Ce « résistant » extraordinaire a changé son nom de famille, un « nom d’esclave » dit-il, pour dénoncer le système raciste des Etats-Unis mais aussi le fait qu’il s’agissait d’un nom de propriétaires d’esclaves qui l’imposaient aux personnes d’origine africaine brutalement arrachées à leurs pays d’origine. Son vrai nom de famille était Little mais il s’est fait appeler X, une inconnue en mathématiques pour dire que, puisqu’il ne connaît pas le nom de famille de ses ancêtres africains, il fallait l’appeler ainsi. Une inconnue qui traduit la perte de son identité antérieure. Mais, lorsqu’il se convertira plus tard à l’Islam, il prendra un nom à consonance musulmane, El-Hajj Malek El-Shabazz. Sa femme et ses enfants adopteront donc le nom de famille El Shabazz.
Malcolm est né le 19 mai 1925 à Omaha dans l’Etat du Nebraska. Militant nationaliste de la cause des Noirs aux USA, il a été d’abord un fervent communiste avant de rejoindre le mouvement « Nation of Islam » dont le dirigeant le plus en vue était Elijah Mohamed. Grand orateur, prêcheur convaincant pour les fidèles, il finira par faire de l’ombre à Elijah Mohamed et, naturellement, leurs chemins finiront par se séparer. Malcolm semblait prédestiné pour être un leader, un orateur hors-pair et un… martyr car il n’a jamais fui aucun combat pour la cause des Noirs et pour la liberté tout court. Il était fils de pasteur.
Son père, Earl Little, était charpentier et prédicateur de l’église baptiste. Quant à sa mère, Louise Helen Norton Little (née Langdon), elle est née à la Grenade (Antilles), d’une femme afro-américaine qui avait été violée par un Blanc. De ce viol, elle avait tiré une haine pour tout ce qui peut rappeler son géniteur, elle déteste son teint clair de femme métissée et elle transmettra naturellement son dégoût à son fils Malcolm. Selon Malcolm, sa mère « ressemble plutôt à une femme blanche ». Elle épousera Earl Little, entre autres, parce que ce dernier a le teint très noir. Elle déteste son sang blanc, et souhaite avoir des enfants beaucoup plus noirs.
Son grand-père était un homme blanc dont Malcolm ne savait rien, si ce n’est ce qu’il le décrivait comme « la honte de ma mère ». C’est de lui que Malcolm tient son teint relativement clair. Il pense d’abord qu’être métissé est une chance, un « symbole de statut social ». Plus tard, il dit qu’il « haïssait chaque goutte de ce sang de violeur » qui circulait dans ses veines. Mais il profitera de ce teint clair pour tenter d’obtenir une ascension sociale qu’un teint plus foncé lui aurait peut-être empêché d’obtenir. Brillant élève, il se destinait au métier d’avocat.
Mais un de ses professeurs essaiera de l’en dissuader en lui disant que devenir avocat n’était pas accessible aux Noirs et qu’il ferait mieux de choisir de devenir charpentier. Cet épisode aura des conséquences sur le reste de sa vie car c’est de là qu’il montrera toute sa détermination à réussir comme ses camarades blancs qui ne lui arrivaient pas à la cheville. Mais sa famille est victime du racisme ardent des membres du Ku Klux Klan qui sévissait alors dans le Nebraska et aussi pratiquement dans tous les Etats du Sud des USA. La maison des Little est incendiée. Comme si cela ne suffisait pas, peu de temps après, le père de Malcolm meurt heurté par un train.
Malcolm ne croit pas à cette version et pense plutôt, comme sa mère, qu’il s’agissait d’un assassinat organisé par le « Black Legion », un groupe affilié au KKK que son père avait accusé d’avoir mis le feu à leur maison. Bien qu’il ait contracté deux polices d’assurance-vie, la compagnie d’assurance ne consent à payer que la prime la plus faible. Sa mère tombe alors en dépression et elle est internée dans un asile psychiatrique. Ces événements marqueront fortement la jeunesse de Malcolm. Il sera obligé de déménager à Boston chez une de ses sœurs plus âgée que lui. Mais il sombrera bientôt dans le banditisme comme dealer de drogue.
En 1942, il fait partie de la pègre bostonienne mais doit fuir Boston avec sa compagne de l’époque, Sophia, une jeune femme blanche, à cause d’une rivalité avec un meneur de la pègre. Il rejoint donc New-York où il reprend bientôt ses activités illégales en participant à des activités de revente de drogue, de jeu et même de cambriolages. Au début de l’année 1946, il retourne à Boston. Il y est arrêté le 12 janvier pour avoir essayé de voler une montre de près de mille dollars US qu’il avait laissée dans une bijouterie pour la faire réparer. Deux jours plus tard, il est également poursuivi en justice pour port d’arme. Le 16 janvier, il doit faire face aux charges de vol caractérisé et d’entrée par effraction. Il est condamné à dix ans de prison mais n’en purgera que sept. En prison, Malcolm gagne le surnom de « Satan », du fait de sa haine du christianisme, de la Bible et de… Dieu.
Alors d’obédience communiste, il était naturellement athée. Mais c’est en prison, avec ses nombreuses lectures, qu’il découvre l’Islam. Dans une lettre à un de ses amis, il écrit ceci : « Mon confinement est d’une autre nature ; je finis ma quatrième année d’une peine de prison de huit à dix ans… Mais ces quatre années de réclusion se sont révélées être les plus enrichissantes de mes vingt-quatre années sur cette terre et je ressens que ‘ce cadeau du Temps’ était un cadeau qu’Allah me fit, sa manière de me sauver de la destruction certaine vers laquelle j’avançais ».
En prison, il correspond avec son frère Reginald et échange avec lui des idées à propos de Nation of Islam, mouvement auquel Malcolm se convertit par la suite. Ce sont ses frères, déjà membres, qui lui font connaître l’organisation. La « Nation de l’Islam » est à l’époque une petite organisation de quelques centaines de membres, basée à Chicago.
L’organisation a une idéologie marquée par trois thématiques principales : une forme très hétérodoxe d’islam, un vigoureux nationalisme noir (revendication d’un État pour les Noirs dans le Sud des États-Unis) et un total rejet des Blancs considérés comme l’incarnation du démon sur la Terre. La citation suivante de son dirigeant le plus charismatique, Elijah Muhammad, illustre cette pensée : « Nous avons vu la race blanche (démons) dans le Ciel, parmi les justes, causant des troubles, jusqu’à ce qu’ils aient été découverts. Ils ont été punis en étant privés des conseils divins, presque ravalés au rang des bêtes sauvages. Sautant d’arbre en arbre. Les singes en procèdent. Avant eux, il n’y avait ni singes ni porcs. » Le 7 août 1952, il est finalement libéré sur parole.
Après sa libération, Malcolm Little rencontre Elijah Muhammad à Chicago et intègre complètement la Nation of Islam. C’est à ce moment qu’il décide de changer son nom en X, se débarrassant de son ancien nom de famille Little qu’il considère comme des restes des chaînes de l’esclavage. Se disant communiste, il est étroitement surveillé par le FBI qui souhaite le poursuivre pour cette idéologie qui était considérée comme un grave délit aux Etats-Unis. Mais cette charge sera bientôt abandonnée et il sera surveillé pour son appartenance à un « culte nationaliste noir ». Il était devenu l’un des prêcheurs de la Nation of Islam dont il deviendra rapidement le numéro deux après Elijah Muhammad.
Radical, il prône une sorte de lutte armée contre l’Amérique blanche contrairement à Elijah qui souhaite plutôt une pleine intégration et une reconnaissance des Noirs dans la nation américaine. Commencent leurs divergences et Malcolm quitte alors la Nation of Islam pour fonder son propre mouvement « The Muslim Mosque Inc. ». Il se convertit à l’Islam Sunnite et se rend à La Mecque. Il a été déterminant dans la conversion à l’Islam du grand boxeur Cassius Clay qui s’appellera désormais Muhammad Ali.
Pour lui, désormais, la priorité n’est pas d’unir les Blancs et les Noirs car il considérait qu’il fallait d’abord que l’union des Noirs soit complète. Peu de temps après son retour de La Mecque, Malcolm X fonde l’Organisation pour l’unité afro-américaine, un groupe politique non religieux. Il affirme ainsi sa volonté de mener à la fois une lutte religieuse pour l’islam, et une lutte politique pour les Noirs, les deux fonctionnant de façon autonome. Il visite le Ghana où il rencontre Kwamé Nkrumah. A son retour en Amérique, la tension monte entre lui et la Nation of Islam. Le 21 février 1965, Malcolm X prononce un grand discours dans l’Audubon Ballroom.
Le discours commence à peine lorsqu’une dispute éclate dans la foule, un homme en accusant un autre de lui fouiller les poches. Malcolm X, au micro, les appelle au calme lorsqu’un membre des Black Muslims s’avance vers lui avec un fusil à canon scié. Touché au ventre, Malcolm X tombe en arrière, tandis que deux autres personnes lui tirent vingt et une fois dessus avec des revolvers. Malcolm X est emmené à l’hôpital le plus proche, il y décède peu de temps après son arrivée à 3 h 30 heure locale.
L’identité des commanditaires reste inconnue, bien que les soupçons se portent principalement sur Nation of Islam, infiltrée par plusieurs agents du FBI lorsqu’ils ont appris l’existence d’un projet d’assassinat de Malcolm X. Mais il est avéré que le FBI savait qu’un projet d’assassinat était en cours et l’aura encouragé.
Ainsi prit fin la trajectoire de ce militant nationaliste de la cause noire. Trois membres de Nation of Islam seront reconnus coupables en 1966 : Norman 3X Butler, Thomas 15X Johnson et Talmadge Hayer.