En ces temps troubles et dangereux pour l’Afrique, il est certainement rassurant d’entendre l’appel de centaine d’hommes et de femmes, de différentes nationalités, à travers le continent : intellectuelles (ls), scientifiques, écrivaines (ns) et politistes, à repenser le destin de nos pays, face aux nombreux défis qu’ils affrontent.
Il faut saluer l’initiative du Collectif pour le Renouveau Africain (CORA) qui a organisé 6 tables rondes en ligne du 12 au 17 avril 2021 pour « replacer les intellectuels africains collectivement au centre des débats qui agitent le continent et le monde ».
Il s’agissait de réfléchir sur « le rôle et la responsabilité des intellectuels africains », la situation de « l’Afrique dans le (dés) ordre mondial », « l’actualité du panafricanisme », « le développement économique de l’Afrique à travers et au-delà du Covid-19 », « le rôle des langues africaines dans la transformation sociale » et/ou « le potentiel de la science, de la technologie et des savoirs endogènes ».
Difficile pourtant d’en dire sur ces sujets qui n’ait été déjà dit et bien dit !
Concernant par exemple « le rôle et la responsabilité des intellectuels africains », je ne suis pas sûr que l’on puisse faire plus que contextualiser à nouveau l’analyse que le CODESRIA a produite en 2005 sur le sujet, intitulée « Les intellectuels africains : politique, langue, genre et développement » .[1]
D’autant que nous disposons en outre des travaux indépassables sur cette question et sur d’autres de Cheikh Anta Diop, notamment dans « Nations Nègres et Culture » et des contributions de Wole Soyinka et de ce que j’appellerais « l’école critique nigériane des années 1970 ».
Pour ce qui est de « la situation de l’Afrique dans le (dés) ordre mondial », les recherches de think tanks et de chercheurs africains ne manquent pas sur la question. Je pense notamment à la contribution de WATHI datée du 20 juillet 2020, signée Hippolyte Eric Djoungiep et intitulée : « Le monde post Covid-19 : quelle géopolitique ? »
Je signale également la tribune signée par M. Régis Hounkpé de Interglobe Conseils et M. Amadou Sadjo Barry intitulée : « L’Afrique doit rompre avec la dépendance », publiée le 23 juillet 2020.
Il y a aussi cet article du juriste-politologue sénégalais Ndiaga Loum, intitulé « Covid-19 et relations internationales : 6 leçons provisoires ».
Quant à « l’actualité du panafricanisme », qu’en dire d’autre que son urgence ?
C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Professeur Théophile Obenga comme il le fait depuis toujours, en s’inscrivant dans la perspective qu’avait dessinée Kwame Nkrumah et Cheikh Anta Diop depuis bien longtemps.
Sur « le développement économique de l’Afrique à travers et au-delà du Covid-19 », il y a eu déjà beaucoup de travaux aussi bien par des institutions africaines comme la Commission économique pour l’Afrique (CEA) que d’économistes indépendants comme Carlos Lopez, Ndongo Samba Sylla et Demba Moussa Dembélé notamment.
Quant au « rôle des langues africaines dans la transformation sociale », qu’en dire encore, plus de 70 ans après l’article de Cheikh Anta Diop publié en 1948 et intitulé « Quand pourra-t-on parler d’une renaissance africaine ? » dans lequel il indiquait « la nécessité d’une culture fondée sur les langues nationales » ?
Dans ce pays-ci, au moins 3 générations de chercheurs, de Pathé Diagne et Arame Fall, à Boubacar Boris Diop à Thierno Kayar Kane, Ousseynou Beye sans oublier Ousmane Faty Ndongo entre autres, ont étudié la question et publié quantité de papiers de haute facture.
Que dire de la somme de recherches élaborées sur la question en Tanzanie qui a adopté le Kiswahili comme principale langue de formation dans les écoles primaires et secondaires aussitôt après l’indépendance du pays en 1964 ? Ou encore au Nigeria et au Kenya notamment.
Cependant la démarche du CORA est novatrice en ce qu‘elle s’organise autour d’un mouvement panafricaniste de réflexion « multidisciplinaire et transdisciplinaire » avec l’objectif de « repenser un État africain au service du bien-être de sa population, rompre avec un modèle de développement basé sur le cercle vicieux de l’endettement, rompre avec la vision orthodoxe de la croissance pour la croissance et du profit pour le profit ».
Ceci était énoncé déjà dans la lettre ouverte signée par 100 intellectuels africains publiée le 13 mars 2020, intitulée « Aux dirigeants du continent africain : face au Covid-19, il est temps d’agir », dont le retentissement considérable justifie la tenue des présentes tables rondes en ligne.
L’initiative du CORA prend aussi en compte l’urgence qui pointe, « notamment pour la jeunesse de notre continent ».
Urgence effectivement de faire face aux menaces que sont, outre le Covid-19, la persistance et le renforcement des tyrannies, la prolifération de l’intégrisme islamique armé allié au grand banditisme, qui par métastase s’est répandu du Nord à l’Est, puis à l’Ouest et au Centre et atteint désormais la partie australe du continent, qui risquent de provoquer la dérive irréversible de l’Afrique toute entière.
D’autant plus qu’il y a aussi les menaces géopolitiques posées par les grandes puissances plus que jamais déterminées à augmenter leur part d’Afrique, dont les richesses minières et agricoles ainsi que le marché intérieur qui représente déjà 1.2 milliard de travailleurs et de consommateurs sont plus que jamais des enjeux stratégiques en ce 21ème siècle.
Ainsi, l’intervention militaire de la France dans le Sahel n’a d’autre but que de sécuriser sa place dans cette région en vue du contrôle des matières premières dites stratégiques (uranium au Niger, pétrole au Tchad, « terres rares » au Mali, etc.)
Sait-on que les USA envisagent sérieusement la partition de la République Démocratique du Congo (RDC), ainsi que l’envoyé spécial du président Trump dans la région des Grands Lacs l’a déclaré récemment ?
L’objectif américain est d’assurer un approvisionnement régulier en coltan, cuivre, cobalt et autres minerais indispensables à leurs industries, notamment aux secteurs informatiques et de l’aérospatiale.
Quand on sait qu’en 2011, on n’a pas hésité à détruire la Libye et à assassiner son leader Mouammar Kadhafi et qu’on a procédé effectivement à la partition du Soudan, on ne peut que prendre au sérieux la menace.
Dès lors n’est-il pas opportun, pour les organisations politiques et les organisations des sociétés civiles africaines de répondre à l’appel du CORA, à s’allier en « vue d’apporter notre pierre à l’imposant édifice de la lutte de libération, à une rupture, un sursaut collectif décisif, à penser et construire l’Afrique du 21e siècle » ?
Ne doivent-elles pas engager une réflexion stratégique et se poser tout d’abord la question politique fondamentale : Que faire ?
Mettre en place à l’instar de CORA un Réseau Continental d’Action politique pour le Renouveau Africain ?
Un Manifeste pour le Renouveau Africain ?
Un Parti pour le Renouveau Africain à l’image du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) ?
Après tout, le texte fondateur du RDA n’a été conçu que par une dizaine d’intellectuels africains[2] !
[1] Ma traduction.
[2] Félix Houphouet Boigny, Lamine Gueye, Jean Félix Tchikaya, Sourou Mighan Apithy, Fily Dabo Sissoko, Yacine Diallo et Gabriel d’Arboussier réunis le 22 juillet 1946, à Paris (Référence : Fréderic Grah Mel : Félix Houphouet Biographie. Ed du Cerap Maisonneuve et Larose. Tome 1, page 382.