C’est par la lecture de la grève des battú que s’est effectuée ma rencontre avec l’œuvre d’Aminata Sow Fall. Et c’est le livre qu’invariablement je recommande comme porte d’entrée dans ses romans.
Une magnifique fable que cet extraordinaire retournement qui nous fait vivre une grève, non pas de travailleurs, mais de ceux justement qui n’ont pas de travail ni ne peuvent, bien souvent, en avoir, et sont réduits à tendre la main pour demander la charité. Ce qui fait tout le prix des fables c’est qu’une fois qu’elles nous ont été contées, elles continuent de vivre en nous, et après qu’elles s’en sont allées à la mer, nous continuons d’en respirer le parfum. Le parfum insistant qui s’exhale de la grève des battù, c’est le sens même de la charité que cet ouvrage nous enseigne.
La leçon des grévistes de l’obole est celle-ci : la charité n’est pas une transaction. Lorsque les mendiants de la ville, ceux et celles qu’on regarde à peine lorsqu’on lâche dans leurs mains, son aumône du jour, décident de débrayer et de ne plus accepter les cubes de sucre soigneusement comptés, le bon mélange de colas noires et de colas blanches, le nombre exact de piécettes qui doivent valoir aux donateurs le retour sur investissement escompté, c’est la panique. Que va devenir le poste de directeur qui m’a été promis en échange d’un kilo de sucre offert à une mère de jumeaux ? Où trouver un mendiant handicapé dont le « merci, Dieu vous le rende » écartera de ma voie les mauvais présages qui l’encombrent ? Comprendre que la charité n’est pas transaction c’est revenir à la signification première du mot : la charité n’est pas une opération que l’on fait, c’est d’abord une vertu qui nous habite et nous soulève vers Dieu et notre prochain. « Si je n’ai pas la charité », a dit ainsi Saint Paul, « je ne suis rien ».
La charité est donc réalisation de notre humanité dans sa reconnaissance chez l’autre que je prie d’accepter mon offrande. Donner est déclarer un amour non mercenaire de Dieu, et donc de l’humain. Comme tout grand roman, et sans se donner pour autre chose qu’une œuvre de fiction, la grève des battù est une magnifique leçon d’humanisme. Cette leçon est, plus largement, celle de toute l’œuvre et d’abord de la personnalité d’Aminata Sow Fall. Alors merci, chère Dame des Lettres pour, entre autres dons, la belle leçon des battù !
Et merci de recevoir parmi les cadeaux pour ton anniversaire, ce témoignage de mon affection.