Enfin ! Elle a parlé. Ceux qui lui réclamaient de donner sa version des faits en ont eu pour leurs oreilles. Ceux qui ne voulaient pas l’entendre, aussi. Inutile de revenir sur la teneur des propos, l’interview aurait dû être estampillée «Interdit aux moins de 18 ans». Intéressons-nous plutôt à la mise en scène, aussi grotesque que la démarche consentie. Dans un accoutrement qui se veut pudique et dont le synonyme wolof «yiwe» collerait mieux que le qualificatif français, voici que se livre, face aux Sénégalais, celle par qui le scandale est arrivé. L’association des femmes voilées ou des sympathisantes de la journée du hijab devraient porter plainte. Voici une nouvelle recrue. Mais, comme dirait l’autre : «l’habit ne fait pas le moine» que l’on pourrait contextualiser par : «le voile ne fait pas la violée… oups ! la voilée !».
Néanmoins, l’heure est à l’apaisement. Et c’est un bien mauvais timing que choisit la jeune femme pour délivrer sa parole, longtemps confisquée par d’autres. Ceux qui l’ont déjà jugée et condamnée. Ceux qui lui refusent son statut de présumée victime d’une agression devenue un crime. Ceux qui lui confisquent son droit à la justice.
Surmontant cette hostilité quasi générale, la voilà qui décide de parler et de livrer, avec force détails, les péripéties de son entrée en contact avec le député. Les yeux baissés, pendant presque toute la durée de l’interview-monologue (un nouveau genre journalistique est né !), la jeune femme raconte, se raconte et lève le voile sur ce qu’elle dit avoir vécu. Le bureau d’un juge ou une salle d’audience auraient été plus appropriés pour recueillir et entendre une confession de cette nature. Mais à une époque où la vie s’affiche sur les réseaux sociaux, comme un «live» non stop, l’objectif des caméras ou des smartphones est devenu le nouveau confessionnal. Cela démarre dès le réveil, avec des «bonjour» et des «bonne journée» à ses «followers», et cela se termine par des «bonne nuit», en passant par des « bon appétit », photo d’un petit déjeuner, d’un déjeuner ou d’une collation quelconque à l’appui.
Les Jummah Moubarak sont devenus le prétexte, souvent, de montrer sa nouvelle tenue du vendredi. Les anniversaires aussi y sont célébrés à tout va, tout comme le fameux smiley au thermomètre, en cas d’arrêt maladie, sans oublier les avis de décès. Les mariages et les baptêmes quant à eux, sont célébrés avec une avalanche de photos, le temps de publier, dans un décor copié à l’envi, entre ballons dorés ou colorés, des tenues dignes d’une «fashion week».
Après avoir porter plainte, la jeune femme peut «porter presse». Une expression bien sénégalaise qui signifie «dénoncer par voie de presse». Youssou Ndour en a fait une chanson. Faisant irruption, alors, dans les nouveaux tribunaux de la conscience que sont devenus les réseaux sociaux, voici une femme, presque hagarde, qui fait son mea-culpa à ses compatriotes. Le temps du repenti est arrivé alors que tout un pays a failli basculer dans l’anarchie, à cause d’une affaire somme toute privée.
En revanche, après la sortie de celle par qui le scandale est arrivé, la parole s’est libérée. Comme si tous ceux qui avaient jusque-là opté pour le silence ou le droit de réserve, s’autorisent à présent, à parler. Les terroristes de la pensée unique qui ne supportent pas la contradiction et versent dans l’intimidation, à coup d’injures et de menaces de mort, n’ont pas résisté à la deuxième vague.
La presse en a fait les frais et c’est à juste titre que le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication (Synpics) et l’Association des éditeurs et professionnels de la presse en ligne (Appel) demandent aux journalistes victimes d’intimidation de porter plainte, parce que «porter presse» ne suffit plus. En ces temps de calme retrouvé, après la tempête, l’autre victime de cette affaire est sans doute cette pandémie de Covid-19 qui s’est vue ravir la vedette. C’est de bonne guerre. Après avoir été en haut de l’affiche pendant une année entière, son «buzz» lui a été confisquée. A cause de cette histoire qui finit par faire sauter tous les attributs de sa présence intra muros : adieu couvre-feu, état de catastrophe sanitaire, fermeture des lieux de détente et de loisirs. Décidemment ! Adji plus puissante que Covid ?