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Amadou Makhtar Mbow, Ce Contemporain Fondamental

Amadou Makhtar Mbow, Ce Contemporain Fondamental

Je reprends ici l’expression en l’appliquant à Amadou Makhtar Mbow pour signifier que l’homme qui vient de fêter son 100e anniversaire représente pour nous Sénégalais et autres Africains, à la fois une référence historique et une balise mémorielle importante.

Il représente l’une de ces figures contemporaines, acteurs de premier plan et témoins privilégiés de notre histoire récente. Comme ses autres contemporains que sont entre autres, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia, Abdoulaye Ly,  Majemout Diop et Abdoulaye Wade.

Ce qui est remarquable chez ces hommes-là, qui sont de la même génération à peu près, c’est que le combat politique pour l’indépendance de l’Afrique se doublait toujours d’un engagement intellectuel fécond sur d’autres champs. La poésie pour Senghor, l’égyptologie pour Cheikh Anta Diop, l’économie politique pour Mamadou Dia, l’histoire pour Abdoulaye Ly, la sociologie politique pour Majemout Diop, l’économie et le droit pour Abdoulaye Wade.

C’est pourquoi la figure et le parcours de vie de chacun de ces hommes sont particulièrement significatifs et peuvent servir de référentiels pour les générations actuelles et futures.

Pourquoi ce contemporain est-il si fondamental ?

D’abord du fait de cette trajectoire intellectuelle et politique tout aussi éclectique et qui a bénéficié d’une remarquable longévité. Il a traversé quasiment le siècle dernier en prenant part à toutes les grandes luttes intellectuelles et politiques dans lesquelles le destin du Sénégal et de l’Afrique s’est joué. Il fut, on le sait, tour à tour et parfois simultanément, activiste étudiant, enseignant et chercheur, militant et dirigeant de parti, ministre, directeur général de l’UNESCO et maître d’œuvre des Assises nationales du Sénégal. 

D’abord, étudiant, il fut de ceux qui ont initié dans les années 1940 en France les luttes des étudiants africains et qui ont ouvert la voie à la Fédération des Étudiants africains en France (FEANF) dont on connaît la contribution à l’indépendance de l’Afrique.

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Ensuite, dans le champ de l’éducation et de la culture, il s’impose comme une référence essentielle.

Du fait de sa formation initiale de professeur d’histoire et de géographie, de sa pratique d’enseignant en Mauritanie et au Sénégal, de ses recherches sur le terrain, de ses travaux sur l’éducation de base et des réformes des programmes d’histoire et de géographie qu’il a proposées en 1965 déjà.

Du fait aussi de ses fonctions de ministre, de l’éducation et de la Culture dans le gouvernement d’autonomie interne en 1957/1958 puis de l’éducation nationale de 1966 à 1968.

Il y a aussi que dans le champ politique, il fut un témoin privilégié et un acteur de premier plan, souvent à des moments décisifs de notre histoire.

Ainsi, pendant cette période charnière qui va du Congrès constitutif du Parti du Regroupement africain (P.R.A) à Cotonou, en juillet 1958 ou le projet d’indépendance immédiate de l’Afrique de l’Ouest sous domination française dans un cadre fédéral est lancé, au démantèlement du PRA réduit en une section sénégalaise qui se dissoudra en 1966 dans l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS). Ainsi sa « station » de ministre de l’Éducation nationale du Sénégal jusqu’aux « événements de mai 1968 ». 

Il y a aussi bien entendu sa présidence de l’UNESCO de 1974 à 1988, pendant cette période de la « Seconde Guerre froide » « quand tout était possible même le pire » pour l’humanité, quand il a voulu faire de ce bras culturel de l’ONU, un moyen pour établir un système mondial d’échange équitable de communication et d’échanges culturels.

En s’entourant de quelques-uns des esprits les plus brillants et les plus généreux de l’époque comme l’avocat irlandais, cofondateur d’Amnesty International, Sean Mc Bride, le journaliste français et fondateur du quotidien Le Monde, Hubert Beuve-Méry, l’écrivain colombien et prix Nobel de littérature Gabriel Garcia Marquez et le sociologue américain des médias Marshall Mc Luhan.

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Enfin, il y a son rôle de maître d’œuvre et de caution intellectuelle et morale des Assises nationales du Sénégal.

Amadou Makhtar Mbow, un monument ?

La célébration du 100e anniversaire de l’homme dans le cadre d’un musée, le Musée des Civilisations Noires qui plus est, une première il me semble, est significative : elle semble indiquer une volonté nationale délibérée de conserver désormais le legs de nos contemporains fondamentaux pour le rappeler à notre mémoire à volonté et le transmettre aux générations futures.

Il s’agirait de constituer ainsi le patrimoine humain de la Nation pour le partager aujourd’hui et demain entre nous, avec l’Afrique et avec le monde entier.

On s’est souvent référé à Amadou Makhtar Mbow comme à un « monument ». Entendons le mot comme signifiant à la fois témoin et mémoire d’une époque. Mais ceci ne veut pas dire que nous devons ériger une statue à la gloire et au souvenir de l’homme.

D’abord parce que la statue comme support et rappel de la mémoire me parait d’effets limités, même quand il s’agit de figures contemporaines. Voyez la statue de Cheikh Anta Diop à l’entrée du campus de l’Université éponyme : je doute qu’elle convoque l’illustre égyptologue et homme politique à la mémoire des passants, même étudiants.

Cela n’a rien à voir avec la valeur artistique de l’œuvre, mais avec le fait que la statue n’est évocatrice que dans un cadre culturel de référence, pour ceux qui ont été préalablement initiés à son sens. Ce qui est valable il est vrai pour toute expression artistique.

La transmission orale me semble particulièrement indiquée pour célébrer et transmettre la mémoire de nos grands hommes (et femmes !). Je ne parle pas ici des griots dont l’art est trop souvent si perverti par la politique, qu’ils se déguisent désormais sous le sobriquet de « communicateurs traditionnels » et qu’ils ne sont en rien ces gardiens de la mémoire historique et dépositaires de la tradition d’antan. Je pense plutôt à ces « spécialistes de l’oralité », conteurs autant qu’artistes que sont par exemple Massemba Gueye, Boubacar Ndiaye et Dyénaba Gueye, entre autres. Je pense aussi aux musiciens modernes et particulièrement aux rappeurs. Mais il y a aussi et d’abord l’école. Car c’est là que se forge la mémoire autant que se transmet le savoir.

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L’enseignement de nos héros nationaux, contemporains et anciens, de Njajaan Njaay à Amadou Macktar Mbow, à tous les niveaux de l’école, dans les langues du pays, est indispensable si nous voulons ancrer dans les mémoires, de génération en génération, notre trajectoire historique en tant que peuples et l’idée de notre communauté de destin.

Le livre est bien entendu un support indispensable pour ce faire. L’ouvrage de M. Mahamadou Lamine Sagna : « Amadou Mahtar Mbow, une légende à raconter » devrait être suivi de beaucoup d’autres.

Les techniques du multimédias et du numérique qui sont déjà, il me semble bien intégrées dans nos musées, devraient être exploitées dans toutes leurs fonctions.

Mais nous ne disposons toujours pas dans ce pays, d’un fonds organisé d’images et de sons, indispensable à la conservation mémorielle surtout quand elle porte sur un Amadou Makhtar Ba, un Mamadou Dia ou un Cheikh Anta Diop dont les patrimoines comportent tant de documents audiovisuels.

Il est souhaitable qu’une institution comparable à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) en France, à la BBC Archives en Grande-Bretagne ou aux US Archives of Public Broadcasting soit mise sur pied.

Une telle institution dont l’accès et l’usage par le grand public seraient facilités en vertu d’une Loi sur l’Accès à l’Information (régulièrement annoncée et toujours différée), permettra aux publics de connaître véritablement ces contemporains et de s’identifier à eux.

abathily@ seneplus.com







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