On dirait que le Sénégal est en récréation. Récréation d’une classe bien bruyante. Un coup de cloche et c’est le brouhaha même si on ne sait pas qui a sonné le tocsin. On s’empresse d’aller s’amuser, de s’occuper de tout sauf de ses propres oignons. Peu importe la vérité, on donne son avis, on conclut avant d’introduire, avant même de développer. Finies, les investigations. Bâclée, l’audition de l’autre partie. Une seule version peut suffire. La clameur est entretenue et suffit comme seule sentence. Peu importe ce qu’en dit la religion, il suffit de prier pour absoudre tous ses péchés, pense-t-on.
INVERSION DU CYCLE NORMAL
Par moments, on se surprend à penser qu’on a un pays bizarre à bien des égards. Sommes-nous attirés par les tricheurs et paresseux? Un peu de travail quand on ne peut pas faire autrement, ensuite beaucoup de distraction. Nous faut-il seulement du pain et des jeux? Même quand l’accalmie s’installe pour ne pas dire la paix s’invite dans notre actualité, nous nous évertuons à la déloger, à la chasser loin de cette concession estampillée Sénégal, notre Sénégal. Les ragots, les mauvais vœux et prières ont tendance à devenir «made in Senegal».
Refusons d’en faire un label national, on peut trouver mieux. En effet, il est triste de constater qu’au lieu de poser des jalons positifs, chacun compte le nombre de coups qu’il peut donner à l’autre. On se réfugie lâchement derrière les réseaux sociaux où chacun est vedette pour proférer des insanités, accuser sans preuves, détruire de dignes épouses, d’honorables pères de famille et s’en délecter. D’ailleurs, le narcissisme est à la mode. On se photographie sous plusieurs angles et on envoie des dizaines de prises sans savoir où atterrissent nos images. Le comble, c’est qu’on envoie de plus en plus une multitude de photos masquées sans aider au décryptage, avec une légende en dessous. Dans l’autre sens le procédé est utilisé pour exposer quelqu’un à la vindicte populaire. Comme si cette manie pouvait aider les auteurs de ces œuvres du mal à s’ouvrir les portes du Paradis.
LE FEU COUVE
Plus qu’un couvre-feu, c’est le feu qui couve. Attention, peuple ! Les enfants, qui grandissent vite, observent, amusés par le jeu des adultes qui n’ont rien d’autre à leur proposer, voire leur apprendre. Mais pour combien de temps encore vont-ils se contenter d’être de simples spectateurs et de subir encore au lieu d’agir? Iront-ils au quasi-suicide en se jetant encore à la mer ou chercheront-ils vaille que vaille des responsables de leur calvaire pour les «suicider»? L’avenir, proche ou lointain, nous édifiera. Cela devrait inciter à réfléchir, quand dans un pays, une infime minorité s’agite, pouvoir et opposition additionnées, alors qu’en face une écrasante majorité de plus de 14 millions d’âmes, apolitiques, garde le silence. Pour un intellectuel, c’est l’heure de se poser les questions essentielles même si on ne trouve pas aussitôt les réponses appropriées. Ce sera déjà un pas vers une prise de conscience ou une remise en cause. De quoi demain sera-t-il fait?
FAIRE AMENDE HONORABLE
Faire amende honorable, volte-face, redresser la barque Sunugal, c’est le sursaut qu’il nous faut. C’est peut-être une simple impression, mais à y regarder de près, la crise est presque partout: crise sanitaire certes, crise économique, crise de la politique, crise sociale, crise des valeurs. A travers le monde, c’est dans de telles situations qu’un leadership s’est affirmé, mais c’est toujours quelqu’un à qui on peut reprocher peu de choses, pour dire rien du tout, un zéro faute, une sorte de héros presque sorti du bois. Sinon gare au populiste ou au filou futé qui se sera engouffré dans la faille laissée béante. Peuple, attention ! Quand le 3ème des sénégalais (à la dernière présidentielle) est traité de la sorte par des sénégalais, que doit penser le reste du monde à propos des sénégalais en général, y compris le premier d’entre nous? Voudrait-on dire au reste de monde que chez nous les meilleurs sont mauvais, ou tout juste «moins pires» que les autres. On n’accable pas sans certitude, je dis bien sans certitude, quelqu’un qui peut être Président de la République, Père de la Nation, peu importe qui il est et d’où il vient: du nord ou du sud, de telle ethnie ou race, de tel parti ou coalition de partis politiques, de telle confession ou confrèrie. Où est l’esprit chevaleresque? Que faire du principe de droit qui veut que nul n’est coupable tant que la justice n’en a pas décidé ainsi? Personne n’est au-dessus des lois, cela signifie ni l’accusé, ni l’accusateur, la victime pouvant ne pas être l’accusateur. Que deviendrait-on si chacun voulait s’ériger en tribunal tout seul, si une seule personne, serait-ce un Chef d’État, décidait d’un sujet à ne pas aborder (3ème mandat) qui ne serait ni secret défense, ni question de souveraineté nationale ou d’intégrité territoriale? On mettra du temps à assimiler la démocratie et ses contours. Mais quelqu’un disait si bien : je me méfie des partis politiques, ils deviennent vite des partis pris. En outre, les partis, bien que nécessaires à la démocratie, n’en musèlent pas moins les génies, bâillonnent la créativité si celle-ci n’est pas issue de la haute hiérarchie. Attention, mon peuple ! Qui doit-on placer en premier dans la hiérarchie du choix entre un parti et un pays, entre un homme et un peuple? Est-on prêt à jurer de confirmer ce choix devant Dieu et les hommes ?
LA VOIE A SUIVRE
Attention, peuple ! Faut-il le dire et mourir ? Monsieur le Président de la République et cher frère, sans être de votre parti politique, je vous ai soutenu quand c’était nécessaire, quand la démocratie vacillait: dañoo bokkoon yaakaar (nous partagions le même espoir). Jamais je ne me suis senti aussi proche d’un Président de la République, donc de vous pour avoir vécu ensemble dans un espace scolaire sans avoir été des camarades de classe. Mais je préfère Sénégal en entier à toute autre personne. J’ai été honoré et très fier de voir ce ressortissant du Sine-Saloum, futur Président de la République, aux Assises Nationales du Sénégal, prendre sa place à côté d’autres illustres personnalités sénégalaises pendant que j’y représentais le secteur de la culture en tant que plénipotentiaire accompagné d’un suppléant. Sans vous avoir jamais sollicité quand vous étiez Premier Ministre puis Président de l’Assemblé nationale, je vous ai rencontré et encouragé au plus fort de la tourmente, quand beaucoup de vos proches de l’époque vous fuyaient comme le coronavirus. J’ai présenté et défendu votre programme culturel quand c’était nécessaire et vous avez certes beaucoup fait pour la culture, comme d’autres avant vous ont accompli leur part du destin. Aujourd’hui, je me sens donc libre pour vous supplier de rectifier le tir afin de présenter une meilleure figure de vous-même et du Sénégal et ainsi, ne pas enterrer les progrès enregistrés car il y en a. Je vous sais assez intelligent pour adopter la meilleure des positions le moment venu, cher frère. De grâce, laissez rentrer librement les exilés volontaires ou contraints, n’arrêtez pas d’écouter vos anciens compagnons de lutte et réhabilitez ceux d’entre eux qui le méritent amplement. Ceux qui vous disent respectueusement ce qu’ils pensent être la vérité ont le mérite d’être courageux et pas égoïstes pour un sou.
Un opposant n’est pas un ennemi à rayer de la carte politique, n’écoutez pas ceux qui suggèrent de l’écraser. C’est juste un adversaire d’un moment dont la présence peut vous donner plus de légitimité et de crédibilité que celle d’un partisan. S’il n’y avait que ses seuls partisans qui votaient pour l’élire, aucun candidat ne serait Président de la République.