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Leçons D’une Crise Inédite, Les Prémices Du Grand Basculement: Ma Réponse à Latif Coulibaly (pr Amadou Sarr Diop )

Les derniers évènements qui ont secoué le Sénégal ne relèvent pas de l’ordre du factuel et de l’imprévisibilité. Ils sont porteurs d’irréversibilités et s’inscrivent dans cette dialectique du champ politique sénégalais, marqué par la permanente recomposition du rapport des citoyens au pouvoir. Les évènements sociétaux auxquels nous avons assisté relèvent de l’ordre de l’historicité, dans un contexte sociologiquement chargé. Ces événements apparaissent comme un résultat de « quelque chose » qui relèvent de l’analyse sociologique de que j’appelle un nœud de facteurs conjonctifs. Les échelles d’action, dans l’hybridation des postures, des comportements (manifestations et scènes de pillage), selon les différents acteurs impliqués, renseignent sur la complexité des facteurs et des logiques en jeu. Dans le cours des temporalités qui se donnent à voir dans ce contexte de crise, ces évènements sont l’aboutissement et la cristallisation d’une crise multiforme, construite dans les travers d’une gouvernance fragilisée par des déficiences multiples. Dans le mode de gouvernance de nos Etats postcoloniaux, les élites politiques sont vite rattrapées par le syndrome de l’accaparement et de la totalisation des institutions, du fait de la gestion hégémonique partisane des ressources et des dividendes. Ceux sont les tares congénitales qui ont perdu la plupart des régimes en Afrique.  Et pourtant, l’ethos politique de Macky Sall s’est construit en 2000 autour d’un programme de gouvernance aux antipodes de cette logique d’accaparement et de vampirisation du pouvoir. Dans son programme yoonu yoketé, soumis au peuple sénégalais, d’aucuns y entrevoyaient l’émergence d’un paradigme, porteur de rupture et d’avancées majeures. Contre toute attente, la gouvernance de Macky a reproduit les pratiques de la ruse politique ; elle a eu comme stratégie de prédilection la manipulation des institutions judiciaires à des fins de calculs politiques. 

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La rhétorique politique du camp de Macky Sall sert plus à masquer l’absence de changement et à recycler, dans la maladresse, les anciens militants de Wade et leurs vieilles méthodes de gouvernance, tant décriées à l’époque par le peuple du 23 juin. L’érosion de l’espace démocratique, le flou sur le troisième mandat et les multiples procédés de liquidation, sans état d’âme, d’adversaires potentiels, ont fini par assombrir l’horizon politique au Sénégal. Rapportées dans un contexte de morosité économique, les défiances consécutives à cette forme de gouvernance politiques a fini par générer le sentiment de défiance, exprimée dans le registre de la violence populaire comme réponse aux dérives d’un pouvoir, aux allures d’une dictature rampante. En définitive, les brutalités constatées durant les évènements, relèvent de la profondeur de la césure entre un pouvoir et son peuple.

Eu égard à ces éléments d’analyse ainsi esquissés, on retient que les raisons qui ont ébranlé le pouvoir de la seconde alternance sont profondes et multifactorielles. Le cas Sonko n’a été que le prétexte de l’explosion induite par un nœud de facteurs conjonctifs. L’hybridation d’une politique néolibérale et un autoritarisme mal pensé, dans un contexte de morosité, sont les deux déterminants qui ont rendu la clameur populaire aussi profonde et décisive. Ceux qui doutaient de la détermination du peuple sénégalais, n’ont pas compris que les grandes césures historiques, dans la vie des peuples, sont fonction de ce que les sociologiques appellent le grand basculement. Celui-ci se donne à voir quand un peuple prend conscience, comme l’enseigne Fanon, qu’ « il n’y a pas de destins forclos, il n’y a que des responsabilités désertées ». Ce qu’on a qualifié comme un génie politique chez Macky Sall a été un machiavélisme tropical, oubliant les contours de l’histoire politique du Sénégal et l’identité sociologique du peuple sénégalais qui refuse que les lignes rouges soient franchies, dans le bafouillage de la dignité et de l’honneur. Abdou Diouf en 88, Wade le 23juin 2019, Macky un certain mars 2021, l’histoire retiendra qu’il y a un génie sénégalais qui en a fait un peuple qui sait refuser avec intelligence et dans la fermeté

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Que retenir de ces événements, quelles leçons faut-il en tirer ?

Les leçons à retenir de cette folie des ambitions plurielles sont nombreuses. J’en retiens quatre qui me paraissent déterminantes. La première c’est qu’avec ces évènements des derniers jours, on a assisté à un nouveau triomphe de la démocratie, un saut vers une reconfiguration politique qui présume des ruptures profondes. La deuxième augure la fin des partis clos autour d’un leadership fermé. La troisième inaugure l’ère de la politique inclusive où la variable jeune sera un référentiel de gouvernance. La quatrième renseigne sur le déclin de la bureaucratie politique, avec les perspectives d’une gouvernance politique qui présage, dans la conduite du pays, une alternance générationnelle.

En définitive, la grande victoire de la démocratie à travers ces évènements se trouve être l’éclaircie dans le débat et les enjeux du troisième mandat. La stratégie de mettre hors course à des adversaires d’envergure comme Ousmane Sonko, Khalifa Sall et Karim Wade pour les présidentielles de 2024, s’est retournée contre Macky Sall. La rébellion de ces derniers jours édifie sur un scénario où Macky serait exclu. Le signal est plus qu’un simple indice, il est une certitude. A l’horizon des possibles, la seule alternative qui s’offre à Macky, c’est de renoncer à un troisième mandat. Le débat du troisième mandat me parait désormais clos, il reste que la fabrique de scénarii pour le camp du pouvoir dans l’optique d’un dauphinat, en vue des échéances de 2024. Pour qu’on en finisse enfin avec la ruse et les bavardages inutiles.

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Pr Amadou Sarr Diop 

 Sociologue, directeur du laboratoire Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur l’Education et les Savoirs (GIRES) Université Cheikh Anta Diop

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