L’information qui fait la une de la presse est grave. Une enquête de la gendarmerie vient de dévoiler au Sénégal « séquestrations, maltraitances, tortures, trafics de drogue, d’être humains et morts d’hommes » dans « un centre de redressement pour remettre dans le droit chemin des jeunes « à problèmes », des délinquants ou des drogués emmenés par leurs propres parents ».
C’est l’existence en soi, extrêmement inquiétante, de tels « centres de redressement », appartenant à des personnes/personnalités privées, ci-devant « serigne-marabout »
« Article 21 : L’Etat et les collectivités publiques créent les conditions préalables et les institutions publiques qui garantissent l’éducation des enfants. Article 22 : L’Etat a le devoir et la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques. Tous les enfants, garçons et filles, en tous lieux du territoire national, ont le droit d’accéder à l’école. Les institutions et les communautés religieuses ou non religieuses sont également reconnues comme moyens d’éducation. Toutes les institutions nationales, publiques ou privées, ont le devoir d’alphabétiser leurs membres et de participer à l’effort national d’alphabétisation dans l’une des langues nationales. Article 23 : Des écoles privées peuvent être ouvertes avec l’autorisation et sous le contrôle de l’Etat » (Constitution du Sénégal).
Se pose donc légitimement la question : Que fait l’Etat pour faire respecter les lois en vigueur et en particulier la loi fondamentale du pays ? Question d’autant plus légitime lorsqu’on apprend dans la presse que ce « centre de redressement » a été « découvert » par hasard à l’occasion d’une enquête sur un « vol de scooter » avant de lire un communiqué sidérant de la gendarmerie informant que « le 27 novembre à Guédiawaye, 213 individus dont 7 mineurs séquestrés dans un immeuble R+1 et entassés dans huit chambres ont été libérés de ces lieux de détention. Le samedi 28 novembre 2020 sur deux autres sites situés à Malika et à la Zone B, il a été découvert respectivement 22 et 100 pensionnaires dont une fille âgée de 17ans, 43 personnes dont 6 à Ouakam, 13 à Guédiawaye 20 à la Zone B et 4 à Malika ».
On voit pulluler de plus en plus de petits « marabouts » avec de « gros moyens financiers » fournis par « des taalibés » ou des « mécènes » des monarchies théocratiques des pétrodollars de Riyad, Doha, Dubaï ou des « frères musulmans » d’Istanbul, etc. D’ailleurs sait-on vraiment d’où provient l’argent est-on en droit de se demander ? De toutes les façons, il est clair qu’aucun des vénérés et respectés fondateurs de nos confréries, Khadre, Tidjane, Mouride, Layène, Niassène, n’a recommandé aux « taalibés » d’abandonner leurs responsabilités de pères et mères de famille en sacrifiant ses enfants et la famille.
On assiste même parfois à une sorte de « compétition » entre des petits « chefs religieux » qui, non seulement « s’engagent » en politique, mais forment des « milices ».
Tout se passe comme si après les vénérés et respectés fondateurs des confréries Khadre, Tidjane, Mouride, Layène, Niassène et la première génération des descendants directs, les « doomu soxna » (petits fils) s’émiettent en plusieurs « écoles » rivales qui fleurissent pour occuper l’espace public en se substituant à l’Etat néocolonial incapable de satisfaire ses obligations économiques, sociales, culturelles vis à vis des populations. En effet, la bourgeoisie néocoloniale d’Etat, ne s’occupant que de s’en mettre plein les poches, condamne la jeunesse à fuir la misère en pirogue à ses risques et périls, le peuple à subir le développement du sous développement tout en engendrant les écoles fabriques d’échecs, les hôpitaux mouroirs, le chômage chronique et endémique.
Ce phénomène de « cent fleurs » qui fleurissent ou encore de « cent écoles maraboutiques » qui rivalisent est aussi observable au sein même des chrétiens avec les « évangélistes » provenant souvent des USA qui, tout comme les petits « chefs confrériques », font du « social » en plus des prières pour atténuer la misère de plus en plus grande dans les populations en raison du « moins d’Etat » libéral qui les laisse à l’abandon.
Il apparaît évident que cette situation d’éparpillement et de « compétition » peut générer non seulement des dérives à l’instar de ce « centre de redressement », mais est aussi grosse de dérapages plus graves liés à la mal gouvernance faite de gabegie, de népotisme et de patrimonialisation de l’Etat néocolonial.
Émiettement et compétition inter-confrériques, voire inter-religieux qui foisonnent dans le pays depuis que le « moins d’Etat », c’est-à-dire le libéralisme s’est emparé du pays d’abord avec le pouvoir PS des plans d’ajustement structurel (PAS) imposé par le FMI et la Banque Mondiale pour rembourser la dette et ses intérêts dans les années 80. L’Etat néocolonial étant contraint d’abandonner son intervention dans l’économie et de laisser faire la loi du marché, tous les secteurs nationalisés (près de 180 entreprises nationales) ont été privatisés et pour le faire au profit des Multinationales principalement françaises, le CFA a été dévalué en 1992, les entreprises industrielles comme BATA à Rufisque et les poissonneries ont été déprotégées face à la concurrence des Monopoles principalement français et la terre ne cesse d’être bradée aux agrobusiness.
Ce processus de libéralisation économique néocoloniale a aussi Ongisé les syndicats et associations populaires dorénavant spécialisés en lobbying pour aller chercher l’argent des « fondations » (Ebert, Schuman, Blair, Clinton, etc.) ou officines (USAID, NED, AFD, etc) subventionnées par les Etats et Transnationales impérialistes.
Ainsi « l’Etat fout le camp », laissant le champ libre à l’insidieuse propagation de l’économie informelle de survie (goorgoorlu-débrouillardise), mais aussi à la montée du péril potentiel qu’engendre l’éparpillement incontrôlé des sectes issues des confréries et des religions dont la centralisation hiérarchique sous la tutelle des fondateurs et premiers successeurs était garante jusqu’ici d’une cohabitation pacifique et d’une éthique fondée sur la foi.
Mais à quoi avons nous assisté jusqu’ici ? A la prolifération de Mosquées dans les cités universitaires, alors que pour la génération des étudiants et élèves des années 60, 70, 80, bien que majoritairement musulmane, il n’en était nullement question; A des oppositions sur des bases religieuses d’un code de la famille qui fait progresser l’égalité entre mères et pères, entre sœurs et frères, entre femmes et hommes; A l’affichage dans les bureaux, les services publics, dans les lieux de travail de « son marabout » au détriment même des armoiries de la République dont la Constitution déclare « Article premier – La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Ces exemples de non respect de la Constitution du pays sont de plus en plus légions alors que la séparation entre l’Etat et la religion est clairement définie dans « l’Article 24 – La liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou cultuelles, la profession d’éducateur religieux sont garanties à tous sous réserve de l’ordre public. Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome ».
Historiquement l’alliance traditionnelle entre les politiciens coloniaux et néocoloniaux des Blaise Diagne, Galandou Diouf, Lamine Guèye, L. S. Senghor, A. Diouf, A. Wade, Macky Sall et les chefs religieux comme « grands électeurs » à travers les « ndiguël » a connu un tournant inquiétant avec A. Wade qui affichait ouvertement son appartenance confrérique au point que certains prétendus intellectuels irresponsables théorisaient même l’avènement d’une « république confrérique », la leur bien entendu, au Sénégal.
C’est donc la période libérale, celle des plans d’ajustement structurel, puis de la dévaluation du CFA et de la première puis de la seconde alternance libérale néocoloniale qui a provoqué à la fois la grande pauvreté sur fond de détournement systématisé en milliards des avoirs de l’Etat et de patrimonialisation de l’argent public par les gouvernants. Certains « doomu soxna » ou prétendus tels se transforment en politiciens pour s’intégrer à la bourgeoisie bureaucratique qui privatise impunément l’argent du contribuable sénégalais.
La gestion de l’Etat étant le chemin le plus court et le plus direct pour rejoindre le clan des nouveaux milliardaires sénégalais, certains « doomu soxna » rêvent de la conquête du pouvoir en créant des partis politiques avec un vernis laïc juste pour la forme pour se lancer dans les compétitions électorales.
Il est clair que tout ce fatras anti-constitutionnel est un signe probant dangereux que l’Etat sénégalais connaît un processus de déliquescence qui est ainsi décrit dans l’hebdo Courrier International du 12/01/2012 : « A chaque confrérie religieuse sa milice et à chaque homme politique ses bodyguards. Et, pourtant, ces mouvements sont formellement interdits par la législation sénégalaise. Seules les gardes rapprochées sont tolérées et admises. La loi sénégalaise a clairement identifié les personnes qui peuvent disposer d’escorte, de garde rapprochée ou de cordon de sécurité. Malheureusement, pour être à la mode et se montrer importants, les footballeurs, politiques, marabouts et musiciens se mettent à recruter des gros bras. La présence de mouvements d’autodéfense a des relents d’effets de mode particulièrement dans les cercles religieux sénégalais. Au sein de toutes les confréries existe au moins une entité de cette nature ».
Ceux qui pensaient que la seconde alternance libérale de 2012, prolongée par le hold-up électoral en 2019, allait donner un coup d’arrêt à ces pratiques hors la loi en ont pour leur frais. On a vu succéder aux « calots bleus » de son mentor, père du libéralisme sénégalais, A. Wade, les « marrons du feu » de l’actuel président Macky Sall. Rappelons le, n’est-ce pas sous A. Wade que fut instituée par le vote du parlement l’impunité totale de « la liste d’affaires politiques jamais élucidées…l’exemple… a été l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi « EZZAN ». Cette loi accorde une amnistie générale pour tous les crimes commis au Sénégal et à l’étranger et relatifs aux élections générales ou locales ou commis à des fins politiques entre le 1er janvier 1983 et le 31 décembre 2004 » (Rapport d’étude du Lareg décembre 2011).
Si l’ère des milices religieuses et politiques n’est pas stoppées par l’application stricte de la loi, il est clair que l’on va vers des lendemains qui déchantent et conduisent sur fond de corruption endémique des gouvernants directement à la faillite, voire l’effondrement de l’Etat.Nous avons l’exemple du Mali sous nos yeux.
Plus que jamais, nos confréries et religions, mais aussi nos partis politiques doivent opérer leur « Set Setaal » interne en respectant rigoureusement la Constitution qui sépare les espaces relevant du temporel et du spirituel et ainsi en réactualisant pour les appliquer les recommandations suivantes qui datent de 1776 de Cernoo Souleymane Baal : « La victoire est dans la persévérance… Toutefois, je vous recommande : 1)De rechercher, pour assumer la fonction d’Almami, un homme désintéressé, qui ne mobilise les biens de ce monde ni pour sa personne, ni pour ses proches ; 2) Si vous le voyez s’enrichir, démettez-le et confisquez les biens qu’il a acquis ; 3) S’il refuse la démission, destituez-le par la force et bannissez-le ; 4) Remplacez-le par un homme compétent quelle que soit sa lignée ; 5) Veillez-bien à ce que l’Almamiyat ne soit jamais héréditaire ; 6) N’intronisez qu’un méritant ».
Il est donc nécessaire dans cette phase de libération nationale que les forces progressistes patriotiques, anti-impérialistes et panafricaines, en particulier de la jeunesse rebelle de plus en plus politisée, soient vigilantes sur ces aspects rétrogrades de l’évolution socio-politique dans notre pays et même sur le continent en générale.
En effet, l’impérialisme états-unien et européen pour ne pas perdre sa domination multiséculaire économique, technologique, scientifique, politique, culturelle sur les pays et les peuples n’a pas hésité et n’hésitera pas à semer le chaos dans tous pays ou peuples qui cherche à se libérer de son joug , comme ils l’ont fait en Afghanistan, en Irak, en Libye, au Mali et dans tout le Sahel avec Boko Haram et comme ils ont failli le faire en Syrie avec Al Qaïda, Daesh, Al Nostra et en Algérie avec le FIS, GIA, MIA. L’impérialisme a utilisé la diversité ethnolinguistique, c’est-à-dire les nationalités qui composent nos Etats multinationaux pour fomenter des divisions mortifères comme ce fut le cas avec le génocide au Rwanda. N’oublions pas que la « mondialisation » du capitalisme impérialiste actuel a substitué à « l’encerclement ou la guerre froide contre le communisme » la théorie et la pratique funestes de « l’ingérence humanitaire ou démocratique » dont l’impérialisme aurait le droit au nom du « choc, de la guerre des religions, des cultures, des civilisations ». Ainsi un jour les impérialistes, les pétrodollars et leurs mercenaires djihado-terroristes sont alliés, un autre jour ces derniers déroulent leur propre agenda et deviennent alors la cible prétexte des impérialistes.
Ces guerres de l’impérialisme ont été précédées par l’orchestration des divisions religieuses sectaires financées par les Monarchies théocratiques des pétrodollars (traîtres à la cause du peuple héroïque de Palestine) dont la fonction est historiquement dans le cadre du système néocolonial de séparer les peuples Arabes des matières premières stratégiques que sont le pétrole et le gaz.
Les mercenaires djihado-terroristes des impérialistes occidentaux et de leurs alliés des pétrodollars s’en prennent, comme on l’a vu à Tombouctou avec la destruction des « 333 tombes des Saints » africains et déstabilisent tous les pays qui cherchent à sauvegarder leur indépendance et leur souveraineté nationale sur leurs richesses nationales.
Dans un tel contexte il est impérieux de prendre toute la mesure de l’enjeu pour l’avenir du Sénégal de faire respecter la Constitution du pays, enjeu d’autant plus fondamental que le capitalisme-impérialiste occidental est en train de perdre sa position hégémonique avec le développement des pays « émergents », notamment les pays rescapés du camp socialiste-communiste que sont la Chine, le Vietnam, la Corée du nord et Cuba. Une bête féroce blessée devient mortellement dangereuse pour toute l’humanité.
15 Décembre 2020
DIAGNE Fodé Roland