À l’instar des autres pays d’Afrique, le Sénégal entend se servir des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) comme levier pour l’essor des secteurs porteurs de son économie comme l’agriculture, l’éducation, l’agro business, l’habitat social, les industries minières, le tourisme, la santé et le transport. Les TIC constituent en fait deux technologies qui ont été regroupées à partir du moment où les technologies de l’information ont commencé à être appliquées dans des applications de télécommunications. Les technologies de l’information sont reliées aux sciences utilisées respectivement pour concevoir, stocker, transporter et divulguer l’information tandis que les technologies de la communication sont-elles reliées aux sciences qui permettent de faciliter les communications sous toutes ses formes.
Historiquement, l’homme devait marcher, utiliser un cheval ou un bateau des jours voire des mois pour pouvoir délivrer un message quel que soit son degré de priorité. Au fil des âges, les hommes se sont rivalisés d’imagination et d’ingéniosité pour améliorer les moyens et le temps d’expédition d’une information. Ainsi, un système de signaux visuels à l’aide de bûchers enflammés selon un code préétabli fut utilisé pour annoncer la chute de Troy en seulement quelques heures dans un rayon de quelques centaines de kilomètres. La première grande avancée dans le domaine des TIC a été obtenue avec les tours de communication (télégraphe optique) par sémaphore de Chappe vers 1793. Ces tours permettaient de transmettre par exemple un message entre Paris et Lille dès 1794 en 6h de temps au lieu de 3 jours. Le système de Chappe présentait de lourds inconvénients car son efficacité dépendait de la météo comme la neige, le brouillard ou la nuit.
Vers la modernisation
Le développement de l’électricité ouvrit la porte au développement du télégraphe de Morse en 1837 qui permettait de transmettre de l’information peu importe la condition climatique. Des signaux sous forme de suite de traits et de points (code Morse) sont envoyés au récepteur via des lignes de cuivre. Pour faciliter la communication entre l’Europe et l’Amérique, un premier câble sous-marin de près de 4200 km est installé entre l’Irlande et Terre-Neuve vers 1858. Le premier message de 100 mots échangé entre la reine Victoria et le président américain Buchanan à l’aide du code Morse durera 67 mn environ, ce qui était un exploit à l’époque. En 1876, Alexander Graham Bell et Elisha Gray inventèrent indépendamment le téléphone qui permettait de faire des communications presque instantanées comparées aux méthodes de communications utilisées jusque-là. Ensuite, l’apparition des techniques de communications sans fil virent le jour avec la démonstration de l’existence des ondes électromagnétiques par Heinrich Hertz en 1888 et la mise en place du télégraphe sans fil plus tard (1896) par Guglielmo Marconi. Le code Morse est toujours utilisé et un premier message est envoyé en 1899 entre l’Angleterre et la France sans donc passer par des câbles de cuivre installés sous la Mer mais par l’air libre. C’est l’ère de la radio avec l’inventeur Reginald Fessenden qui fut le premier à transmettre sa voix sur un rayon de 80 km par ondes hertziennes en 1900. Des recherches pour la transmission d’images se concrétisent avec la télévision mécanique de Baird (1925) qui se développa grâce à l’invention du tube cathodique par Karl Braun.
Une nouvelle ère,
En plein guerre mondiale (1943), le premier ordinateur à usage militaire voit le jour. Il s’agit de l’ENIAC qui pesait 30 tonnes et occupait 150 m². Plus tard, l’apparition des transistors, des circuits intégrés et des microprocesseurs ouvrirent la voie à la miniaturisation. En 1966, ARPANET, ancien d’internet, fut lancé avec comme objectif la possibilité de transférer des paquets de données qui jetteront les bases d’un réseau de communication mondialisé. Avec l’apparition d’internet, la possibilité de transférer en quelques clics des données de l’information d’un point A à un point B quel que soit l’endroit ou presque où on se trouve dans le monde est devenue une réalité. En pleine guerre froide, la course aux satellites entre les USA et l’URSS est lancée afin de mieux maîtriser leur moyen de transmission. À la fin des années 70, la téléphonie mobile prend son envol avec le déploiement de la première génération (1G) qui utilisait une technologie analogique. Les inventions, développements et productions dans le domaine des TIC ont vu les champs d’application et le nombre d’utilisateurs d’internet dans le monde augmenter d’année en année comme nous le montre la figure 1 en illustration de texte [1].
Entre 1995 et 2021, le nombre d’utilisateurs d’internet est passé de 16 millions (0.4 % de la population mondiale) à presque 7900 millions (64.7 % de la population mondiale) en 2021, soit presque 500 fois plus d’utilisateurs en 16 ans. Imaginez par exemple 3 milliards d’individus se connecter en même temps sur internet! Cette forte augmentation d’utilisation d’internet fait face à plusieurs enjeux cruciaux. Parmi eux, il y en a un qui a été toujours problématique d’ailleurs, à savoir l’augmentation de la vitesse de transfert des données sur de courtes comme sur de longues distances. Cette vitesse, mesurée en bps (bit par seconde), a fait l’objet de course effrénée durant ces dernières décennies. Pour rappel, 1Kbps renvoi à mille bps, 1 Mbps renvoi à 1 million de bps, 1 Gbps renvoi à 1 milliards de bps et 1 Tbps renvoi à 1 billion de bps et plus le nombre est grand plus la vitesse de transfert de données est élevée.
Avec la naissance d’internet, les moyens de transmission de données traditionnels ne permettaient plus de répondre à la demande. D’abord, la technologie de connexion commutée [2] utilisant les lignes téléphoniques traditionnelles a été développée pour acheminer les paquets de données permettant l’utilisation d’internet. Cette technologie, réservée à des fins militaires dans les années 50, permettait de faire des transferts de données sur une vitesse maximale de 300 bps. Une fois améliorée, la technologie de connexion commutée a permis d’atteindre une vitesse maximale de 56 Kbps en 1998. Deux autres technologies d’acheminement de données via internet ont vu le jour ensuite. Il s’agit de la technologie HFC (Hybride Fibre Coaxiale) à travers le câble coaxial anciennement utilisé pour les antennes de télévision et de la technologie DSL (ligne d’abonné numérique en cuivre) qui utilise la ligne téléphonique et dont les variantes sont connues aujourd’hui comme l’ADSL et le VSDL. La technologie ADSL couramment utilisée permet d’atteindre une vitesse maximale de transfert de données de 15 Mbps alors que la technologie HFC-câble coaxiale permet d’atteindre une vitesse maximale de 800 Mbps. La technologie la plus récente utilisée pour transférer des données numériques est la fibre optique qui présente beaucoup plus d’avantages que les moyens de transport d’information cités précédemment. Son premier avantage est qu’elle offre la possibilité d’atteindre des vitesses maximales de transfert de données jamais égalées jusque-là car l’information est transportée via la lumière. Pour des raisons d’infrastructures et de coûts, sa vitesse maximale est autour de 10 Gbps pour les services offerts au grand public. Des chercheurs de l’University London College ont montré qu’il était possible d’atteindre une vitesse de 178 Tbps avec la fibre optique en utilisant des systèmes peu coûteux. Ceci permettrait par exemple de télécharger toute la librairie de Netflix en moins d’une seconde [3], une révolution pour le futur. La figure 2 permet d’établir un comparatif rapide de la comparaison des vitesses maximales de transfert de données en utilisant différents types de technologies.
En plus de son avantage inégalable sur la vitesse de transfert des données, voici quelques autres avantages reliés à la fibre optique. Elle permet de faire des transferts de données stables et sécurisés avec peu de pertes sur les longues distances. Son installation est plus facile car elle prend moins de place en général et elle est moins légère que les câbles classiques donnant aussi la possibilité de faire passer plusieurs canaux de communication sur un même câble. Elle offre la possibilité de faire des téléchargements plus rapides permettant donc de gagner du temps dans nos activités personnelles et professionnelles. Elle offre une vitesse de transfert de données symétrique, ce qui veut dire que la vitesse d’émission des données est aussi élevée que la vitesse de réception des données. La fibre optique possède également une longue durée de vie pouvant aller jusqu’à 1 siècle. Elle offre également la possibilité d’obtenir la très haute définition sur votre téléviseur comme la qualité 4K qui a 4 fois plus de résolution que la HD (Haute Définition). Cependant, tout n’est pas rose dans la fibre optique car elle est plus fragile mécaniquement et plus coûteuse à installer que l’ADSL et le câble coaxial.
Quelle idée révolutionnaire d’utiliser la lumière pour transmettre des données! L’idée fut explorée par Alexander Graham Bell vers 1880 [4] avec le photophone et le principe fut établi au cours de la première moitié du 20ième siècle. Ensuite, dans les années 1950, l’endoscope ou le fibroscope fut créé pour une utilisation médicale par Larry Curtiss. Ce système permet d’acheminer des rayons lumineux et de recueillir des images via un réseau de fibres optiques souples permettant d’examiner et de soigner les patients en se passant de la chirurgie. Dans le domaine des télécommunications, il a fallu attendre l’invention du LASER en 1960 par Theodore Maiman pour entreprendre de transmettre des données fiables, stables et avec peu de pertes sur une longue distance. Les travaux de Charles Kuen Kao et de Georges Hockman dans les années 1960 permirent d’entrevoir l’utilisation de la fibre optique dans le domaine des télécommunications même si la transmission de la lumière était limitée seulement à quelques mètres avec leur technologie [5]. En 1970, les scientifiques de la compagnie Corning, Robert Maurer, Peter Schultz et Donald Keck développèrent la première fibre optique pouvant être utilisée dans les télécommunications. Cette fibre composée de silice extrêmement pure en son cœur permettait d’atteindre une atténuation de 20 dB/km au début. Elle était capable de transporter 65 000 fois plus d’information que le câble de cuivre. Révolutionnaire n’est-ce pas! Au fil du temps, les propriétés ainsi que les procédés de fabrication de la fibre optique se sont largement améliorés et ont fini par être un support indispensable au développement d’internet et donc des TIC.
Pour les personnes qui se demandent comment ces fibres optiques de la taille d’un cheveu sont fabriquées, en voici le procédé de base. À partir de la silice (SiO₂) que l’on retrouve dans de nombreux minéraux comme le quartz, la calcédoine et l’opale, des éléments préformés cylindriques sont fabriqués. Ces préformes sont constituées de deux couches : une couche en silice pure possédant un grand indice de réfraction qui sera le cœur de la fibre et une autre couche en silice moins pure possédant cette fois-ci un petit indice de réfraction. Cette dernière couche, appelée gaine optique qui enveloppe le cœur de la fibre, permet d’obtenir une réflexion totale et donc de garder toute la lumière au sein de la fibre de verre une fois qu’elle est étirée. Grâce à ce principe, une fois que la lumière entre dans le cœur de la fibre optique avec un angle adéquat, elle subit de multiples réflexions à l’interface cœur de la fibre/gaine optique sans perdre de signal. Ainsi de réflexions en réflexions, cette lumière se propage dans la fibre sous forme de zig zag plus visible dans les fibres monomodes jusqu’à l’autre extrémité de la fibre pour délibérer ainsi l’information. Des éléments dopants comme le germanium, le phosphore, le bore ou le fluor peuvent être utilisés pour soit augmenter l’indice de réfraction dans le cœur de la fibre ou décroître l’indice de réfraction dans la gaine optique. Une fois la fabrication des préformes terminée, elles sont placées en haut d’une tour de fibrage et leur extrémité est placée dans un four porté à une température proche de 2000 °C. Sous l’effet de cette chaleur, chaque préforme se transforme en une fibre optique de plusieurs centaines de km à une vitesse de l’ordre du kilomètre par minute. Par exemple, une préforme de 1 m de longueur et 10 cm de diamètre permet d’obtenir 150 km de fibre optique en moins de 3h [6]. Après avoir été étirée, la fibre optique possède un diamètre total standard de 125 µm, 1 µm représentant 1 millionième de mètre. Ce diamètre peut être ajusté par rapport à l’application visée. D’une manière générale, une fois la fibre optique fabriquée, on la recouvre d’une couche appelée revêtement de protection ou gaine primaire de diamètre 250 µm afin de mieux la protéger. Dépendamment des applications, d’autres couches de revêtement ou gaines extérieures de 900 µm et plus peuvent être ajoutées pour renforcer davantage sa protection. La figure 3 nous donne un aperçu de la configuration d’une fibre optique générique avec son cœur, sa gaine optique et sa gaine primaire.
Pour comparaison, la taille d’un cheveu est comprise entre 50 et 100 µm. Le cœur de la fibre possède un diamètre ajustable d’environ 9.5 µm pour les fibres monomodes (meilleur débit et faible atténuation) qui sont plus efficaces sur les longues distances et donc pour les grandes installations car elle ne laisse passer qu’une seule mode de lumière. Le diamètre du cœur est cependant plus grand (50 ou 62.5 µm) pour les fibres multimodes qui sont plus efficaces sur les courtes distances et donc sur des installations locales à cause de sa capacité à laisser passer plusieurs modes de lumière et donc différents types de données sur une même fibre.
Le développement économique du Sénégal et de l’Afrique passera par la maîtrise des technologies de l’information et de la communication. À cause de ses capacités exceptionnelles de vitesse de transmission de données, la fibre optique est aujourd’hui le principal support utilisé dans le domaine des TIC. D’où l’intérêt pour notre société de s’en accaparer pour bâtir une économie forte qui permettra d’endiguer la pauvreté. Malgré les multiples efforts du gouvernement sénégalais et ses partenaires, son déploiement sur le territoire national reste encore un défi de taille.
Où en est le Sénégal par rapport à la fibre optique aujourd’hui ? Ceci pourrait être l’objet d’un prochain article sur les sciences et technologies au Sénégal.
Dr Assane Ndieguene est Ingénieur-chercheur R&D en photonique, packaging et MEMS
[1] https://www.internetworldstats.com/emarketing.htm
[2] https://www.speedcheck.org/fr/wiki/acces-commute/
[3]https://www.futuretimeline.net/blog/2020/08/24-worlds-fastest-internet-speed-178tbps.htm
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fibre_optique
[5] C.K. Kao, G.A. Hockhan, « Dielec-tric-fibre surface waveguides for optical frequencies », Proceedings of the Institution ofElectrical Engineers 113, 1151 (1966
[6] https://www.lafibrelyonnaise.fr/fabrication-de-la-fibre-optique/