Le Sénégal entame ce mardi 23 février sa campagne de vaccination contre la Covid-19, après la réception des 200 000 premières doses de la firme chinoise Sinophrarm. En attendant la prochaine livraison des 6 798 000 doses destinées à la campagne de masse, il est à craindre, en dépit manque de confiance d’une partie de la population sur ces vaccins (voir ma chronique du 15 février dernier), que certaines personnes, non prioritaires, essaient d’accaparer les premières doses destinées au personnel de santé et aux personnes âgées de plus de 60 ans ou vivant avec des comorbidités. En effet, dans un pays où le « masla » est de règle, où tout se règle par le fameux « bras long », ce risque n’est pas à exclure. Il faudra beaucoup de rigueur et une transparence absolue de la part du ministère de la Santé et de l’Action sociale et des agents sur le terrain pour que ces vaccins aillent réellement à qui de droit.
Ailleurs, de tels privilèges indus ont fait scandale. En Argentine, le Ministre de la Santé, Ginés Gonzalez Garcia, a été contraint de démissionner pour avoir proposé à ses amis de se faire vacciner au ministère sans prendre rendez-vous dans un hôpital comme cela est de règle. Avant cela, au Pérou, un autre pays d’Amérique du Sud, c’est la Ministre des Affaires étrangères, Elizabeth Astete, qui a connu le même sort après avoir reconnu s’être fait vacciner contre la Covid-19 dès janvier, avant les populations prioritaires. Le scandale avait même entraîné la démission de la Ministre de la Santé, Pilar Mazzetti. Contrairement à d’autres pays, dont les présidents, ministres ou fonctionnaires se font vacciner pour donner l’exemple, dans ces pays, comme dans beaucoup d’autres démocraties, il est inconcevable que les membres du Gouvernement reçoivent le vaccin en toute discrétion et avant même le lancement de la campagne officielle de vaccination. On ne peut que saluer cette exigence d’égalité de tous les citoyens devant la vie et la mort, indépendamment du statut des uns et des autres. Du moins, pour ce qui est du service public.
En Afrique, selon qu’on soit riche ou proche d’une autorité, on a droit à tous les privilèges. On a même vu des autorités, parfois de rang intermédiaire, refuser de faire la queue dans les services publics comme si cela était indigne de leur rang. Ce constat est particulièrement révoltant dans les hôpitaux. Combien de fois, pour ceux qui fréquentent les hôpitaux publics, on voit quelqu’un, parce qu’il a été simplement « recommandé », entrer directement dans la salle de consultation, alors qu’il a trouvé sur place des gens qui sont là parfois depuis 5 heures du matin ? Ces humbles gens protestent parfois bruyamment. Sans conséquence. Il faut aussi être honnête, qui de nous n’a jamais tenté d’user de ce trafic d’influence ? On me répondra que « oui, on sait que c’est anormal, mais on n’a pas le choix… » Cette excuse n’est valable qu’en partie. Oui, nos services publics sont loin d’être irréprochables, mais beaucoup de pratiques relèvent de notre laxisme, de nos égoïsmes personnels, bref de notre « sénégalité », même si l’État a une énorme part de responsabilité. On a maintes fois annoncé des programmes de modernisation de l’administration, mais les citoyens tardent à voir les effets. De mon point de vue, la seule façon de changer cette situation, c’est de dépolitiser les hautes fonctions de l’administration afin de couper court aux logiques d’allégeance et de « don contre don ». C’est à ce prix seulement qu’on aura une administration impartiale. Pourquoi pas un appel à candidatures, avec des critères bien définis, pour certaines fonctions ? Restera ensuite à fixer les critères de performance qu’on traduit dans le jargon actuel par « gestion axée sur les résultats » et à renforcer les moyens de l’administration.
Cela étant dit, pour en revenir aux vaccins, je suis bien conscient de la particularité de chaque pays. Au Sénégal, compte tenu de la défiance d’une partie de la population par rapport à ces vaccins, il ne serait pas à exclure que quelques hautes autorités politiques et religieuses se fassent vacciner devant les caméras pour servir d’exemple. Mais cela doit rester très symbolique. Pour le reste, il faudra montrer patte blanche pour se faire piquer !