée de l’anti-système est devenue la continuité du système. Dans la vie, les vérités ne sont pas faites pour être maquillées en fonction des êtres concernés. Lorsque des actes font qu’une personne est jugée comme étant ‘’mauvaise’’, rien ne justifie qu’une autre soit épargnée, voire élevée au rang de messie alors qu’elle fait la même chose.»
Khalifa Sall laisse les autres décider pour lui…
Au demeurant, quand on observe la trajectoire politique de Khalifa Sall, on ne peut manquer d’être frappé par une constance, à savoir que les décisions concernant sa vie politique sont toujours prises par d’autres à sa place. A ses débuts, il avait pour mentor l’ancien maire de Dakar, Mamadou Diop, avec qui il finira par être lié par des relations familiales. Khalifa Ababacar Sall a été assez actif au sein du Mouvement des jeunesses socialistes et a eu une ascension politique fulgurante. Mais contre toute attente, il sera le maire de Dakar en 2009, désigné par le vote du collège municipal grâce à la coalition du Front siggil Sénégal (Fss). A ces élections locales de 2009, cette coalition, qui regroupait l’opposition en bloc contre le camp du Président Abdoulaye Wade, avait pour tête de liste le responsable socialiste Doudou Issa Niasse. Après la victoire surprise de l’opposition, le Parti socialiste qui dirigeait la coalition du Fss devait présenter un candidat «plus mairable» pour remplacer le maire libéral Pape Diop. Khalifa Sall qui avait pu bénéficier du soutien de l’Afp de Moustapha Niasse, grâce notamment à l’engagement de Malick Gakou, sera élu maire de Dakar. Le 18 janvier 2016, dans ces colonnes, nous nous demandions déjà qui pouvait «faire le bonheur de Khalifa Sall à sa place».
En effet, nous écrivions notamment qu’il «passait pour être un probable candidat à la candidature du Parti socialiste (Ps) à la dernière Présidentielle de 2012, mais Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar, n’avait pas estimé disputer à Ousmane Tanor Dieng (OTD) l’honneur de porter les couleurs du parti. Les militants et autres responsables du Ps qui souhaitaient sa candidature avaient été obligés de faire contre mauvaise fortune bon cœur. La Présidentielle passée avec la contre-performance réalisée par le secrétaire général du parti, d’aucuns trouvaient que l’heure était enfin arrivée pour Khalifa Sall de chercher à imposer son leadership. La belle opportunité pouvait être les opérations de renouvellement des instances du parti. Un duo constitué de Khalifa Sall et de Aïssata Tall Sall s’était alors formé, au début de 2014, pour aller à l’assaut de la forteresse de Ousmane Tanor Dieng. C’était un secret de polichinelle que les deux responsables socialistes étaient dans une logique de rupture de ban. Mieux, les rôles étaient bien partagés à la veille du Comité central du Ps en mai 2014. Aïssata Tall Sall et Khalifa Sall avaient défini ensemble leur stratégie pour abattre leurs cartes le jour du Comité central, et les orateurs étaient désignés avec chacun une partition à jouer. Grande avait été la surprise de Aïssata Tall Sall, tard la veille du Comité central, de recevoir un appel téléphonique de Khalifa Sall qui l’informait qu’il avait déjà embarqué dans un avion en partance pour Paris où il devait transiter sur la route des Seychelles, où il allait en mission pour le compte de l’Internationale socialiste. Aïssata Tall Sall ne pouvait que constater la défection de Khalifa Sall et le lendemain, les orateurs désignés par le maire de Dakar s’abstiendront de se mouiller en l’absence de leur mentor. Aïssata Tall Sall était obligée d’aller seule au combat, de jouer son baroud d’honneur. Ils étaient rares, les ‘’amis de Khalifa’’, comme Youssou Mbow, à dire publiquement leur scepticisme par rapport à la manière dont les opérations de renouvellement des instances du Ps étaient menées. On connaît la suite, Khalifa Sall lui-même, en sa qualité de secrétaire national chargé de la Vie politique et président du Comité national de pilotage et d’évaluation des opérations de renouvellement des instances du parti, ruinera les espoirs de Aïssata Tall Sall, sacrifiée au nom des ‘’intérêts supérieurs du parti’’. Après cette tragi-comédie, les proches de Khalifa Sall commenceront après le congrès du Parti socialiste de 2014, avec les tristes incidents que l’on sait, à ouvrir le feu contre Ousmane Tanor Dieng. Alioune Ndoye, Aïssatou Diallo, Idrissa Diallo, Youssou Mbow, Babacar Diop, Moussa Sy se dévouaient au rôle et parlaient pour Khalifa Sall. On assistera même à la naissance de mouvements baptisés ‘’Dolel Khalifa’’, ‘’Khalifa Président’’ et ‘’Taxawu Jotna’’ entre autres». Khalifa Sall laissait les autres parler en son nom et poser des actes politiques qui l’engageaient.
…même pour rester en prison !
Ce sera l’épisode de son emprisonnement pour détournement à la mairie de Dakar qui révélera combien Khalifa Sall se laisse mener par le bout du nez. Toutes les bonnes volontés qui se mobilisaient pour lui éviter la prison s’étaient heurtées aux injonctions que ses partisans donnaient à Khalifa Sall. Ainsi, Khalifa Sall continuait stoïquement de garder prison parce que ses partisans refusaient toute idée de cautionnement. Ils faisaient feu de tout bois. Quand les Moussa Sy, Banda Diop, Alioune Ndoye, Bamba Fall et autres finissaient par le lâcher, pour rejoindre ou se rapprocher de la mouvance politique de Macky Sall, Khalifa Sall continuait d’écouter les voix des Barthélemy Dias, Idrissa Diallo, Moussa Tine et autres. Un de ses amis l’interpella à l’occasion d’une visite à la prison de Rebeuss, lui demandant s’il avait vocation de rester en prison alors que les autres qui le poussent à refuser de sortir de prison dorment tous les soirs auprès de leur famille. Comment a-t-il pu être aussi naïf pour croire que les bravades de Moustapha Sy des Moustarchidines, allaient le sauver de la prison ?
De guerre lasse, Khalifa Sall se résigna, après une éternité en prison, à chercher à rassembler les sommes nécessaires pour payer la fameuse caution. Sa démarche n’aboutira pas et l’affaire sera jugée avec une lourde condamnation. Ses autres co-prévenus, en l’occurrence Mbaye Touré, Yaya Bodian et Fatou Traoré, refusèrent de faire appel, dans l’esprit de demander immédiatement une grâce présidentielle. Mais Khalifa Sall suivra ses militants qui huaient les juges. Il fera appel et continuera de garder prison avec ses co-prévenus. Khalifa Sall semblait être seul à croire pouvoir être blanchi dans cette affaire par les magistrats. La Cour d’appel statuera plusieurs mois plus tard pour confirmer la peine. Les co-prévenus voulaient stopper les dégâts, mais c’était sans compter avec la passivité de Khalifa Sall devant ses avocats et ses amis politiques. La Cour suprême sera saisie d’un recours qui s’avérera plus tard infructueux. Retour à la case départ. La grâce restait alors l’unique solution pour sortir Khalifa Sall de prison. Il en bénéficia en fin de compte.