Senexalaat - Opinions, Idées et Débats des Sénégalais
Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Saint-louis, Un Projet À PolÉmique

« J’ai refusé qu’un quelconque édifice public porte mon nom. Quand on a bien servi son peuple, on reste dans les cœurs. Je pense que je suis dans les cœurs de mes concitoyens. Je n’ai pas cherché à être riche mais, à la fin je me suis enrichi de l’amour de mon peuple ».

Quelle grandeur d’âme ! quel esprit chevaleresque ! quelle leçon d’humilité ! quelle assurance en soi de cet homme d’Etat qui aura dirigé son pays, le Ghana, deux décennies durant ! Son nom, Jerry John Rawlings. Il vient d’être rappelé à  Dieu il y a de cela juste quelques semaines. Au au-delà de son peuple, toute une génération d’Africains a pleuré sa disparition. N’eût été cette profession de foi prémonitoire, il ne fait aucun doute que tous les Ghanéens unis, lui auraient donné les noms de tout ce qui symbolise aujourd’hui la montée de son pays vers les cimes de l’émergence.

Si l’on souligne les propos de cet ancien chef d’Etat africain, c’est parce qu’il s’est singularisé dans ce continent, où la tendance dominante est bien souvent marquée par le culte de la personnalité, la mégalomanie et le patrimonialisme de ses dirigeants. Mais c’est aussi pour évoquer cette polémique qui a fini de s’installer à Saint-Louis où le maire, par ailleurs ministre en charge des infrastructures, aurait l’intention de baptiser du nom de monsieur le président de la République, une des avenues dénommée déjà Général De Gaulle. Un autre homme d’Etat, dont le leadership au plan mondial et le patriotisme, ont fini de faire de lui un véritable patrimoine national, voire mondial.

Cette initiative du maire de Saint-Louis, si elle est avérée, porte hélas, les stigmates d’une Afrique dont le mode de gouvernance politique n’a pas laissé au monde une image reluisante. Et cela pour plusieurs raisons.

D’abord du fait de la proximité familiale, donc forcément affective, pour ne pas dire émotionnelle qui existe entre l’édile de Saint-Louis et le chef de l’Etat dont il est le beau-frère. Il se pose dès lors un enjeu éthique. Lequel apparaît, lorsqu’une valeur ou un principe moral est mis en jeu dans une question ou une situation donnée. Dans le cas présent, la liberté de choix d’un parrain se heurte forcément à cette proximité qui lie le maire de Saint-Louis à son beau-frère.

Ensuite, au-delà de l’éthique, il existe également dans cette situation, des velléités manifestes de conflit d’intérêts. Lequel se définissant comme « une situation où une personne ou plusieurs personnes, une institution ou plusieurs institutions sont au centre d’une prise de décision où leur objectivité et leur neutralité peuvent être remises en cause ». Même s’il n’y a aucune preuve d’actes préjudiciables, la position du beau-frère peut créer une apparence d’indélicatesse, susceptible de miner la confiance en sa capacité de maire de Saint-Louis à assumer pleinement la mission à lui confiée par le chef de l’État, en qualité de ministre de la République.

Enfin, il est à redouter que si d’aventure cette initiative du maire de Saint-Louis  aboutissait, on risquerait d’assister par un phénomène de mimétisme de la part d’autres autorités locales, à une cascade de parrainages de lieux et d’édifices publics au nom du chef de l’Etat, en reconnaissance des fonctions, honneurs et privilèges que ce dernier leur aura permis de bénéficier. Le cas échéant, un tel phénomène ne deviendrait-il pas ce qu’on pourrait, d’ores et déjà appeler le « syndrome de Saint-Louis » ?

A LIRE  UN MAUVAIS COCKTAIL

Il n’est pas évident que ce soit là, la meilleure manière de lui témoigner satisfaction et fidélité. Il serait même à craindre que le résultat attendu de ces parrainages en série, soit totalement aux antipodes de l’effet recherché.

A l’instar de Jerry.J. Rawlings, tous les grands leaders de ce monde ont en commun de toujours renoncer aux privilèges, aux honneurs pendant qu’ils sont en exercice, et pour certains, même bien après le parachèvement de leur mission, jusqu’à ce que leur peuple, de façon quasi unanime, décide de les immortaliser. Car en vérité, « les grands hommes font leur propre piédestal, l’avenir se charge de la statue ».

Ces grands hommes ont marqué l’histoire à travers les transformations profondes et positives du fait de leurs œuvres, leur courage et leur leadership. Le chef de l’Etat devrait se démarquer de toutes les initiatives de cette nature, quand bien même il se sentirait déjà méritant de telles distinctions, en attendant de terminer sa mission à la tête du pays, et de livrer le bilan de sa gouvernance. C’est à ce moment et à ce moment seulement que le peuple appréciera l’opportunité ou non de le hisser au panthéon des grands hommes.

Que n’ont-ils pas fait de leur vivant, en tant que chef d’une nation pour rester immortels, les Mobutu, ce sergent de l’armée belge qui s’est fait Maréchal, Ferdinand Marcos le sanguinaire qui se voulait président à vie, Bokassa qui s’était ridiculement proclamé Empereur, le Général Noriega, un vulgaire trafiquant de drogue , le Shah d’Iran, dont le régime fut l’un des plus féroces et des répressifs de son époque et tant d’autres despotes de ce monde, pour vouloir demeurer à jamais  en bonne place dans le registre des héros du 20ème siècle ? Ce qu’ils ont de commun aujourd’hui c’est que les poubelles de l’histoire auront été leur destin. Le statut des grands hommes ne se décrète donc pas. Pas plus qu’il n’est imposé par des partisans engagés de bonne foi,  ou par excès de zèle. Il s’acquiert à la faveur de l’accomplissement d’une œuvre colossale, grandiose et durable, marquée par des sacrifices, des privations de toutes natures, des renoncements à des privilèges, et par des résultats exceptionnels obtenus au profit exclusif de toute une communauté, de toute une nation. C’est dans cette voie que Nelson Mandela, l’homme des deux « Après», s’est remarquablement illustré. En effet, après 26 ans de lutte, marqués par une privation de liberté dans des conditions inhumaines, et après un seul mandat de chef d’Etat, il a renoncé à continuer d’exercer le pouvoir, en dépit de nombreux appels l’invitant à demeurer à la tête de son pays, aussi longtemps qu’il le souhaitait. Il fut célébré par le monde entier, en se voyant décerner le prix Nobel de la paix.

A LIRE  DE LA DÉMOCRATIE À LA DEMON...CRATIE

Autre grand homme que l’on peut citer en exemple, le Général De Gaulle. Celui-là même, dont le maire de Saint-Louis veut substituer le nom à celui du président de la République. Il fut, à travers ses actions en faveur de la France, un homme d’une dimension exceptionnelle. Non seulement il a déclenché la libération de son pays depuis Londres, avec son fameux Appel historique du 18 juin, mais il a aussi eu le courage de libérer l’Algérie, au risque de sa vie, et négocié avec les colonies d’Afrique noire leur indépendance. Et en matière de gouvernance, il a consolidé les bases d’une véritable République. Mais le Général De Gaulle, s’est fait surtout remarquer par son humilité et sa sobriété. C’est ainsi que lorsqu’il accéda à la magistrature suprême, il refusa d’être nommé Maréchal de France, en lieu et place de son grade de général. A l’Elysée, il fit appel aux sociétés d’électricité et des eaux de France pour que des compteurs lui soient installés dans ses appartements privés, afin qu’il paye lui-même ses consommations de sa poche, « comme tous les contribuables français.» disait-il. Enfin, lorsqu’il a quitté le pouvoir et qu’il s’est retiré à Colombey- les- deux -Eglises, il fut confronté à quelques soucis financiers pour restaurer sa résidence privée. Il décida dès lors, de solliciter un emprunt bancaire à cet égard. Son aide de camp d’alors, le vice-amiral François Flohic lui rappellera qu’il avait des indemnités qu’il pouvait légalement réclamer, ce qui lui permettrait de réaliser son projet. Et le Général, dans sa dignité légendaire, de lui rétorquer : « s’il y a quelqu’un qui doit quelque chose à la France, c’est bien moi, à qui toute une nation a permis de devenir ce que je suis ». Son fils Philipe, devenu lui-même général plus tard dans la Marine française, a affirmé que jamais son père n’a accepté d’interférer dans l’évolution de sa carrière, pas plus qu’il ne l’a fait du reste pour aucun de ses proches. Même quand le Général recevait à titre privé, il était hors de question de sortir la vaisselle de la République.

Plus prêt de nous, combien de nos compatriotes évoquent aujourd’hui les noms de Serigne Babacar Sy, Serigne Fallou Mbacké, El Hadj Abdoul Aziz Sy Dabaakh, El Hadj Ibrahima Niass, Serigne Cheikh Mbacké Gaïdé Fatma. Mame Limamoulaye, Monseigneur Hyacinthe Thiandoume et tant d’autres, sans les avoir jamais vus encore moins connus ? Ils doivent cette popularité au fait d’avoir marqué leur époque, par des aptitudes et des attitudes attendues de guides religieux, mais surtout à la dimension de vrais seigneurs qu’ils incarnaient. La conséquence est que leurs noms figurent, ici comme ailleurs à l’étranger, sur les plaques des rues, avenues  et édifices publics comme privés, des écoles, des salons de coiffure, restaurants et autres. Jean Cocteau avait bien raison d’affirmer que « Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants ».

Pour en revenir à la polémique Saint-Louisienne, reprenons une formule déjà consacrée : « Laissez le président travailler ». Et c’est lorsqu’il aura définitivement achevé sa mission, et seulement après cela, que le peuple appréciera le niveau auquel il devra être hissé ou pas, dans la pyramide des grands hommes de ce pays, voire de ce monde.

A LIRE  Paul Kagamé : Héraut d’une Afrique enfin actrice de son histoire contemporaine

Quant à la charmante ville de St-Louis, carrefour des civilisations les plus raffinées, qui fut terre d’accueil et d’hospitalité de Cheikh Ahmadou Bamba, de Seydi Haadj Maalick Sy et de tant d’autres illustres figures, il ne manque certainement pas de dignes fils et filles dont les noms pourraient bien remplacer celui du Général de France, si tant est que c’est la volonté des citoyens, à travers leur Conseil municipal. Parmi eux, Serigne Moukhsine Diop, El Hadj Birahim Diop, El Hadj Madior Cissé, El Hadj Makhtar Diallo, El Hadj Abdoul Majid Diop et tant d’autres recteurs d’institutions religieuses qui ont  fini de donner à Saint-Louis sa réputation de passage obligé des grands érudits de ce pays et de la sous-région. Dans le bassin des hommes et femmes politiques et de la société civile, que l’on se souvienne de Adjaa Ndoumbe Guèye, Almamy Matheuw Fall qui créa la Convention des Saint-Louisiens, son ami Kolo Diakhate, Aminata Sow Fall, Adjaa Fatou Niang Siga, Jacques Diouf , André Guillabert, Abdoulaye Diaw Chimère, El Hadj Momar Sourang , plus récemment Golbert Diagne, celui-là même qui proclamait haut et fort, qu’il est  «  le plus Saint-Louisien des St Louisiens ». N’oublions surtout pas notre très cher père, le sage patriarche Thierno Souleymane Diop, aujourd’hui centenaire, ancien instituteur, pédagogue émérite, d’une sagesse légendaire, entre les mains de qui sont passées plusieurs générations de hauts cadres de notre pays et d’ailleurs en Afrique francophone.

Que dire de l’illustre serviteur de Cheikh Ahmadou Bamba, Abdoulaye Niang, qui aura réussi à enivrer de par sa voix d’or, le cœur de chacun de nous, des notes lyriques et mélodieuses des « khassaided » de Cheikhoul khadim ?

Dans le milieu du sport, Abdoulaye Sèye Moreau fut des années durant président de la FIBA. Mbaye Boye Fall a toujours exprimé sa fierté d’être St-Louisien, à travers le tournoi international de judo qu’il organisait chaque année dans sa ville natale. Quant à Lamine Coura, il fut l’un des meilleurs gardiens de but des jeux de l’amitié organisés à Dakar, au tout début de nos indépendances.         

Les personnalités citées ici ne sont qu’un échantillon des hommes et femmes St-louisiens, dignes d’être célébrés. C’est donc dire que la ville tricentenaire regorge de ressources humaines de qualité inestimables. Hier, comme aujourd’hui.

Il se pourrait que certains de ces illustres Saint-louisiens aient été déjà choisis pour la dénomination de rues, boulevards ou édifices publics. Tant mieux, si tel est le cas. Pour autant, cela n’enlève en rien le sens et l’esprit de cette modeste contribution.

Abdoul Aziz Tall est anncien Directeur général du BOM, ancien ministre.







Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *