SITUATION SOCIALE
Au Sénégal, la pauvreté reste élevée, notamment en raison d’un défaut de croissance inclusive et de l’inégalité de la répartition des revenus entre deux mondes que tout oppose. Aussi bien dans le milieu urbain que dans la campagne, la hausse du niveau de pauvreté est inquiétante, car même si le taux de pauvreté a baissé en moyenne de 1,6% en presque neuf ans, le nombre de pauvre n’a cessé d’augmenter sous le régime de Macky Sall avec des disparités géographiques qui restent assez prononcées.
Notre économie, travestie, continue à dépendre du secteur tertiaire, essentiellement détenu par des puissances étrangères, particulièrement européennes. En dehors des services de télécommunication, elle repose essentiellement sur les exportations des secteurs à forte intensité capitalistique pour compenser les secteurs à forte main d’œuvre chancelants. Cette réalité engendre une faible création d’emplois dans le pays.
Les difficultés de notre économie, à travers le déficit dans la création d’emplois, se matérialisent en outre par l’ampleur du secteur primaire (agriculture et pêche) en termes d’effectif. À lui seul, ce secteur emploie plus de 49% des jeunes actifs occupés alors que sa contribution dans la richesse créée pèse moins de 16%. Il s’y ajoute un secteur informel laissé à lui-même seul et qui, pourtant, emploie plus de 90% de la population jeune. Cette dernière vit dans une situation précaire où plus de 62% des travailleurs ne sont affiliés à aucun système de protection sociale.
L’école sénégalaise, longtemps perçue comme le symbole d’une réussite garantie, est aujourd’hui dépassée par la réalité du marché de l’emploi. Elle est devenue un fabricant de chômeurs sans espoirs et laissés à leur propre sort. Il n’est plus anecdotique de voir un jeune, titulaire d’un Master en mathématiques, sciences physiques et chimiques devenir charretier. Cette réalité explique toute la souffrance dans laquelle vivent les jeunes diplômés issus de l’école sénégalaise. Il ne s’agit toutefois pas de cas isolé, c’est une situation quasi-générale qui n’échappe pas à nos services statistiques, notamment l’ANSD. Selon ces derniers, le taux de chômage global de nos diplômés est de 12,1% pendant que celui des détenteurs d’un diplôme supérieur BAC + 2 est de 22,8%.
LE SOUS-EMPLOI CONSTITUE UN PROBLEME ENCORE PLUS GRAVE
Selon les estimations du BIT, seul un Sénégalais sur cinq travaille à temps complet. L’agriculture, qui dépend en grande partie du volume des précipitations, emploie 40 % de la population et demeure très saisonnière. Elle est limitée à environ six mois l’année et ne peut en aucun cas constituer un emploi à temps complet. Dans les zones urbaines, beaucoup d’individus évoluant dans le secteur informel ont une productivité du travail assez faible. Il s’agit par exemple, de vendeurs de cartes de crédit pour téléphones cellulaires portable ou de vendeurs de nourriture qui sont présents sur les trottoirs de plusieurs villes du Sénégal.
L’EMPLOI DES JEUNES N’EST PAS UNE QUESTION D’ARGENT : IL EST PLUTOT STRUCTUREL
Le président Macky Sall, à travers son « nouveau » programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio-économique des jeunes, a mis en place une enveloppe de 450 milliards de FCFA devant servir à financer l’emploi des jeunes. Ce financement doit être fait sur une période de trois ans, à raison de 150 milliards pour l’année 2021 ; le reste du budget sera réparti sur la période 2022-2023. La question à laquelle le Président Macky Sall semble s’attaquer est l’exclusion financière des jeunes sur le marché financier. Cette forme d’exclusion financière est une réalité qui touche plus de 80% des adultes sénégalais. Diverses raisons l’expliquent. On peut citer l’asymétrie d’informations, l’absence de garanties fiables et la gestion informelle des fonds, la faible rentabilité de certains secteurs d’activité et le niveau du risque encouru.
L’exclusion financière dont est victime la jeune génération n’est que le reflet d’un environnement financier sceptique entre deux sphères non imbriquées : la formation et l’emploi. Plusieurs études ont montré le problème d’adéquation entre l’offre de formations disponibles et la demande d’emplois exprimée sur le marché, ou plutôt l’inadéquation des qualifications et des compétences aux besoins des entreprises. Le problème d’accès au financement est réel, mais ce dernier concerne plutôt, en grande partie, les jeunes sans formations, issus du secteur informel. Au Sénégal comme dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, particulièrement ceux de l’Ouest, le marché de l’entrepreneuriat est largement dominé par les entrepreneurs du secteur informel. Ceux-ci ont l’avantage de comprendre assez tôt qu’ils doivent dépendre de leurs propres initiatives entrepreneuriales pour sortir d’un système uniquement réservé à ceux qui ont fait des études poussées. Ceci explique, en partie, le niveau du chômage deux fois plus élevé chez les jeunes qui ont fait des études supérieures (BAC+ 2) par comparaison à ceux non diplômés.
Ce contexte particulièrement douloureux et inapproprié enlève l’espoir d’un rêve de réussite à toute une génération qui se considère comme sacrifiée.
Le ras-le-bol de la jeunesse, exacerbé par la fragilité et l’instabilité du marché de l’emploi, constitue dès lors une source de frustration et de contestation urbaine avec des issues incertaines. Celles observées, récemment, durant les évènements malheureux de mars 2021 en constituent une illustration. L’échec de nos politiques de développement consacrées à la jeunesse est observable dans la vie sociale des ménages, considérés individuellement ou regroupés. Finalement, de nos jours, la jeunesse n’est plus une question d’âge, mais une étape qui caractérise le passage de l’école à la vie professionnelle. Ce changement structurel, observable dans la plupart des ménages sénégalais, ne doit nullement être expliqué par de nouvelles valeurs, mais plutôt par une entrée difficile dans le marché de l’emploi et ses effets dans l’environnement social.
QUELLES SOLUTIONS ?
L’accès au crédit est certes important, mais l’esprit d’entreprenariat et la créativité restent essentiels dans tout projet de développement. Nous ne sommes pas contre l’idée de mettre en place ce fonds de financement, mais nous voulons attirer l’attention sur la vraie problématique de l’emploi des jeunes, à ne pas confondre moyens et finalité. Axer la question sur le financement, sans prendre en considération les autres paramètres tels que l’employabilité, risque d’être contre-productif par rapport aux objectifs initiaux.
Le problème de l’emploi des jeunes, dans le contexte sénégalais, n’est pas conjoncturel; il est plutôt structurel. Il faudrait dès lors faire appel à des solutions structurelles et adaptées au contexte. L’expérience montre que très souvent, quand le lien entre le diplôme et l’emploi n’est pas bien établi, cela ne profite qu’à une frange de la population. Au Sénégal, le capital social, les relations, le clientélisme politique, l’entregent prennent assez vite le dessus sur le diplôme, rendant l’accès aux emplois assez compliqué pour les jeunes.
Par conséquent, les autorités doivent avoir l’audace de réorienter notre offre de formation, trop généraliste, vers une offre plus professionnelle qui part de l’analyse de besoins des acteurs économiques (entreprises privées, industrie …) et des situations de travail qui font la réalité du secteur.
En clair, il s’agit non seulement d’identifier les avantages comparatifs du pays dans ses différents secteurs, mais, et surtout, de bien connaître les métiers et les compétences demandées par les entreprises locales. Les formations offertes répondront alors aux questions suivantes : quels métiers, quelles expertises et quelles compétences développer pour soutenir et accompagner le développement des entreprises dans les secteurs concernés ? C’est pourquoi, le gouvernement doit nécessairement commencer par réduire la distance entre l’offre de formation et les besoins du marché de l’emploi.
En définitive, Fds-Les Guelwaars considère que les jeunes ont sans doute besoin de cet argent, qui est leur argent en tant que contribuable, mais nous restons convaincus que l’impact sera très marginal, voire même contre-productif, comme l’ont été la quasi-totalité des initiatives dont la vocation a été de créer de l’emploi pour les jeunes.
Dakar, le 26 avril 2021