La beauté de sa plume que tous les confrères ayant eu à le fréquenter ou à travailler sous sa férule se plaisent à ressasser n’avait d’égale que son humour. Certes son sourire facile était un indice de cette disposition de Jean Meïssa Diop, mais il fallait vraiment le côtoyer pour connaitre sa faculté à raconter certaines attitudes de ses compatriotes pour, ensuite, en rire de bon cœur.
En l’accompagnant dans ces grands moments de joie, je ne manquais pas quelquefois de penser que l’ami Jean aurait pu être un talentueux caricaturiste, pour peu que Dieu l’eût doté du bon coup de crayon. Tant ses descriptions étaient éloquentes lorsqu’il me parlait, dans ses sujets favoris de raillerie, de l’univers des cars rapides et de la lutte sénégalaise. On s’est connu depuis que, étudiant au Cesti, il était venu faire un stage à l’APS dans les années 80. Tout en gardant une proximité avec l’agence nationale, il savait que nous avions en commun un intérêt pour la société sénégalaise dans toutes ses facettes, surtout celles relatives à ses travers. Le tout révélateur d’un mode de vie jouissif, ostentatoire et…excessif par moments.
En parler avec des rires jusqu’aux larmes était un des dadas de Jean. Il imitait à merveille les apprentis des cars rapides dans leurs invites aux clients. « Garand Dakar-izine ! », lançait-il goguenard avant de me faire remarquer qu’il aimait tant cette déclamation qu’il n’a pas hésité à en faire le titre d’une chronique hebdomadaire dans Walf Grand-Place. Avec sa plume caustique, il l’a momentanément animée en nous plongeant chaque vendredi dans les pérégrinations d’un certain Mbaye Mané Mboup slalomant dans la circulation entre les cars rapides et les Ndiaga Ndiaye pour, à bord de sa guimbarde, aller voir sa niarel à Keur Mbaye Fall.
Une fois lancé, Jean était intarissable dans la description du personnel des cars rapides. Rien ne lui échappait : la dégaine des apprentis, leur anticonformisme, leurs éternelles disputes avec les passagers, surtout les femmes. Des « japal ci Mbaye » lancés à une dame qui vient de monter et manque de s’étaler de tout son long parce que le véhicule a démarré sur les chapeaux de roue, aux « jalal ci saal bi » en passant par l’invite à s’asseoir aux « niar ak bang » et aux « juromI bang » où l’on tient à peine quand on compte un « jaay fondé » parmi les voisins, aucune de ces harangues des apprentis n’avait de secret pour l’imitateur qu’était Jean.
Quant aux chauffeurs, il lui arrivait de remonter dans le temps pour ressasser les facéties des premiers d’entre eux. Ces « magum chauffeurs » savaient vraiment prendre leurs aises devant leurs tableaux de bord constellés de photos de marabouts, remarquait Jean avant de rire à gorge déployée en relevant qu’au premier coup de chaleur ils tombaient leurs sabadors pour s’afficher en « caax » blanc qui cachait à peine les nombreux gri-gris ceignant leur taille enserrée dans un pantalon bouffant. Et ce n’était pas tout ! Jean croquait ces pittoresques conducteurs jusque dans leur bonnet posé sur le sommet du crâne et leurs dents rougies par la cola qu’il mastiquaient constamment.
Notre sens de l’observation nous permettait de partager tout cela et je l’ai plongé dans un fou rire quand je lui ai raconté comment lors d’un voyage j’ai vécu la cohabitation heurtée entre un jeune apprenti et un vieux chauffeur. Ce dernier avait démarré sans le signal de départ et, outré, le premier qui était en train de rameuter les clients, bouda en restant sur le trottoir. Averti par les passagers, le chauffeur fit un rageux mouvement en arrière et arrivé à hauteur du jeune rebelle il le sermonna vertement en le menaçant de le ramener dans bled natal d’où son père le lui avait confié. Quelques mètres plus loin, le même vieux chauffeur voyant que l’apprenti était proche d’en venir aux mains avec un passager, stoppa brusquement le car rapide et, armé d’une barre de fer, fit mine de voler à son secours en s’écriant : « Modou ! Modou ! kula toogn ». Il a fallu l’intervention de quelques hommes ameutés par les cris des femmes venant à passer pour ramener le calme…
Cette relation aux allures de « je t’aime moi non plus » entre apprentis et chauffeurs de cars rapide intriguait et amusait Jean, sans oublier la garrulité de certains reporters de l’arène. Cédant à l’euphorie provoquée par la folle passion habitant lutteurs, accompagnateurs et spectateurs, ils parlent de tout et de rien, en faisant du micro un grand défouloir.
Entre autres incongruités sorties de ces logorrhées, Jean racontait souvent celle de ce reporter haut en couleurs aimant à parler de « vingt kilos de galac » au vu de l’impressionnante armada mystique des lutteurs. Le tout accompagné de « Okho ! Okho ! », déclamés avec tant d’emphase qu’il était difficile de ne pas s’esclaffer face à ses mimiques. Taquin, le doyen Mamadou Kassé n’hésitait pas à chaque fois de lui suggérer de breveter cette exclamation qu’il lançait mieux que son confrère reporter.
Aussi farceur soit-il, Jean n’y pensait pas mais il a maintenant le temps dans les célestes rédactions de l’au-delà de se retrouver aux côtés de certains regrettés confrères comme son ami Antoine Ngor Faye et Mamadou Diop, alias Joop. Sans doute le père de l’inoubliable « weex dunx » va-t-il l’aider à ajouter à son talent de journaliste celui de caricaturiste que son sens aigu de l’observation aurait dû lui permettre d’avoir de son vivant.