Et si on exploitait mieux la soupape de sûreté de l’Artisanat national ?
Suite à des manifestations d’une violence et d’une ampleur sans précédents de la jeunesse de notre pays, le président de la République, après avoir « compris » le message à lui envoyé, a saisi l’opportunité de la Fête de l’Indépendance pour introduire dans son traditionnel discours à la Nation ce qu’on peut appeler un « Programme rectificatif pour l’emploi des jeunes », l’emploi étant considéré comme le motif principal de ce qu’on peut qualifier de révolte de cette frange majoritaire de notre population. La révolte du début du mois de mars, bien sûr. Son discours tant attendu, le Président souhaite qu’il soit « le point de départ de nouvelles réponses aux besoins en éducation, formation, emplois, en financement de projets et soutien à l’entreprenariat pour les jeunes ». Ce qui le pousse à annoncer en conséquence « une réorientation des allocations budgétaires à hauteur de 450 milliards de FCFA au moins, sur trois ans, dont 150 milliards pour cette année ». Il ne sera donc pas question de création de nouvelles lignes budgétaires via une loi de finances rectificative, mais de transfert de chapitre à chapitre budgétaire, pour le financement d’un « Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio-économique des jeunes ».
L’autre mesure phare est l’allocation, dès le mois de mai, de « 80 milliards de FCFA au recrutement de 65 000 jeunes, sur l’ensemble du territoire national, dans les activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène publique, de sécurité, d’entretien routier et de pavage des villes, entre autres ». Il s’agit donc pour l’essentiel de 2 dispositions : L’allocation d’un budget de 150 milliards chaque année durant 3 ans, soit 450 milliards, dédié à la formation et à la création d’entreprises par des jeunes et pour des jeunes ; Le dégagement par l’Etat d’un montant de 80 milliards de FCFA pour le recrutement de 65 000 jeunes, sans que la durée ni le mode de gestion de ces fonds et leur utilisation ne soient précisés. Ce programme sonne comme une sorte d’échec du PSE après 8 années de mise en œuvre. Le rôle dévolu au secteur privé en matière d’emplois a fait long feu, et l’Etat est contraint de se substituer à lui pour parer à l’inertie de la stratégie de développement mise en place depuis l’arrivée du Président SALL aux commandes du pays. Pour ce qui nous concerne voici, en quelques lignes, ce que nous inspirent ces promesses faites sous la contrainte, concernant ces deux questions. Précisons qu’il s’agit d’un programme conçu pour les jeunes pour l’emploi créé par l’Etat et l’auto emploi.
La question de l’auto-emploi est la plus délicate et mérite qu’on s’y attarde !
Qui sont ces jeunes ? (Sont-ils scolarisés, non scolarisés, diplômés de l’enseignement supérieur ?) Sont-ils préparés à entreprendre? (Préparation psychologique pour la gestion par soi-même alors qu’on se préparait à un emploi salarié) ? A diriger une entreprise (pour diriger une entreprise, il faut en avoir l’âme et le profil !) ? A gérer (la gestion des stocks, des ventes) ? De quels accompagnements pourront-ils bénéficier ? Comment effectuer le suivi-évaluation, voire le contrôle rapproché de la gestion sur les 45 départements, sachant que les domaines d’activités sont divers et variés et demandent la spécialisation des coaches ? Que représente la création de 65 000 emplois provisoires par l’Etat, sachant que chaque année ce sont 300 000 jeunes demandeurs d’emplois qui arrivent sur le marché du travail (réf Sophie Naudeau de la Banque Mondiale) ? Comment s’assurer de la fiabilité des business plans des porteurs de projets, surtout dans le domaine des études de marché dont la précision conditionne absolument la viabilité des projets ? Les Pôles emplois seront-ils constitués d’experts, de personnel suffisant pour l’encadrement et le suivi réguliers des entreprises de jeunes sur l’étendue de 45 départements ? Est-ce qu’on a prévu des domaines entrepreneuriaux servant d’accueil aux nouveaux promoteurs pour faciliter l’encadrement et le contrôle des activités ? Comment gérer les jeunes non scolarisés qui opteront pour une économie informelle, et comment les former ?
Autant de questions qui sont fondamentales à résoudre pour éviter un taux de casse des entreprises de jeunes dans des délais très courts.
L’expérience de l’auto-emploi est relativement ancienne dans notre pays (35 ans), soit depuis la mise en place de la Nouvelle politique industrielle (NPI) de la Banque Mondiale, censée nous aider à gagner des parts de marchés à l’international en lieu et place d’une politique d’industrialisation par la substitution à l’import d’entreprises nationales. Malheureusement, l’ouverture de notre pays a créé le secteur informel qui s’est substitué aux PME/PMI ne bénéficiant plus des avantages du comité de protection et des dispositions du Code des Investissements. Il faut tirer les leçons des expériences de la Délégation à l’Insertion, à la Réinsertion et à l’Emploi (DIRE) de la fin des années 80, des opérations maîtrisards, des déflations d’effectifs d’entreprises bancaires en difficultés avec un accompagnement dans la réinsertion économique. L’une de ces leçons, c’est que beaucoup de jeunes entreprises sont allées en faillite pour les divers motifs évoqués supra. Le rôle attendu du secteur privé pour créer de l’emploi n’a pas été rempli.
Le secteur privé transnational est replié sur l’exploitation pétrolière, minière, gazière, phosphatière avec comme crédo le recrutement de profils très techniques, et, d’une manière générale, une combinaison de facteurs de production privilégiant le facteur « capital » au détriment du facteur « travail ». Le secteur privé national formel peine à assumer le rôle de moteur de la croissance attendu de lui par le PSE pour recruter des jeunes de toutes façons n’ayant pas le profil du fait de inadéquation profil/emploi. La réalité de l’économie du Sénégal, c’est, aujourd’hui, le secteur informel. Il représente 41,6 % du PIB et emploie environ 48,8 % de la population active, et est concentré dans des domaines d’activités tels que la pêche, le petit commerce, l’artisanat. Le secteur de l’artisanat est divisé en trois grandes sections à savoir : l’artisanat de production ou de transformation qui concerne toute activité de transformation ou de fabrication de produits semi-finis ou finis qui apportent de la valeur ajoutée à des matières premières locales ou importées ; l’artisanat de service : qui est l’ensemble des activités de réparation, de maintenance, d’entretien, de restauration d’une œuvre d’art et toute autre activité de prestation de service de nature artisanale, et enfin l’artisanat d’art. Ce dernier se distingue des autres par son caractère artistique qui implique la créativité de l’auteur et qui a une forte connotation culturelle.
Le secteur de l’Artisanat national (120 corps de métiers) emploie une main d’œuvre allant de 400 000 à 650 000 personnes, selon les décomptes, pour une fonction publique qui ne compte qu’environ 150 000 agents (fonctionnaires et agents décisionnaires compris).
Sur le plan de l’insertion professionnelle des jeunes, le secteur artisanal offre à la fois de la formation et de la qualification. Près de 315000 apprentis sont formés dans les ateliers artisanaux. C’est dire que ce secteur est incontournable pour toute politique d’emploi des jeunes. Il demande de l’encadrement et non une stratégie de formalisation en laquelle il ne croit pas anticipant une fiscalisation à outrance. En conclusion, les propositions du Président de la République semblent répondre davantage à un souci d’apaisement qu’à une politique de réarmement d’un dispositif de petites entreprises créées par les jeunes, lesquelles pourront constituer demain la base productive de notre économie. Ces mesures ne seront considérées comme non politiciennes qu’à la condition qu’un éclairage soit apporté à toutes ces interrogations, et que les titulaires de projets ne soient pas évincés des décaissements de fonds très attendus par les uns et par les autres au profit d’une clientèle politique.