La politique est une affaire de perceptions. Dans le cadre de cette activité, on cherche à transformer le réel, à améliorer les conditions d’existence des citoyens. C’est d’abord et avant tout dans l’ordre du discours que l’on se situe puisqu’il faut nommer le réel, l’interpréter. C’est seulement après que l’on pourra chercher à le transformer. On voit donc l’importance du discours en politique. Il s’agit pour l’homme politique, gouvernant ou opposant, à travers le discours, d’implanter dans la conscience collective une façon de voir les choses. L’enjeu fondamental est d’amener les citoyens à adhérer au point de vue défendu, à la ligne politique tracée. Certains concepts semblent les plus indiqués pour structurer les offres et façonner les projets politiques. Parmi ces concepts, celui du changement occupe une place de choix. Ce n’est pas pour rien que la promesse de changement est au centre de tous les discours politiques. Les stratèges politiques et les spécialistes du marketing en usent voire en abusent. Cela, par-delà les époques et les pays.
Les gouvernants actuels essaient de faire croire au peuple que la lumière de l’émergence est perceptible au bout du tunnel. Le changement est en marche. Désormais, il ne se limite plus simplement au discours. Il est clairement perceptible à travers le réel qu’il a très fortement impacté. Le pays serait définitivement lancé sur la rampe irréversible de l’émergence. On invoque à cet effet un certain nombre de statistiques – ceux de la Banque mondiale ou du FMI – ou de programmes – les bourses familiales, le PUDC, le PUMA, etc. – pour illustrer la réalité du changement. Si les citoyens ne ressentent pas dans leur vécu quotidien la réalité du changement, il faut leur en donner la perception. C’est une façon, pour les gouvernants, de consolider et d’élargir les bases du régime. Les réformes enclenchées sortiront le pays du marasme social et économique: les promesses sont tenues puisque les politiques mises en œuvre améliorent le sort des citoyens. Tel est le point de vue des gouvernants actuels.
Contrairement à cette manière de voir les choses, l’opposition invoque le réel, les difficultés économiques et sociales dans lesquelles les citoyens sont plongées. Dans ce pays, fait-elle remarquer, on ne voit même plus le diable pour le tirer par la queue. Au lieu de s’améliorer, les conditions de vie se dégradent. Le discours optimiste tenu par les gouvernants est par conséquent de l’ordre de l’illusion. Ce n’est donc pas avec cette manière de gouverner que l’on va passer de l’enfer économique et social actuel aux lendemains qui chantent. Le manque d’ambition des gouvernants actuels est d’ailleurs perceptible dans le fait qu’ils n’ont plus le développement économique et social comme objectif. Ils ne le visent même plus. Le développement est dévalorisé ou dévalué, réduit qu’il est à la simple émergence.
Le paradis économique et social n’est pas pour demain si les ruptures nécessaires à l’amélioration des conditions d’existence continuent d’être différées. Pour favoriser le progrès économique et social, il est impératif de rompre avec la gouvernance actuelle du pays qui est, à bien des égards, vicieuse et sombre. Sonko est allé très loin dans la critique de la gouvernance actuelle. Certains affirment même qu’il est l’opposant le plus radical au régime de Macky Sall. Il s’est évertué à faire comprendre qu’avec lui, ce serait différent: le discours et la pratique se rejoindraient. En termes simples, il se confondraient. L’éthique se réconcilierait avec la politique. Les ruptures toujours promises mais jamais réalisées seront désormais l’aune à partir de laquelle sa future gouvernance sera évaluée.
Le discours qu’il a toujours tenu prône la bonne gouvernance. Aussi, cherche-t-il à implanter dans la conscience collective le point de vue selon lequel, la mauvaise gestion des affaires de l’État n’est pas de l’ordre de la fatalité. Pour convaincre de la fiabilité d’un tel discours, il avait l’habitude d’exhiber son parcours qui serait irréprochable. Sa vie ou tout au moins son cheminement dans les hautes sphères de l’administration est une preuve suffisante de la fidélité aux principes de la morale. Importance donc du discours mais aussi du parcours. Celui-ci illustre celui-là. Celui-là donne une bonne dose de crédibilité à celui-ci.
Beaucoup de citoyens estiment, au regard de la gabegie et des injustices réelles que le pays a fondamentalement besoin d’une révolution sur le plan moral. Acter une telle révolution, la traduire dans les faits passe inéluctablement par l’érection de modèles. On a besoin à la tête de ce pays d’un homme irréprochable sur le plan non seulement des compétences mais aussi sur celui de l’éthique. Un tel dirigeant servirait, pour les citoyens, de guide et de boussole. C’est justement sur ce terrain que Ousmane Sonko, leader des patriotes, s’est positionné. Cet ancien inspecteur des impôts aurait résisté, dit-on, aux propositions les plus mirobolantes. Il les aurait purement et simplement balayées d’un revers de la main puisqu’elles ne s’accordaient pas avec ses convictions éthiques les plus profondes. C’est lui, au fond, l’homme intègre que le pays attend depuis longtemps. Il aurait l’éthique chevillée au corps. Qui plus est, rien ni personne ne le dévierait de cette voie.
Chez les patriotes, la politique est affaire de principes avec lesquels on ne doit nullement transiger. Aucun compromis encore moins aucune compromission en ce qui concerne les principes. Le discours doit clairement les indiquer et le parcours les refléter et les confirmer. Tout dans le discours, hormis les bévues sur lesquelles je ne m’attarderai pas ici, frisait la perfection. Certains de ses partisans voyaient d’ailleurs en lui l’incarnation de la sainteté, le modèle par excellence de l’homme politique vertueux. On tiendrait en lui un saint en politique qui s’évertuerait à mettre en place une politique de la sainteté c’est-à-dire vertueuse. Certains de ses fidèles, au double sens du mot, boivent littéralement les paroles de ce saint en politique.
Son discours, on l’a dit, prônait la pureté angélique. On pourrait être tenté d’en dire autant pour le parcours en tout cas jusqu’au moment où il a croisé le chemin d’une jeune femme dans un salon de massage. D’ailleurs, combien sont-ils à avoir complètement nié que Sonko puisse se rendre dans tel un salon? Le saint ne peut pas descendre aussi bas. Il vit sur les hauteurs. Le saint politique ne saurait visiter ces lieux de la tentation ou de la luxure selon certains. Avec cette affaire, le décalage devient évident entre le discours et le parcours. On pourrait même dire que le discours et le parcours se seraient rencontrés dans une perspective inverse à ce que le leader du Pastef a prôné et montré jusqu’ici. Ils ont irrémédiablement été impactés voire entachés par la jeune dame. La perception que certains avaient du saint en politique ne sera plus la même. Quelque chose s’est passé qui fait que Sonko ne sortira pas indemne de cette affaire. La virginité perdue ne se retrouve jamais.
Quelle que soit l’issue de cette affaire, le capital sympathie de l’homme sera affecté. Le sera-t-il positivement ou négativement? Apothéose politique ou descente aux enfers? Positivement, un boulevard conduisant au palais s’ouvrirait devant lui. Négativement, il perdrait, au moins, une partie de l’électorat intransigeant sur la question de la fidélité aux principes éthiques. Il faudrait, dans les circonstances actuelles, garder en mémoire ce fragment des Pensées de Pascal: «l’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête». C’est à l’aune d’un tel point de vue que l’on peut aussi envisager le chemin de la complexité de l’humain et des affaires humaines. On aura compris qu’il ne peut pas y avoir un saint en politique, un saint politique. Celui qui se prétend tel ou que l’on présente comme tel n’est en réalité qu’un humain parmi les humains capables de grandeur et de misère.
Salmakoor, un citoyen libre qui veut vivre dans un État libre