De Mbaye Dia, arraché à notre affection il y a dix jours, on peut dire qu’il avait non pas une certaine idée, mais un rapport certain avec la République. Ne serait-ce que par la date hautement symbolique du 04 Avril !
En effet, né le 04 avril 1938, il est tombé malade le 04 Avril 2013, une longue maladie qui l’a cloué au lit huit ans durant jusqu’à cette funeste aube du 04 Avril 2021 où il a poussé son dernier soupir dans une clinique de Dakar. Il avait donc le même anniversaire que celui de notre pays puisque le Sénégal a accédé à la souveraineté internationale le 04 Avril 1960. C’est ce qui fait sans doute que cet homme dépositaire de secrets d’Etat redoutables était une sorte de mémoire vivante de notre pays. Ce n’est pas pour rien qu’il fut très proche à la fois du président Léopold Sédar Senghor mais aussi du tout-puissant ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, Jean Collin. Mbaye Dia a vécu énormément de choses, connaissant de l’intérieur le fonctionnement de l’Etat mais se livrait très difficilement. Homme de réseaux, il était une tombe qui a emporté ses secrets dans sa tombe de Touba.
Des liens très forts unissaient le défunt à la capitale du mouridisme, à la confrérie mouride et surtout, surtout, à la famille de Serigne Mouhamadou Fadilou Mbacké alias Fallou qui a été sans doute le plus populaire — en tout cas celui qui compte le plus d’homonymes — des khalifes du fondateur du mouridisme, Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Sa grande sœur ayant été l’une des épouses du saint homme, Mbaye Dia, tout-petit, l’avait suivie dans la maison de Serigne Fallou. Lequel s’était pris d’affection pour le petit Mbaye Dia qu’il chérissait par dessus tout et emmenait avec lui partout où il allait. C’est ainsi que l’homme qui vient de tirer sa révérence a vécu dans la cour du vénéré marabout et a été éduqué par lui. De cette période datent les liens indéfectibles qu’il a entretenus avec la famille de Serigne Fallou.
D’ailleurs, tout le monde ne le surnommait-il pas « Mbaye Dia bou Serigne Fallou » ? C’est pourquoi, à sa mort, la famille de ce dernier au grand complet a tenu à l’accompagner à sa dernière demeure. Il était très proche de Serigne Bara Mbacké, également khalife de Serigne Touba et aussi de Son Excellence Abdou Lahad Mbacké, ambassadeur du Sénégal au Koweït jusqu’à il y a un mois lorsqu’il a été appelé à faire valoir ses droits à une pension de retraite.
C’est bien simple d’ailleurs : je crois que les deux seules fois où j’ai vu Mbaye Dia dans tous ses états c’est lorsque « Le Témoin », alors hebdomadaire, avait écrit un article sur une visite controversée que Aladji Bara avait rendue à Idrissa Seck alors Premier ministre (ou ministre d’Etat, directeur de cabinet du président Abdoulaye Wade je ne sais plus tellement). Cette visite avait ému une partie des Mourides qui disaient ne pas comprendre qu’un dignitaire du rang d’Aladji Bara puisse se déplacer pour voir un collaborateur du Président.
L’article que nous avions consacré à l’affaire avait fait du bruit et Mbaye Dia nous avait demandé de faire… une édition spéciale pour rectifier. Bien évidemment, ce n’était pas possible car le journal était un hebdomadaire. Néanmoins, il m’avait passé au téléphone Aladji Bara qui, de manière courtoise et en bon français (j’étais surpris) m’avait expliqué les raisons pour lesquelles il était allé voir Idrissa Seck en me disant notamment que c’est le citoyen qui s’était déplacé. La seconde fois, c’est lorsque nous avions écrit que des soirées dansantes bruyantes étaient organisées au domicile de l’ambassadeur Abdou Lahad Mbacké aux Almadies et que le voisinage se plaignait.
Cette fois-là, c’est de bonne heure que Mbaye Dia, furieux, nous avait réveillés, Pape Ndiaye et moi, pour non seulement protester mais aussi nous demander de rectifier dès le lendemain ! Bien évidemment, le brave ambassadeur n’y était pour rien. Résidant au Koweït, il avait confié sa villa à une agence qui l’avait louée à quelqu’un…qui y organisait des soirées. Dès la parution de notre article, le bail était résilié !
La générosité personnifiée !
Evidemment, si Mbaye Dia pouvait se permettre de nous tirer les oreilles, c’est parce que c’était notre grand-frère. Malgré la grande différence d’âge qui nous séparait, nous étions des amis très proches. Il m’a ouvert d’innombrables portes et beaucoup appris sur l’histoire de notre jeune pays. Il m’a fait l’honneur et l’amitié de me confier au compte-gouttes quelques-uns de ces secrets lourds à garder. Ceux qui le connaissent savent que Mbaye Dia a passé toute sa vie à aider les autres, à régler leurs problèmes au point de s’oublier bien souvent. Cet homme extrêmement généreux donnait sans compter.
Dans les administrations ou aux sièges des ministères où il se rendait, c’est toujours une haie d’honneur constituée du petit personnel qui l’accueillait et l’accompagnait car Mbaye Dia donnait toujours : de l’argent (il avait toujours dans la poche une grosse enveloppe remplie de billets de banque) puis, quand il n’y en avait plus, des tickets d’essence ou des cartes téléphoniques mais il ne laissait personne partir les mains vides. C’était sa nature d’être généreux et il ne pouvait s’empêcher de mettre la main à la poche. L’ancien ministre d’Etat, ministre des Finances, Abdoulaye Diop, qui était son jeune frère et qu’il a connu depuis que ce dernier était étudiant à l’UCAD n’en revenait pas de voir qu’à chaque fois qu’il offrait un terrain à Mbaye Dia, ce dernier le vendait et distribuait l’argent à des nécessiteux !
Abdoulaye Diop, dont les gestes philanthropiques sont toujours entourés de discrétion, ne m’en voudra sans doute pas de révéler qu’il a toujours été présent sur tous les plans durant les huit ans qu’a duré la maladie de son grand-frère Mbaye Dia ! Abdoulaye Diop qui a tenu à l’accompagner jusqu’à Touba en même temps d’ailleurs qu’un autre ministre des Finances, Amadou Ba. Tous deux étaient des petits frères de Mbaye Dia mais la relation de l’actuel vice-gouverneur de la BCEAO avec le défunt était unique car ayant survécu aux épreuves du temps. Je suis bien placé pour en témoigner. Pour en revenir à la générosité proverbiale d’El Hadj Mbaye Dia, elle a été immortalisée par la diva Kiné Lam dans une chanson sublime que les radios diffusent beaucoup ces jours-ci d’ailleurs.
Derrière tout grand homme, il y a une grade dame, a-t-on l’habitude de dire et en ces temps douloureux, je ne peux pas m’empêcher d’avoir une pensée pieuse pour la grande saint-louisienne — « NdarNdar bou mag bi » comme dit Adja Kiné Lam —, Adja Kiné Diop qui n’est autre que la fidèle assistante de la présidente du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) depuis le temps du président Abdou Diouf. Adja Kiné qui, des décennies durant, particulièrement pendant sa longue maladie, n’a jamais cessé d’être aux petits soins avec notre « grand », Mbaye Dia. Bref, c’est un grand homme, un monument, un Seigneur comme on n’en fait plus, El Hadj Mbaye Dia, qui a quitté ce bas-monde à l’aube du 04 avril dernier, au moment où notre pays s’apprêtait à célébrer le 61ème anniversaire de son accession à l’indépendance.
En cette douloureuse circonstance, « Le Témoin » présente ses condoléances émues à la famille du défunt, particulièrement son fils Khadim, et aussi à Adja Kiné Diop Mbaye Dia. Puisse Dieu l’accueillir dans Son Paradis et l’installer à côté de Serigne Touba Cheikh Mouhamadou Falilou Mbacké et de Serigne Fallou qu’il a toujours vénérés. Adieu Mbaye Dia !