Le Sénégal vient de connaître des évènements qui interpellent et devraient alarmer tout citoyen de cette Nation et de la sous-région sahélienne saharienne.
Des protestations initialement à caractère pacifique ont dégénéré en des contestations et des revendications d’une violence rare qui ont causé des pertes en vies humaines, des actes de vandalisme et des dégâts matériels toujours en cours d’estimation, la paralysie temporaire de plusieurs secteurs économiques, et qui ont écorné l’image d’un Sénégal, pays de la Téranga, jusqu’ici cité en exemple sur le continent africain pour son héritage religieux et culturel, son multipartisme et ses alternances politiques depuis 1960, année de son indépendance, sa tranquillité et sa stabilité dans une région sahélienne en proie à des défis sécuritaires majeurs dus principalement aux activités terroristes et criminelles qui y sévissent, adoubées d’un changement climatique qui ralentit les progrès socio-économiques.
Le Sénégal va mal. Et nous sommes tous interpellés. En effet, les évènements récents ont révélé une exaspération et des frustrations sous-estimées jusqu’ici et des fractures profondes qu’il est impératif d’adresser aux fins d’éviter que l’embrasement ne perdure et que le Sénégal ne sombre subrepticement dans les mêmes maux que certains pays frères voisins.
La croissance économique du Sénégal a longtemps été parmi les plus élevées de l’Afrique avec une moyenne supérieure à 6% par an, de 2014 à 2018. La croissance du Pib, quant à elle, se situait autour de 5,3% en 2019. En dépit de ce profil économique relativement flatteur, le Sénégal figurait à la 168e place (sur 189) au palmarès 2020 de l’Indice de développement humain. Depuis 2020, la pandémie du coronavirus a changé de façon significative les perspectives économiques du Sénégal avec désormais une croissance réduite à une estimation de 1,3% en 2020 avec, hélas, les services comme le tourisme et les transports de même que les exportations étant les plus touchés par la pandémie. Bien que le pays ait répondu à celle-ci avec des mesures d’endiguement de la crise et un plan de stimulus économique aux fins de protéger les vies humaines et les moyens de subsistance, la pandémie de Covid-19 a davantage creusé les inégalités dans notre pays, et les jeunes et femmes en particulier, plus présents dans le large secteur informel de notre économie, demeurent les plus affectés par le manque d’emplois, de perspectives, des systèmes de santé efficaces pour répondre aux dévastations causées par la pandémie.
A ce titre, les contestations qui ont secoué le Sénégal nécessitent qu’on en tire certaines leçons, au nombre desquelles :
- Le contexte sécuritaire : Le Sénégal a jusqu’ici été épargné des chocs sécuritaires qui secouent la région du Sahel à laquelle notre pays appartient. Cependant, la recrudescence des activités des groupes terroristes dans les pays voisins et les trafics transfrontaliers en tous genres sont autant de facteurs et risques d’instabilité à nos frontières que nous ne saurions sous-estimer. La position géostratégique du Sénégal dans la région, l’impact de heurts sur la sécurité de notre pays et sur des secteurs tels que l’investissement privé, les exportations, l’agriculture et agro-business, et le tourisme, vecteurs de croissance de notre économie ; sur nos relations avec les pays frontaliers, les investisseurs et partenaires économiques, et autres partenaires bilatéraux et multilatéraux, sont autant de considérations que nous ne pouvons ignorer.
- Renforcement de l’état de droit : Le pouvoir judiciaire ne peut et ne doit pas être instrumentalisé, encore moins à des fins politiciennes, ou même être perçu par le justiciable comme étant instrumentalisé. La justice ne peut être sujette à des interférences, pressions et influences qui fragilisent l’un des piliers et organes fondateurs de la Nation, violent les droits humains des présumés victimes et auteurs de ces crimes, et portent gravement atteinte à la démocratie. Il faut garantir et protéger l’impartialité et l’indépendance des magistrats du siège et restaurer la confiance des citoyens dans notre système de justice. Tous les hommes et femmes sont égaux devant la loi et la justice, et tous les crimes, qu’ils soient financiers et d’autre nature, doivent être jugés en toute impartialité dans le respect des lois en vigueur.
- Condamnation de la violence : Tout acteur et leader – religieux, politique, de la société civile, des organisations patronales, des groupements de la jeunesse, enseignants/professeurs, parents, autorité administrative, forces de sécurité, chef traditionnel, chef de quartier – a l’obligation de condamner toute violence, quelle qu’en soit la forme, par quelque individu, par quelque parti politique et/ou par quelque corps de l’Etat. Toutes les forces vives du Sénégal doivent, à cette heure grave, user de leur influence pour exhorter à la retenue, au retour au calme et au dialogue dans le respect des lois et régulations en vigueur.
- La jeunesse sénégalaise : Plus de 60% de la population sénégalaise ont moins de 25 ans. Les revendications de la jeunesse sénégalaise en particulier doivent être entendues et des actions concrètes engagées pour y répondre dans les meilleurs délais. En effet, ce sont là des cris d’angoisse et expressions de frustration de la jeunesse face à un avenir incertain, une éducation perturbée par la pandémie du Covid-19, un manque d’emplois, de perspectives sociales et économiques (y compris en Europe que certains gagnaient naguère et au prix de leur vie par la Méditerranée), aux inégalités persistantes et face à un manque de dialogue et d’engagement avec les différentes classes dirigeantes du Sénégal. Dans un contexte de pandémie de Covid-19 et les conséquences néfastes qu’elle a engendrées, il est impératif que tous les acteurs et partenaires – y compris la jeunesse et les femmes – soient associés aux stratégies à mettre en place afin que le Sénégal puisse se remettre des effets de la récession économique.
- Moralisation de la vie politique : Nous devons moraliser la vie politique et responsabiliser les acteurs politiques. Dans un pays où l’âge médian de la population n’est que de 19 ans, les actes, écrits et paroles des leaders et acteurs politiques (et autres influenceurs) – souvent amplifiés par les réseaux sociaux dont la jeunesse est tant avide – ont une portée considérable. Ils sont, comme nous le savons tous, susceptibles d’embraser une population déjà en proie à des incertitudes et des questionnements légitimes. Il est donc impératif, surtout à l’approche des scrutins locaux et autres échéances électorales dans notre pays, que nous combattions l’incitation à la violence verbale comme physique des acteurs politiques. Les discours à connotation ethnique, régionale ou confrérique sont des développements nouveaux et inquiétants dans un Sénégal uni et indivisible, au-dessus des considérations ethniques ou religieuses, et à ce titre, doivent être rejetés et proscrits par tous, y compris par ceux qui les prononcent, fusse-t-il par un Code de bonne conduite des partis et dirigeants politiques.
- Mieux reconstruire le Sénégal après la pandémie : La pandémie continue de compromettre les gains acquis par le Sénégal au cours des dernières années et requiert des efforts soutenus dans la création d’emplois, la digitalisation et la connectivité à un coût plus abordable, une plus grande productivité et compétitivité agricoles, et dans bien d’autres domaines. Tous ensemble, nous devons commencer à reconstruire un Sénégal plus fort, plus centré autour des besoins de la population et des personnes vulnérables en particulier, plus ancré dans les valeurs démocratiques de transparence et la participation de tous aux débats sociaux – fondé sur les principes d’unité, de solidarité et d’humanité – desquels aucun Sénégalais/aucune Sénégalaise ne soit laissé en marge des stratégies et dividendes de croissance économique et développement social.
En conclusion, je souhaiterais lancer un appel solennel à tous les fils et filles du Sénégal. Aujourd’hui plus que jamais, il est impératif que toutes les forces vives de la Nation se mobilisent pour protéger ce que le Sénégal a de plus cher : la paix, la cohésion sociale et l’unité nationale. Nous avons la lourde responsabilité de protéger l’héritage de paix et d’unité que nos ancêtres et pères fondateurs de cette Nation nous ont légué et que nous transmettrons à notre tour aux générations futures. Nous, dignes fils et filles du Sénégal, devons nous engager à promouvoir un dialogue pacifique qui solidifie la démocratie, la justice, le respect des droits humains ainsi que la croissance économique dans un Sénégal actuellement fragilisé, comme toute autre Nation, par la crise de Covid19. Ensemble, œuvrons pour l’émergence d’un Sénégal plus prospère, plus juste, plus équitable, plus résilient aux chocs de toute nature, et qui offre des opportunités de vie meilleure à tous les Sénégalais !
Ousmane KANE
Juris Doctor