« N’est-ce pas une honte pour une nation souveraine de n’aspirer qu’à être le « bon élève » d’une « communauté internationale » dont chacun sait bien qu’elle se limite à trois ou quatre États occidentaux. Ces tapes d’encouragement sur les épaules de la part des Toubabs ne sont pas seulement humiliantes : elles ont aussi leurs limites. Dès qu’ils soupçonnent chez les dirigeants africains la moindre velléité d’indépendance, ils leur font la misère. En plus de la perte de pouvoir, cela peut aller jusqu’à la mise à mort pure et simple[1].»
L’une des principales erreurs que font nombre de dirigeants africains c’est de penser qu’en soumettant inconditionnellement leurs pays aux intérêts de certaines grandes puissances étrangères – souvent au détriment de ceux de leurs peuples –, ils peuvent en retour avoir leur soutien leur permettant, fût-ce illégalement, de se maintenir au pouvoir plus longtemps, voire le restant de leur vie. Ainsi espèrent-ils non seulement trouver ailleurs une légitimité leur faisant souvent défaut à l’intérieur de leurs frontières mais encore bénéficier d’une certaine assistance qui leur permettrait de mieux asseoir leur pouvoir si quelque trouble ou secousse venait à le faire vaciller.
Cette posture a été et demeure encore celle adoptée par plusieurs dirigeants des pays de l’Afrique noire, autrefois colonisés par la France, dans les rapports qu’ils entretiennent avec l’ancienne métropole. Les exemples pouvant l’attester sont légion du Sénégal au Tchad, en passant par le Niger, la Côte-d’Ivoire et tutti quanti.
Pourtant un petit clin d’œil dans le rétroviseur de l’histoire suffirait pour voir que cette attitude, même si elle peut fonctionner pendant un certain temps, est souvent, pour ne pas dire toujours, vouée à l’échec en dernier ressort. D’autant que le soutien que les puissances étrangères prédatrices apportent à leurs laquais est comme une girouette qui tourne au gré des vents de leurs intérêts et de la conjoncture mondiale. Par conséquent, quand ces derniers – qu’elles ont souvent installés au pouvoir ou ont aidé à s’y maintenir, ne font plus leurs affaires ou décident de s’extirper de leur étreinte, elles n’hésiteront d’un iota à se débarrasser tout bonnement d’eux par plusieurs moyens pour essayer de les remplacer par d’autres plus dociles. Qui plus est, les peuples dont les dirigeants sont plus prompts à satisfaire les caprices de leurs maîtres qu’à s’occuper de leurs véritables besoins peuvent se soulever contre eux un jour ou l’autre quand ils en ont marre même s’ils vivent sous un régime de terreur.
Les histoires de Bokassa, Mobutu, Hissène Habré, pour ne citer que ceux-là, peuvent et doivent servir de leçon à de nombreux dirigeants africains actuellement au pouvoir, prêts à vendre leurs peuples, et leurs richesses avec, à des puissances étrangères espérant en retour « leur soutien ». Mobutu est mort dans des conditions misérables et est enterré dans la plus grande discrétion loin de son pays après avoir été lâché par la France et les États-Unis et chassé du pouvoir par la rébellion de L. D. Kabila ; Bokassa, après avoir subi l’un des coup d’État les plus ubuesques de l’histoire organisé par ses anciens protecteurs français et passé des années d’exil l’ayant mené en Côte d’ivoire et dans l’Hexagone, est mort dans un état piteux dans son pays, après y avoir séjourné en prison pour trahison, meurtres, détournements de deniers publics; Habré croupit en prison au Sénégal, sa terre d’exil, malgré tous les « services rendus » à la France. Tous ces trois anciens présidents qui faisaient souvent passer les intérêts qui de la France, qui des États-Unis, qui des deux, avant ceux de leurs concitoyens ont été lâchés par les dirigeants de ces pays, qui se sont même parfois retournés contre eux, lorsqu’ils ne faisaient plus leurs affaires.
En plus d’être souvent honnis par les citoyens de leurs pays – qu’ils tiennent généralement d’une main de fer – ces genres de dirigeants s’y retrouvent très souvent du mauvais côté de l’histoire. Sans mentionner les humiliations dont ils font souvent l’objet venant des puissances auxquelles ils soumettent servilement, des accords qu’ils signent discrètement avec elles et ratifient à l’insu de leurs peuples et surtout du double langage qu’ils sont obligés de tenir en face des uns et des autres parce qu’il leur est impossible de concilier leurs intérêts divergents. De plus, ils ne cessent d’être ridiculisés et de se ridiculiser devant la face du monde. Le discours téléguidé d’Alassane Ouattara soutenant mordicus les bienfaits du franc CFA dans la cour de l’Élysée et la convocation des présidents du groupe G5 Sahel à Pau par Macron en sont quelques exemples patents. Roland Colin rapporte que Maurice Yaméogo, après avoir clairement voté en faveur de l’adhésion de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), dont il fut le premier président, à la Fédération du Mali, avait fini par faire volte-face sous les pressions et les grandes promesses de la France et d’Houphouët Boigny. Et il ajoute que Jacques Foccart raconte dans un de ses livres qu’il lui dira plus tard : « qu’il n’avait pas levé le bras au moment du « serment fédéraliste » mais simplement effectué par inadvertance, un simple geste d’ajustement vestimentaire qui avait pu prêter à confusion[2].» Ce qui frise le ridicule et l’indignité. Bokassa, qui avait versé un torrent de larmes à la mort du général de Gaulle, qu’il appelait papa, disait que : « La France est ma deuxième patrie (…) La France et la RCA ne font qu’un seul pays dont la capitale est Lille, où est né le général de Gaulle[3]. » C’est dire à quel point plusieurs nos dirigeants peuvent se rabaisser devant leurs homologues étrangers des puissances dominatrices juste pour avoir leur soutien afin de se maintenir davantage au pouvoir ou pour gagner quelques faveurs.
Bien qu’il soit indéniable que les dirigeants de beaucoup de pays « moins forts » subissent souvent de nombreuses et d’intenses pressions – venant de certaines grandes puissances – pouvant aller jusqu’aux tentatives de déstabilisation politique et sociale de leurs pays, même de meurtres – comme c’est déjà arrivé à de nombreux présidents africains – l’histoire a récemment montré que ceux d’entre eux soutenus par leur peuple sont plus aptes à faire face à ces genres d’attaques. Ainsi, si Erdogan ne disposait pas de l’amour d’une bonne partie de son peuple, beaucoup de ses compatriotes ne seraient pas descendus dans les rues au péril de leur vie pour protéger son pouvoir lors du coup d’État de 2016, qui aurait été fomenté à partir de l’étranger. Sans le soutien d’une bonne partie des Vénézuéliens, Nicolas Maduro aurait depuis longtemps quitté le pouvoir sous les coups de boutoir répétés des États-Unis et de ses sous-fifres qui veulent à tout prix mettre le valet Juan Guaidó à sa place. Cuba de Castro se serait soumis depuis longtemps à la volonté impérialiste yankee, si le peuple ne s’était pas uni derrière leur charismatique leader malgré les longues décennies de l’embargo inique que le pays subit. Si l’Iran tient toujours le choc face aux assauts répétés des États-Unis et d’Israël, c’est que beaucoup des fils du pays se sont groupés derrière leurs leaders. En Bolivie, le MAS, par son retour en force au pouvoir, après en avoir été chassé, à la suite de manigances de forces impérialistes, a montré à ces dernières comme par un pied de nez, qu’un peuple conscient et uni derrière un leader patriote peut leur faire face, mieux les vaincre. Cela ne veut dire pour autant qu’il n’existe pas de voix discordantes dans ces pays et que leurs dirigeants sont des enfants de chœurs. Loin s’en faut. Mais ces derniers sont très souvent diabolisés par les médias mainstream occidentaux qui préfèrent souvent mettre l’accent sur les voix dissidentes, qu’ils n’hésitent à amplifier. Cela peut se comprendre car, comme le dit Amin Maalouf : « L’Occident n’aime pas qu’on lui ressemble, il aime juste qu’on lui obéisse[4]. » Or ces pays et ceux qui les dirigent ne veulent se prosterner devant qui que ce soit. Ce n’est dès lors pas un hasard, à en croire le journal Le Monde, si Fidel Castro a échappé à 638 tentatives de meurtre venant de la CIA[5]. Il faut tout de même signaler que dans ces guerres qui ne disent pas leur nom le soutien d’une grande puissance pouvant avoir des visées et des intérêts différents de ceux des puissances prédatrices peut constituer un grand atout comme c’est le cas avec certains des pays susmentionnés. Mais l’idéal c’est toujours de ne compter que sur son peuple pour assurer sa sécurité et celle de son pays.
En définitive, l’un des meilleurs moyens pour les dirigeants de nos pays pour faire face aux puissances étrangères impérialiste et néocolonialiste n’est pas de se soumettre à elles pieds et poings liés mais d’essayer d’abord et avant tout de gagner l’amour et le soutien de leurs peuples. Mais cela passe d’abord par le patriotisme dont ils doivent faire montre dans leurs actions et décisions de tous les jours ; par le respect des textes et des institutions en place dans leurs pays ; par les efforts qu’ils doivent fournir pour l’amélioration des conditions de vie et de sécurité de leurs concitoyens et par une meilleure justice sociale. Les peuples ne sont pas ingrats, ils rendent souvent très bien l’amour que leurs dirigeants leur portent et sont prêts à se sacrifier pour qui se sacrifie pour eux. Si Lumumba et Sankara entre autres dirigeants se trouvent aujourd’hui du bon côté de l’histoire et jouissent encore d’une excellente image auprès de nombre de fils du continent, c’est parce que beaucoup d’Africains savent qu’ils sont morts pour la défense de leur liberté et de leur bien-être contrairement à beaucoup d’autres leaders qui, par peur, par amour excessif du pouvoir, par lâcheté ont préféré collaborer avec les oppresseurs. La question de la soumission des dirigeants à certaines puissances étrangères soulève encore et toujours la nécessité du basculement de nos petits pays pauvres et impuissants sur la pente de leur destin fédéral comme le prônait Cheikh Anta Diop[6].
[1] Aminata Traoré, La gloire des imposteurs, p.53, coécrit avec Boubacar Boris Diop
[2] Roland Colin, Sénégal notre pirogue, au soleil de la liberté. P.148.
[3] Saïd Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique, Tome 1, p.203
[4] Amin Maalouf, Les identités meurtrières, p. 90
[5] https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/11/26/ces-638-fois-ou-la-c…
[6] Cheikh Anta Diop, Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire, p.27