Cette année, la date du 4 avril a coïncidé avec la fête de Pâques. Le philosophe Paul Ricœur disait : «Le symbole donne à penser.» Célébrer le même jour la plus grande fête de la République, qui est celle de l’accession à l’indépendance, et Pâques, symbole chrétien du passage de la mort à la vie du Christ, devrait nous interroger, notamment en ces temps de crise morale. Le pays a vibré à deux reprises ce dimanche ; d’abord, avec ceux qui prient Dieu dans les paroisses, sollicitant sa grâce aux ultimes encablures de la semaine sainte ; ensuite, dans les sonorités du clairon des soldats dévoués à la défense de la patrie au péril de leur vie. Cette année, le thème du 4 avril «Forces de défense et de sécurité, et protection des frontières» rappelle l’exigence de nous doter d’une nouvelle ambition politique qui va au-delà des kilomètres de routes et de pistes réalisées. Depuis l’adoption en 1964 de la résolution portant intangibilité des frontières héritées de la colonisation, une large majorité d’Africains ne cesse d’appeler à une suppression de celles-ci pour faire un même peuple. Le panafricanisme est une idée et une volonté quasi partagées par tous les Africains, mais il se heurte au réel, à ses exigences et à ses transformations concrètes.
Je ne pense pas qu’il soit possible d’arriver à fédérer les peuples sous une même gouvernance politique, en somme faire un pays : l’Afrique. Je ne le souhaite d’ailleurs pas, préférant la nourriture réciproque dans la diversité de nos composantes. Mais en revanche, je crois à la coopération, au dialogue, aux échanges intégrateurs pour ensemble unir les communs. C’est dans ce cadre que, dans le discours de Macky Sall, une phrase m’a beaucoup marqué : «Pour nous, la frontière est un trait d’union et un espace de convivialité entre les Peuples.» Cette phrase fait écho à la célèbre injonction de Tiken Jah Fakoly : «Ouvrez les frontières» !
Le débat sur les frontières revient au cœur de l’actualité, notamment au regard de la lutte contre les intégrismes, la criminalité transfrontalière, la circulation des virus, la migration régulière et irrégulière, la résurgence des nationalismes et des chauvinismes qui menacent la cohésion et la fraternité entre les Peuples. Tant de rêves de jeunes Africains se sont heurtés aux frontières désespérément fermées pendant que les jeunes Américains et Européens, eux, peuvent prendre un billet le matin et dormir à Niamey, à Praia ou à Harare.
Faire des frontières, non pas des murs qui arrêtent, mais des ponts qui relient, est une grande et belle idée. Après des années de coexistence tendue, il n’existe plus de frontières politiques entre Dakar et ses voisins Banjul et Bissau. Le pont Sénégambie a matérialisé cette nouvelle donne. Le pont de Rosso va relier les populations des deux bords du fleuve Sénégal qui partagent une même souche. Sénégalais, Bissau-Guinéens et Gambiens sont une seule et même famille, séparée par les frontières de la colonisation.
J’ai toujours cru que le Sénégal, n’étant pas encore un mastodonte économique, pouvait être en Afrique un hub de valeurs, qui propulse un nouvel universalisme, à travers son histoire, sa géographie, ses intellectuels et son armée disséminés aux quatre coins du monde. Nous vivons une époque de la mobilité qui ne peut s’affranchir d’une réflexion sur l’importance de la circulation des jeunes Africains afin de se confronter à d’autres cultures, savoirs et sociétés qui véhiculent des valeurs humanistes.
Le Sénégal, hub de valeurs, pourrait promouvoir l’effectivité totale de la libre circulation dans l’espace Cedeao, afin que les citoyens ouest africains ne se fassent plus racketter voire arrêter aux postes-frontières. Notre pays a également un poids suffisant pour proposer une sorte d’Erasmus des pays de la Cedeao, de l’Union africaine ou de la Francophonie, afin que les jeunes de ces espaces échangent, se lient politiquement et intimement pour repousser la barrière de l’ignorance et briser les stéréotypes.
Il faudrait que les Etats africains arrêtent de subir le débat sur les frontières, toujours pris en charge par les Européens ou les organisations internationales, comme l’Oim. Nous devons prendre l’initiative de proposer une nouvelle orientation en la matière et en finir avec le réflexe du colonisé qui subit, éructe de manière impuissante et toujours se drape du manteau de victime.