Le débat sur l’intégration économique de l’Afrique est vieux d’une soixante d’années, initié lorsqu’il s’est agi de tracer les voies de développement économiques des Etats nouvellement indépendants, principalement d’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Des leaders comme Kwamé Krumah, Cheikh Anta Diop pour ne citer que les plus célèbres, ont conditionné le développement économique viable du continent à sa réunification aux plans politique et économique dans un contexte de recouvrement total de sa souveraineté.
La réalisation de ce projet s’est heurtée à l’opposition des milieux d’affaires coloniaux, lesquels préféraient la compartimentation du marché africain pour des besoins de contrôle. Ils étaient renforcés en cela par des chefs d’Etat aux pouvoirs très étendus, soucieux de garder toutes leurs prérogatives. Des programmes, plans, initiatives, accords commerciaux etc. notre continent en a connus.
Des institutions tournées vers l’émergence ou le développement ont été créées sans résultats probants. Ces institutions sont de deux types : Celles donnant la priorité aux investissements lourds pour ériger les infrastructures comme préalables ; Celles accordant la priorité à l’impulsion du commerce intra africain par la connexion des marchés via des dispositions tarifaires communes, de sorte à créer dans l’immédiat des conditions d’échange impulsives.
La CEDEAO n’a pas réussi en 45 ans d’existence à ouvrir le marché sous régional de l’Ouest aux pays concernés malgré des dispositions tarifaires comme le TEC (Tarif extérieur commun). Les statistiques sont parlantes : Le commerce intra régional est aujourd’hui de l’ordre de 17 % environ. Les pays de la CEDEAO commercent davantage avec l’Europe qu’entre eux.
Le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique), après une dizaine d’années de fonctionnement et d’espoirs, est en hibernation faute de ressources financières permettant la mise en œuvre préalable des infrastructures de désenclavement de son marché potentiel. Il y a aussi le retrait de la scène politique de ses leaders fondateurs (l’Egyptien Hosni Moubarak, le Nigérian Olusegun Obasanjo, le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Sud africain Thabo Mbeki, l’Algérien Abdel Aziz Bouteflika). Aujourd’hui, l’approche n’est plus la même ; l’intégration des marchés n’est plus considérée comme devant passer par un programme dont la principale contrainte est la mobilisation d’importantes ressources financières extérieures, mais plutôt par un accord de commerce extérieur créant une zone de libre-échange continentale.
A cet effet, 44 pays africains, allant du Cap au Caire et de Djibouti à Dakar, se sont engagés en mars 2018 à éliminer les droits de douane entre eux et à améliorer l’efficacité des services non tarifaires pour la circulation optimale de leurs produits finis, davantage créateurs de richesse (donc de croît économique) parce que transformant sur place les matières premières habituellement exportées brutes vers les pays industrialisés.
Exit le NEPAD, place à la ZLECAF
L’Afrique est à l’heure de la ZLECAF (Zone de Libre échange continentale africaine), le démarrage prévu durant 2021 ayant été retardé par les effets du COVID 19, avec des pays initiateurs très engagés à l’instar du Rwanda et du Nigéria. Il est d’ailleurs significatif que cet accord ait comme principal soutien l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo (un des pères fondateurs du NEPAD) qui a déjà qualifié de “criminelle” toute personne n’appuyant pas ce projet. L’accord relatif à la ZLECAF prévoit la suppression des droits de douane sur la plupart des marchandises, la libéralisation du commerce des principaux services, la levée des obstacles non tarifaires freinant les échanges commerciaux intra régionaux et, à terme, la création d’un marché unique continental où la main-d’œuvre et les capitaux circuleront librement. En effet, outre les droits de douane, d’autres facteurs non tarifaires pèsent sur le coût et le développement du commerce, en particulier la faiblesse des services facilitant les échanges, comme la logistique et les infrastructures de transport, les procédures à la frontière et les pratiques douanières. Lorsqu’elle sera opérationnelle, la ZLECAF est prévue pour constituer un marché de 1,2 milliard d’individu.
Pour ce qui concerne le Sénégal, la question cruciale est : Que va-t-il gagner ou perdre dans cette Zone de libre-échange continentale africaine ?
La réflexion à mener consistera à mener, avec les éléments du désarmement tarifaire, des études de position ou de place de nos produits d’exportation, et celle des produits importés en provenance de la zone. En toutes hypothèses, la ZLECAF serait à notre sens une opportunité à saisir au regard de la taille et de la demande du marché en question, et aux d’effets d’impulsion qu’il pourrait avoir sur la création de PME par des entrepreneurs (Schumpeter) autrefois limités dans leurs projets par l’étroitesse du marché intérieur
En effet, à notre sens, c’est le marché qui crée l’entreprise
Les secteurs sur lesquels le Sénégal devrait miser sont ceux pour lesquels nous avons un savoir-faire reconnu pour la fabrication de produits dont la demande aurait une faible élasticité par rapport au prix. Cela nous permettrait d’éviter l’écueil du taux de change monétaire souvent en notre défaveur, du fait d’une politique monétaire, au niveau de l’Union monétaire, rétive à toute forme de flexibilité, et de renforcer notre capacité de production dans ces secteurs économiques identifiés.
Le secteur textile/confection de modèles (tenues), le Tourisme, le Numérique, et certains services devraient être mis en avant. A titre d’exemple, lorsque le cours du Naïra (Ndlr, monnaie du Nigeria) varie à la baisse par rapport au FCFA, rendant leurs importations de produits textiles (confection) plus onéreux, les commerçants nigérians baissent leurs quantités de commandes sur des produits « standard », mais les maintienne pour les produits de créateurs de mode.
Le Tourisme devait être associé à la fourniture de services liés à la santé dans le contexte pandémique, et bénéficier de formation des professionnels et du personnel. Le développement du Tourisme ne saurait aller sans une politique d’assainissement nationale érigée en surpriorité, propre à attirer les touristes.
La filière du numérique est également porteuse d’espoirs (elle représente près de 5 % du PIB du Sénégal) dans des sous-secteurs comme l’ingénierie d’applications sur mesure, le développement mobile, les solutions de paiement électronique.
Le Kenya est à la pointe de la finance électronique dans le monde, prouvant que la préalable dotation en facteurs de production n’est pas un handicap dans ce domaine.
Au Sénégal, le développement d’applications dans la banque et la micro finance pourrait se renforcer davantage avec la suppression des barrières permettant de « challenger » les autres pays, et de faire du « benchmarking » pour une constante mise à niveau, dans un secteur en constante évolution technique.
Concernant l’industrie de transformation de notre pays (agriculture, pêche, engrais), elle est déjà présente sur le marché de la ZLECAF, mais sera potentiellement handicapée par des coûts de production élevés (électricité) et un taux de change a priori défavorable vis-à-vis de pays hors UEMOA, du fait de la surévaluation quasi structurelle de l’euro, devise par rapport à laquelle notre monnaie est liée par une parité fixe.
Profiter des opportunités de la ZLECAF pour le renforcement de nos PME exige une politique de financement à court et moyen termes de leurs besoins en investissements et en fonds de roulement, pour soutenir la comparaison avec les PME africaines concurrentes, mais également de la formation.
En définitive, la ZLECAf sera ce qu’en feront les Etats membres. Leur détermination ainsi que l’implication des populations et de la société civile africaine seront cruciales pour sa pérennisation. La route sera parsemée d’obstacles comme c’est le cas pour l’Europe et ses institutions dont l’évolution mérite d’être mise en relief.
L’Union européenne s’est construite selon la méthode des “petits pas”, permettant des réalisations concrètes. Le traité de Paris de 1951 créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) fût la première étape de sa réalisation.
La CEE est créée par la suite en 1957 et réalisa l’Union douanière. Par la suite, les droits de douane intérieurs ont été supprimés puis un tarif douanier commun mis en place aux frontières extérieures de la CEE (Ndlr, Communauté économique européenne) pour mener à l’intégration économique. Le 14 juin 1985, 5 pays de la CEE (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et République fédérale d’Allemagne) signent les accords de Schengen. Ils prévoient la suppression progressive des frontières entre les États et la libre circulation des personnes.
L’année suivante, l’Europe passe à Douze avec l’intégration de l’Espagne et du Portugal. La même année, les Douze signent à Luxembourg l’Acte unique européen, qui modifie le traité de Rome sur la CEE afin de réaliser un marché intérieur unique. Aujourd’hui, l’Union européenne se compose de 27 Etats membres, représentant environ 450 millions d’habitants ; la CEE est devenue l’Union européenne, avec de nouvelles institutions délégataires de pouvoirs (Commission européenne, Parlement Européen), de nouveaux accords (Maastricht) et une monnaie commune (l’euro).
Malgré cette méthode des petits pas, des crises importantes sont apparues tout au long du processus (crise grecque qui a mis en relief les disparités économiques entre pays membres, et Brexit c’est-à-dire la sortie de la Grande Bretagne de l’euro). Il y a eu des divergences d’intérêts économiques de pays membres, inhérentes à l’évolution du marché mondial, lieu d’une féroce compétition économique aujourd’hui exacerbée par le déploiement de la Chine et l’Inde, mais également par des préoccupations géostratégiques. Aujourd’hui, il est permis de penser que l’Europe est en proie à des convulsions dangereuses pour son avenir, si l’on en croit les forces centrifuges qui se manifestent dans les pays membres, qui remettent en question une Europe économique à deux vitesses, avec des gagnants (Allemagne, Pays Bas) et des « perdants » (Italie, Grande Bretagne).
L’Afrique en construction économique ne saurait échapper à de telles secousses, raison pour laquelle les intérêts respectifs des pays membres d’accords comme la ZLECAf devraient être davantage pris en compte, sachant qu’il y aura des avantages pour certains et des inconvénients pour d’autres.
Au regard du critère du Produit Intérieur Brut (PIB), le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie (représentant 50 % du PIB de la zone) qui ne contribuent que pour 11% du commerce régional, seront vraisemblablement les « poids lourds » de la ZLECAf. Et, de fait, défendront sans nul doute leurs intérêts et leurs positions dans les instances décisionnelles de cette nouvelle institution. L’Algérie, l’Égypte et le Nigéria qui, ensemble, représentent environ la moitié du PIB régional, contribuent relativement peu au commerce régional (à peu près 11 %).
Certains pessimistes ou prudents sont convaincus que la ZLECAF butera sur des questions d’ordre politique, juridique, infrastructurel, financier et sécuritaire. Le financement des infrastructures de désenclavement sera important pour sa crédibilité et pour l’adhésion des populations (dont les activités économiques sont déjà intégrées dans le « ZLECAf informel » des marchés hebdomadaires).
Notre conviction est que lorsque les mesures essentielles à l’ouverture sans entraves du marché de cette zone seront prises et appliquées, le financement des infrastructures sera plus aisé parce que rencontrant l’intérêt des institutions financières internationales, des banques de développement et banques privées.