Idriss Deby Itno, soutenu par la Libye et le Soudan, est arrivé au pouvoir grâce à la France qui voulait se débarrasser du président Hissen Habré devenu encombrant et pas fiable. La France n’a eu qu’à laisser-faire. Déby a marché sans encombre sur N’Djaména dont il s’est emparé et Habré défait, s’est réfugié au Sénégal.
L’histoire semble se répéter au Tchad : Les colonnes du FACT marchent aujourd’hui sur N’Djaména comme jadis, Déby fondit sur N’Djaména pour extirper Habré et comme, avant lui les forces du FAN de Habré le firent pour déloger le président du GUNT Goukouni Weddeye. La seule différence cette fois, est que Déby a trouvé la mort avant que les FACT n’aient rejoint la capitale. Les français avaient soutenu Habré contre Goukouni avant de jouer le pion Déby contre Habré. Vers qui vont-ils se tourner cette fois ? Un Mahamat vaut bien un mahamat*
A chaque étape la France omniprésente au Tchad, s’est montrée championne du laisser-faire, tant que cela ne nuisait pas à ses intérêts. Déby lui servait de relais sur plusieurs théâtres d’opérations, que ce soit dans la région des Grands Lacs, du Mali ou celle des 3 frontières. L’armée tchadienne est l’une des plus aguerries et des mieux équipées de l’Afrique subsaharienne. Rompue aux guerres contre les islamistes, elle est essentielle dans le dispositif déployé sur le terrain au Mali, Niger et Burkina. La base aérienne française installée au Tchad sert de point d’appui aux opérations de Barkane. Elle est vitale pour couvrir les forces engagées dans le conflit au Sahel.
Déby, à qui on posait la question de sa longévité au pouvoir, répondait devant des journalistes de TV5 interloqués, qu’il pensait bien raccrocher, mais que la France voulait qu’il restât. C’est vrai qu’il avait su rendre ses abords attrayants, présent sur tous les fronts chauds du Sahel, mais il avait aussi verrouillé d’une main de fer l’intérieur du Tchad. Macron a loué son courage, Hollande sa loyauté et le fait qu’on pouvait compter sur lui. Nul doute que cette disparition brutale rebat un peu les cartes. Macron s’est déplacé, pour les obsèques certes, mais aussi surtout, pour tâter le pouls et s’assurer à qui reviendra le flambeau de défendre les intérêts de la France dans la région. Il discutera avec les nouvelles autorités autoproclamées, essaiera de comprendre et jaugera à quels risques seront exposés les intérêts français. Alors seulement, il décidera, à cette aune et à cette aune seulement, à qui apporter son soutien : à la rébellion du Nord dirigée par Mahamat Mahdi Ali ou au Conseil Militaire de Transition dirigé par Mahamat Idriss Déby qui se fissure déjà. S’il tranche en faveur de la rébellion du Nord alors il laissera faire et ces derniers marcheront triomphalement sur N’Djaména. S’il penche pour le nouveau comité alors les forces françaises avec quelques frappes bien ciblées stopperont la progression des rebelles sur N’Djaména et imposeront Déby fils. La France voudra coûte que coûte que le Tchad maintienne le schéma actuel avec ses quelque 2500 hommes sur les fronts de combat. Ce sera sans aucun doute l’unique argument de la négociation que s’apprête à faire Macron avec le nouveau pouvoir en place. Donnant-donnant. Dans tous les cas, on aura une impression de déjà-vu. Adouber le nouveau préfet de la France au Tchad, tel est le sens du déplacement de Macron.
Déby fils aura eu une lourde tâche ce vendredi 23 avril, jour de deuil national : enterrer son père et réussir l’examen de passage devant Macron.
Et le peuple tchadien me diriez-vous ? Qu’importe qu’il souffrît, qu’importe que ses libertés démocratiques fussent piétinées – en atteste la mascarade d’élection de la semaine dernière – tant que l’allié jouerait son jeu, la France ne s’embarrassera pas de ces considérations, elle le protégerait. La politique ne s’encombre pas de sentiments.
Idriss Déby Itno aura fait 30 ans au pouvoir, il s’apprêtait à entamer un sixième mandat, après avoir muselé l’opposition et remporté à près de 80% les élections. Son bilan à la tête du Tchad est désastreux. Classé 187e sur 189 mondial en termes d’indice de développement humain et 42e sur 44 en Afrique subsaharienne selon l’indice démocratique, ce pays manque de tout. Comment après de tels échecs pense-t-on à vouloir rempiler ?
Qu’arrive-t-il de si tragique à ces hommes, dont les accessions au pouvoir génèrent tant d’espoir, pour qu’ils faillissent à ce point ? Au lieu de faire respirer la démocratie par les citoyens et de s’atteler au développement, ils se muent en monarques absolus, coupés de leur peuple. Ils ne comptent plus que sur la France, à qui ils ne cessent de fournir constamment des gages de soumission, pour ne pas sortir de ses faveurs et perpétuer ainsi leur règne.
Serait-ce l’absence d’avenir pour un futur ancien président, comme disait Giscard, qui fait qu’ils s’accrochent désespérément au pouvoir et vivent ainsi la malédiction des grands nombres ? Tenez, si vous faites du ataya tous les jours, il y a peu de chance que vous cassiez un verre dans l’opération. Si 10 millions de Sénégalais font du ataya tous les jours, pendant un mois, la probabilité du nombre de verres cassés augmentera considérablement. Il y a une part maudite dès qu’on calcule large, disait M. Serres.
Si vous faites deux mandats au pouvoir, il y a peu de chances que vous en soyez chassé brutalement ou même tué. Si vous y faites plus de deux mandats alors la probabilité d’y mourir brutalement ou de finir dans une retraite peu glorieuse augmente considérablement. Déby qui s’apprêtait à faire un sixième mandat après 30 ans de pouvoir l’apprend à ses dépens. Avant lui Aziz, IBK, Compaoré, Diamé, Béchir en avaient tous fait l’amère expérience. Comme quoi, le mal est décidément dans les grands nombres.
Dr C. Tidiane Sow est coach en Communication Politique
FACT : Front pour l’alternance et la concorde au Tchad
FAN : Forces armées du Nord
GUNT : Gouvernement d’Union Nationale de Transition