L’actualité est secouée par une affaire de mœurs qui a provoqué un climat politico-médiatique infestant la santé démocratique du pays. L’information est un enjeu démocratique de sécurité et de stabilité. Elle joue un rôle important dans la paix, dans la construction de la démocratie et dans l’émergence du citoyen. La manipulation de l’information est dangereuse pour la paix sociale. Elle libère les démons de la parole que sont le mensonge, la calomnie, l’affabulation, la diffamation, le dénigrement, … qui excitent les émotions, la colère, les insultes, les opinions et les croyances en donnant libre cours à de fausses vérités. Elle corrompt les fondements de la démocratie liés aux droits et libertés de s’exprimer, de se réunir, de manifester et d’agir.
Activistes, lanceurs d’alerte, politiciens, société civile, journalistes, des groupes de tout acabit surgissent de partout pour s’emparer et profiter en abusant des opportunités que leur offre la démocratie afin d’assouvir des intérêts dissimulés ou inavoués. La dictature a deux caractéristiques fondamentales: la manipulation et le terrorisme. On vous manipule ou on vous terrorise. Le délit de mœurs est travesti en complot politique et le complot politique en délit de mœurs. L’honnête citoyen est confus. Le sénégalais est manipulé et terrorisé, il n’est plus informé. Qui a tort, qui a raison ? Ou se trouve la vérité ? Le bon sens et la logique perdent leurs repères. Les émotions, les passions et les jugements de valeur rendent désormais la justice à la place des juges.
Les journalistes doivent se mettre en mode manipulation au risque d’être accusés de collabos, de traitres, d’être bannis et condamnés au tribunal de l’opinion. Ils doivent jouer le jeu. Ils ne sont plus les maitres de leur art. La démocratie dérive vers son côté le plus pernicieux, la dictature. On tue, on brûle, on casse au nom du droit démocratique de s’exprimer et de manifester, on arrête et on emprisonne au nom du maintien de l’ordre. Nous assistons impuissants à la dictature de la démocratie. Le peuple confus et abusé se déchire. Les opinions sectaires et réductrices se manifestent pour justifier des menaces et des forfaits. Nous avons inventé et adopté un système démocratique dont nous maitrisons de moins en moins les moyens de le contrôler.
Le sous-développement et la pauvreté qui caractérisent nos pays sont sources de mécontentement permanent(des populations) qui sert de carburant aux agissements des activistes, des lanceurs d’alerte, des politiciens et de la société civile. La démocratie est-elle compatible avec un environnement d’urgence et d’indigence marqué par des besoins sociaux toujours insatisfaits (du peuple)? Cet environnement est propice à la révolte, à la grogne, à la contestation, à la protestation, à la manifestation de la violence mais aussi et surtout à la manipulation qui favorise et installe la dictature de la démocratie. L’émergence du citoyen est fortement retardée dans ce contexte. La population vivant dans une insatisfaction permanente a besoin d’un porte-voix qui dénonce son mal-être, qui identifie son coupable et le juge. Il est clair que ce porte-parole peut lui ravir son adhésion complaisante. La mission de la démocratie n’aurait jamais dû être de créer le désordre, la contestation, la protestation.
La démocratie ne saurait être qu’une technique d’accouchement des idées et des propositions les plus pertinentes, du dialogue et du consensus le plus coopératif et le plus constructif mais également de révélations des compétences et des talents les plus féconds. Un peuple qui n’est pas informé, n’est pas éclairé, il vit et agit dans le noir. Ne banalisons pas l’information. Notre vie démocratique y dépend. Il faut l’organiser, l’encadrer et l’assainir. N’a-t-on pas besoin de journaliste assermenté pour prévenir la désinformation et la manipulation ?
L’affaire Sonko Adji-Sarr a pollué l’atmosphère politique au Sénégal en chargeant l’information de manipulation associée à du terrorisme médiatique. Les réseaux sociaux qui charrient de la « rumeur numérique » créent de la confusion qui assombrit le ciel de la vérité, alimente le doute et provoque le désordre et la violence. L’éthique et l’honnêteté sont en deuil. Elles sont orphelines dans une société majoritairement musulmane et chrétienne où la vérité, la sincérité, l’éthique, l’honnêteté restent des valeurs cardinales. Nous sommes dans une situation périlleuse qu’il ne faut pas sous-estimer. Autant nous n’accordons aucun crédit à la thèse du viol, autant nous n’accordons aucun crédit à la thèse du complot.
Laissons la justice dire le droit dans toute la splendeur de la liberté. Accordons aux acteurs de la justice la présomption de bonne foi. En régime démocratique, seule l’élection est source de pouvoir et de légitimité. L’indépendance, le pouvoir et la légitimité des votes de l’assemblée relèvent de l’élection des députés, le pouvoir et la légitimité du gouvernement ainsi que de la justice relèvent de l’élection du président de la république (qui leur distribue sa légitimité et son pouvoir) et pas du tout de la légitimité technocratique des ministres et des juges.
L’indépendance de la justice ne saurait concerner la séparation des pouvoirs mais ne consisterait qu’à être encadrée et organisée par des textes et des lois clairs, pertinents et unanimes. Nos responsabilités individuelles et collectives sont interpelées. Il y va de notre sécurité et de la paix sociale. Chacun doit s’assumer. L’Histoire et Dieu jugeront de nos actes et de nos discours bienveillants ou malveillants. La démocratie est un esprit et un comportement avant d’être un discours, un texte et une loi.
Dr. Abdoulaye TAYE
Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop
Initiateur du RBG-AMO Président de TGL