Dimanche, après m’être perdu entre Tally Jallo Picc et Mbeddu Cinéma, j’ai finalement retrouvé le lieu. La dernière fois que j’y ai mis les pieds, Abdou Diouf était encore président. L’accès à l’école Massaër Diagne de Thiaroye relève du parcours du combattant. Elle est blottie entre le marché et la gare. Les murs qui ceignent les rails du Ter obligent le visiteur à emprunter une passerelle qui offre une vue peu reluisante de cette partie de la capitale.
A l’intérieur, le temps paraît suspendu. Rien n’a changé. Dans les salles, les tables-bancs sont défoncées, comme celles sur lesquelles je recueillais le savoir dans les années 90. L’école est toujours aussi sale, inhospitalière, avec ses murs défraichis et sa mine désolante. Peu d’entre nous ont fini le cycle primaire, car être issu de Massaër Diagne et «faire carrière» relève du miracle. Dans ce coin perdu de la République, j’ai été confronté, enfant, à la violence, à la drogue, à la pollution atmosphérique, visuelle et sonore. Le doux mélange entre la gare, le marché, le garage de taxis clandos et les sirènes des trains qui passaient, ornait nos peu paisibles cours que délivraient des maîtres consciencieux, nos hussards noirs.
Comment acquérir du savoir dans cette saleté et cet inconfort ? Comment rêver, surtout que nous n’avions accès à aucune culture, aucun ailleurs pour nous projeter vers une poétique du devenir ?
Mais nous étions tout de même des gamins heureux, ravis quand la sirène nous libérait des cravaches du ténébreux monsieur Ndiaye «cow-boy» ou du terrifiant Monsieur Fall.
Il me revient en mémoire la levée des couleurs chaque matin. Ensuite nous entonnions l’hymne national et l’hymne de la jeunesse pour forger en nous l’esprit patriotique, la fibre républicaine et le respect des trois bandes et de l’étoile. Puis nous nous dispersions dans les salles de classe. Elles étaient déjà sales, trop exiguës pour notre nombre (nous étions en moyenne 80 par classe) et sans aucune forme de commodité, voire de confort. Nous étions des filles et des fils de petites gens, des gens ordinaires de Guinaw autoroute comme le chantait le rappeur Billie J I Jo. Tout le monde se fichait de nous, nous n’étions pas ces «enfants de madame» dont les classes étaient propres, belles et ornées de dessins et d’autres petites douceurs qui embellissent le quotidien. L’école Massaër Diagne est une faillite républicaine. Et elles sont nombreuses, ces faillites, produisant ainsi des citoyens à part entière et des citoyens entièrement à part. Les inégalités naissent à l’âge de l’enfance, et ensuite elles déterminent l’avenir des filles et des fils d’une même Nation. Je m’honore d’être issu de l’école républicaine. Mais derrière l’écran de fumée constitué de gens qui, comme moi, vont au bout de leur cursus, combien de millions d’enfants perdus de cette même République que l’école n’a pu sauver ?
Le recrutement d’enseignants annoncé par le gouvernement est une bonne mesure. Il faut aussi mettre l’accent sur la formation des maîtres, les «dieux» des enfants qui suscitent des vocations ou dégoûtent à jamais de l’école.
Nous vivons une crise de sens qui appelle à un printemps des idées, afin de penser notre pays à l’aune des défis des enfants qui acquièrent en ce moment le savoir dans toutes les écoles élémentaires du pays. Il faut des investissements massifs dans les écoles primaires pour qu’il n’y ait plus d’abris provisoires, mais aussi pour que les écoles ne soient plus des taudis qui ignorent jusqu’à la dignité d’enfants innocents que la République a promis de défendre et de chérir.
L’école est le lieu de socialisation de l’individu. En complément du foyer, elle est censée instruire, éduquer, transmettre des valeurs républicaines, celles de la liberté, de la citoyenneté, de l’égalité et de la laïcité.
On y apprend ce qu’est la patrie républicaine, la souveraineté populaire, l’histoire de notre pays, le sacrifice des générations pour toujours faire flotter notre drapeau national, faire résonner notre hymne et clamer les hauts faits d’arme de nos martyrs.
Une Nation se glorifie par la montée en humanité de ses enfants. Plus que les investissements sur le béton et les rails, il faut investir sur l’homme pour défendre et préserver sa sacralité que garantissent aussi bien les écritures saintes que les textes républicains.
Investir sur l’homme c’est le mettre au centre des priorités des politiques publiques, c’est mettre à sa disposition de manière suffisante et qualitative l’éducation et la culture. Elles constituent les deux mamelles nourricières des hommes pour les libérer, les enrichir et leur donner les moyens d’être acteurs de leur propre destin.