La pandémie de la Covid-19 a battu tous les records de fake news à travers le monde, des théories «complotistes» les plus invraisemblables aux infos les plus insolites, en passant par des remèdes de grand’mère des plus foufous. Et notre petit pays n’a pas été en reste dans ce registre et un fake news en particulier est en passe même de devenir une vérité biblique.
Nous avons tous été fiers et honorés à l’annonce de notre supposée deuxième place au monde dans la gestion de la Covid-19, qui pour exprimer une reconnaissance ô combien méritée envers le corps médical, qui pour vanter le génie de leur mentor politique.
Alors, d’où vient cette infox qui a échappé aux radars d’ordinaire si inquisiteurs de nos journalistes, au point de faire d’eux des colporteurs et défenseurs ardents d’un fake news ?
Cet argument béton dans la communication d’ordinaire chancelante du régime en place provient d’un article publié le 6 septembre 2020 par Usa Today, un quotidien national américain fondé en 1982 et qui fait dans l’information générale (et non spécialisée comme les revues scientifiques ou de médecine). Ce dernier s’est basé sur un classement, appelé Covid-19 global response index, que tient sur son site internet un autre magazine américain, The Foreign Policy, un bimensuel créé en 1970 pour informer l’opinion américaine par rapport à la guerre du Vietnam et qui, par la suite, s’est ouvert à d’autres catégories d’informations d’ordre général.
Ce Covid-19 global response index concerne un groupe de 36 pays dont ceux du G20, quelques pays dits émergents et d’autres à revenus moyens ; tous identifiés comme ayant une expérience solide relative à la gestion de la Covid-19. D’après toujours le même site, le groupe des 36 représente des pays à la diversité politique et socioéconomique avérée et à propos desquels le site dispose de données suffisamment fiables.
Donc ce qui ressort en premier c’est qu’il n’a jamais été question, aussi bien pour Foreign Policy que pour Usa Today d’un classement mondial et il n’a jamais été question non plus d’un ranking avec comme base les 36 meilleurs pays dans la gestion de la pandémie comme a voulu nous le faire croire la Rts dans un reportage dans lequel un proche collaborateur du ministre de la Santé et de l’action sociale affirmait mordicus que des universités comme Oxford ont été à l’origine de ce classement, lequel reportage trône comme un trophée de guerre sur la page Facebook du ministère.
C’est archi faux et intellectuellement malhonnête
Foreign Policy (qui avait appelé à voter Hilary Clinton en 2016) et Usa Today (qui, quoique neutre, a appelé pour la 1ère fois à voter démocrate en 2020) n’ont fait que jeter un regard critique sur la 31ème place de leur pays, comparée à 19 de même standing (G20) et 16 autres parmi lesquels des Nations émergentes et quelques pays en développement (pour ne pas dire pauvres) dont le Sénégal, le moins en développement parmi les 36.
Ensuite, ce classement fait sur la base des cas déclarés proportionnellement au nombre d’habitants (Nbre de cas/1 million d’habitants) et du nombre de décès ne concerne (et ne concernera que) les mêmes 36 pays. Et parmi eux, seuls 5 pays africains y figurent : Kenya, Ghana, Ethiopie, Sénégal et Afrique du Sud. Donc, il n’a rien de mondial parce que même dans l’école primaire la plus proche d’Oxford, les potaches savent que le monde ne fait pas 36 pays. C’est tout au plus une étude comparative des chiffres de la Covid-19 eu égard aux 3 niveaux de développement des pays en question.
Et enfin, si l’on se réfère à la date de publication de l’article de Usa Today, c’est-à-dire le 6 septembre 2020, avec le même mode de calcul que le Covid-19 global response index du Foreign Policy et les chiffres de l’Oms
(https://www.africanews.com/2020/09/04/coronavirus-africa-who-covid-19-update-04-september-2020/#gallery_4) sur l’évolution de la pandémie en Afrique au 4 septembre 2020, le Sénégal n’était même pas dans le top 25 des meilleurs pays africains. Donc, si le même classement prenait en compte l’ensemble des pays africains, on les retrouverait parmi les 40 ou 45 premiers dont près de 25 devant le Sénégal.
Mais il y a pire encore, si l’on décide d’élaguer les pays à faible population (Mauritanie 4 millions 005 mille 475 hbts, Namibie 2 millions 630 mille 073 hbts, Gabon 2 millions 230 mille 908 hbts, Togo 8 millions 608 mille 444 hbts, Maurice 1 million 927 mille 365 hbts, Rwanda 12 millions 712 mille 431 hbts, Bénin 12 millions 864 mille 634 hbts etc.) et l’on considère que les pays à plus de 16 millions d’habitants, le Sénégal ne serait que 14ème derrière la Zambie (17 millions 426 mille 624 hbts), le Mali (19 millions 553 mille 396 hbts), le Burkina (20 millions 835 mille 400 hbts), le Malawi (21 millions 196 mille 628 hbts), le Niger (22 millions 772 mille 360 hbts), Madagascar (26 millions 955 mille 736 hbts), Angola (32 millions 522 mille 340 hbts), l’Ouganda (43 millions 252 mille 968 hbts), le Soudan (45 millions 561 mille 656 hbts), le Kenya (53 millions 520 mille hbts), la Tanzanie (58 millions 552 mille 844 hbts) la RDC (101 millions 700 mille 200 hbts), l’Ethiopie (108 millions 113 mille 152 hbts).
En somme, une triste réalité qui recommande de se retrousser les manches et de se mettre au travail. Mais c’était sans compter avec une soif de gloire et de reconnaissance de certains de nos politiciens…
Aujourd’hui le même Covid-19 global response index dans sa mise à jour du 1er octobre 2020, 2 mois jour pour jour après notre 2ème place parmi les 36 pays (toujours les mêmes comme si le monde se résume à 36 Nations), classe notre pays 8ème derrière le Kenya 3ème, le Ghana 5ème et l’Ethiopie 6ème. Mais qu’à cela ne tienne, le corps médical sénégalais demeure, dans nos cœurs en tout cas, le meilleur au monde, Covid-19 ou pas, au vu des moyens obsolètes et faméliques mis à leur disposition et des résultats probants qu’il ne cesse d’obtenir.
Par conséquent, il convient juste de rappeler que nos propos ne s’inscrivent point dans une quelconque tentative d’auto-flagellation, non ! Notre chauvinisme de Sénégalais ne nous le permet pas, notre patriotisme…n’en parlons même pas. C’est un simple et salutaire exercice de rétablissement de la vérité face à une information volontairement viciée qui, aux yeux de beaucoup d’analystes, nous a valu aussi un relâchement que l’on paye cher présentement, avec une 2ème vague des plus meurtrières.
Abdou COLY
Professeur d’Anglais