Les PME ont toujours posé l’accès au crédit bancaire comme étant le principal obstacle au développement de leurs activités. La statistique suivante permet de donner crédit à cette assertion ou, si on préfère, préoccupation.
Seuls 22 % de la population ont un compte en banque, c’est-à-dire que 78 % des Sénégalais sont encore exclus des crédits et services bancaires. Les Petites et Moyennes Entreprises (PME) constituent aujourd’hui la base du tissu économique national. Elles représentent près de 90 % des entreprises au Sénégal, concentrent aujourd’hui environ 30 % des emplois, 25 % du chiffre d’affaires et 20 % de la valeur ajoutée nationale. En revanche, elles ne constituent que 16% du portefeuille des banques ! Elles sont confrontées à des taux d’intérêts élevés, des offres de financement dominées par les crédits court terme peu adaptés à leurs besoins et des exigences de garanties en inadéquation avec leurs capacités.
Le dynamisme de ces PME/PMI est donc contrecarré par la question de l’accès au financement bancaire, le déficit d’une politique efficace de promotion de la part des pouvoirs publics afin de les mettre en condition de relever le défi de la pérennisation et de la compétitivité.
Leurs difficultés d’accès au crédit tiennent principalement à la non-disponibilité des garanties demandées. L’absence de garanties suffisantes représentait déjà environ 51 % des motifs de rejet des demandes de financement des PME. La problématique de la garantie est rendue encore plus complexe par le coût élevé de leur constitution (hypothèques, nantissements et contre-garanties généralement demandées).
Les autres obstacles à l’accès au crédit sont :
– L’insuffisance de capitaux propres qui limite les entreprises quant à leur solvabilité et leur capacité d’endettement ;
– Le faible niveau de fiabilité des documents financiers et comptables périodiques, en particulier les états financiers de fin d’exercice, lorsqu’ils existent.
Une enquête menée par l’ADEPME a établi que, sur 258 000 entreprises recensées, seules 8000 disposaient d’états financiers fiables. Ceci met en relief l’insuffisance du dispositif actuel d’appui institutionnel et organisationnel aux PME, malgré la mise en place par l’Etat de plusieurs structures d’encadrement (ADEPME, Bureau de mise à niveau) et par le secteur privé (ENABLIS).
– La mauvaise qualité des dossiers présentés, l’absence de capacité managériale des dirigeants de PME/TPE.
– Le déficit de ressources longues pour octroyer des prêts à moyen terme avancé par des banques qui sont avant tout des banques commerciales ayant comme principales disponibilités les dépôts « à vue » de leur clients.
– La règlementation BCEAO quant à l’observance des règles prudentielles en matière d’octroi de crédit ; – Des délais anormaux de traitement de dossiers de crédits contentieux par la justice ;
– Enfin les banquiers invoquent des volumes d’opérations faibles générant des coûts de transaction élevés avec les PME, pour une rentabilité moindre par rapport aux volumes traités avec les grosses entreprises pour les mêmes coûts. Bien qu’étant en situation de « surliquidités », les banques classiques ne trouvent pas d’intérêt à accorder des concours financiers aux PME, considérées comme des engagements à risques. Elles préféreront accorder des concours substantiels aux grandes entreprises dont le risque est circonscrit, effectuer des placements sur le marché interbancaire, ou alors investir dans des titres de dettes publiques rémunérateurs (emprunts obligataires, bons du Trésor).
Quand les commissions sur services sont plus rentables que le produit net des fonds utilisés !
Aujourd’hui, de plus en plus, les banques commerciales du Sénégal confortent leur marge bancaire non pas par le produit net des fonds utilisés (Produit des emplois moins le coût des ressources), mais par les commissions perçues sur services bancaires et opérations de marché (51 % en moyenne du total des marges bancaires). Celles-ci comprennent les marges sur transferts (commissions de transfert) perçues sur la clientèle via Western Union, Moneygram, etc., secteur fortement secoué à l’heure actuelle par l’irruption des établissements financiers de Monnaie Electronique. Les banques commerciales au Sénégal privilégient de plus en plus les opérations de trésorerie plus rentables et à moindre risque. Elles ont une orientation généraliste davantage centrée sur le client et beaucoup moins sur l’activité. Le financement des PME/TPE requiert non pas de nouvelles banques classiques, mais plutôt des mécanismes de financement adaptés aux besoins des PME, des corps de métier du secteur informel (cordonnerie, maroquinerie, confection), ainsi que des structures d’accompagnement en gestion et en organisation pour des PME créatives et compétitives. En effet, il est difficile de demander à une banque privée d’assumer le risque d’octroi de crédit à une PME sans historique bancaire, ni fonds propres, ni garantie réelle, alors que les dépôts des clients qui constituent ses ressources sont à vue (payables à tout instant et à première demande). Le traitement du contentieux bancaire (stade où le crédit octroyé rencontre des difficultés de remboursement, obligeant le transfert du contentieux à la justice via les avocats) est également invoqué par les banques qui se plaignent de lenteurs de traitement judiciaire et de difficultés de réalisation de garanties réelles (hypothèques sur TF) lorsqu’elles existent. A y regarder de près, ce que les banques demandent aux PME équivaut à une fin de non-recevoir opposée aux demandes de crédit de PME/TPE sans historique, sans fonds propres, sans garanties.
Les nouvelles institutions financières de proximité
Face à cette incomplétude du système bancaire, de nouvelles institutions financières de proximité sont apparues, moins regardantes sur la garantie, davantage centrées sur l’activité du client et sur les marchés qu’elles nantissent ; elles sont classées dans le secteur de la MESOFINANCE, bien qu’elles soient assujetties à la règlementation applicable aux systèmes financiers décentralisés. Ce type d’institution, qui était vite apparu comme le « chainon manquant » entre les entreprises du secteur formel servies par les banques commerciales et les micro-entreprises clientes du secteur de la microfinance, souffre présentement de critiques sur le niveau de taux d’intérêts jugés prohibitifs par la clientèle. La Cofina est représentative de ce type d’institution en ce qu’elle développe des solutions financières visant à soutenir la croissance des PME et entrepreneurs sénégalais ayant des difficultés d’accès aux banques commerciales, pour leurs besoins d’investissement et de fonds de roulement.
LA DER ET L’ENTREPRENEURIAT RAPIDE
L’Etat, après avoir créé la BNDE (Banque nationale de développement économique), soumise à la réglementation prudentielle de la BCEAO, a compris l’indisponibilité des banques classiques à prendre des risques sur les PME/TPE. C’est pourquoi, après plusieurs expériences de financement spécifique des PME/TPE (Sofisedit, Sonaga, Sonabanque, FPE et BNDE), il a créé la DER, insistant sur la rapidité de décaissement des fonds, au bénéfice d’entreprises multi sectorielles, du secteur formel comme informel. Créée en septembre 2017 par l’Etat, la DER est la dernière-née des institutions de financement public au profit des « exclus » du système bancaire classique. La raison sociale de la Der/ FJ (Délégation à l’Entreprenariat Rapide des femmes et des jeunes) induit déjà le souci majeur de rapidité dans la prise de décision et la mise à disposition de fonds. Les montants cumulés des financements DER sont passés de 28 milliards en 2019 à 60 milliards FCFA, à fin décembre 2020. Les financements de la DER/FJ répondent au besoin d’allègement du coût du crédit, aussi bien en termes de taux d’intérêt que de garanties demandées aux bénéficiaires. Le président de la République vient d’annoncer la mise en place d’un programme de financement de 450 milliards sur trois ans pour l’emploi et l’auto emploi des jeunes et des femmes, et dont la DER sera l’agence d’exécution. Eu égard aux volumes de financements annoncés, la DER devra assurément revoir sa capacité d’absorption de ces nouveaux fonds. En effet, dans son bilan 2020, l’institution indique qu’elle a traité les dossiers de 100 000 bénéficiaires de crédit en 3 ans, soit 33000 dossiers traités par an et une moyenne de 300 dossiers par jour, ce qui est déjà une grosse performance. Rajouter à cela le traitement de nouvelles demandes portant sur 150 milliards tous les ans, même avec la départementalisation de leur gestion, pourrait être source de désordres. Il faut espérer que les critères de sélection des bénéficiaires comprennent outre le business plan, les qualités d’entrepreneur du demandeur et l’étude approfondie du marché. N’est pas entrepreneur qui veut !
LE MOBILE BANKING ET LES PORTE-MONNAIES ELECTRONIQUES
Le modèle bancaire traditionnel fait aujourd’hui face à nouveaux acteurs que sont Tigo Cash ou encore Orange Money, créés par les opérateurs de téléphonie Tigo et Orange. Il est utile de rappeler encore une fois que seuls 22 % des Africains ont un compte en banque, alors que 80 % d’entre eux ont la possibilité de faire des transactions sur leur mobile. Un grand avenir s’ouvre donc au « mobile banking », du fait de son accessibilité et de la facilité de compréhension de ses opérations, de sorte qu’un véritable écosystème est en train de voir le jour autour du Mobile.
Selon le cabinet GSMA, les technologies et les services mobiles ont généré en 2018, 8,7 % du PIB en Afrique de l’Ouest – une contribution représentant une valeur ajoutée de 52 milliards de dollars ! L’économie informelle occupe une grande partie de l’écosystème « Mobile » en Afrique de l’Ouest. Près de 800 000 sur le 1 million de personnes directement employées par l’écosystème mobile sont employés de manière informelle dans la distribution et la vente au détail de services mobiles. Au-delà des solutions de base en matière d’envois de fonds et de paiement des factures, la technologie mobile facilite la montée en puissance des start-ups dans le domaine de la FINTECH (secteur d’activité qui déploie la technologie pour améliorer les activités financières cherchant à combler les lacunes des services financiers en Afrique de l’Ouest).
L’exemple d’une FINTECH en développement au Sénégal est « Wave » en collaboration avec la banque UBA. Wave est présent dans tous les marchés et sur tous les quais de pêche du Sénégal. Depuis octobre 2019, le service vise la cible des particuliers. Car, en plus de l’envoi, Wave offre les paiements de factures sans frais et même l’achat de crédit téléphonique auprès des trois opérateurs du pays.
Selon ses promoteurs, l’activité de Wave au Sénégal a quintuplé de taille en l’espace d’un an, avec une croissance moyenne mensuelle de 15 % par mois. Le réseau dépasse désormais 2000 agents à travers le pays. Le système bancaire subit directement l’impact de ce phénomène et le système de paiement classique s’en trouve concurrencé (chèques, virements, espèces, cartes bancaires). Aujourd’hui, l’utilisation de la monnaie électronique pour le paiement de dépenses de consommation courante est prisée parce que rapide, efficace, pas chère, ne nécessitant pas de déplacement, et donc plus confortable pour l’utilisateur (exemple : hypermarchés en défiance vis à vis des chèques, on paie par Orange Money et Tigo cash pour le paiement de factures d’eau, d’électricité, de téléphone, de livraison à domicile, par « porte-monnaie » électroniques. Des institutions publiques comme le Trésor demandent présentement d’utiliser la monnaie électronique pour les paiements électroniques des allocations publiques (salaires, bourses, pensions, etc.).
Force est de constater que les opérateurs de téléphonie mobile (Orange, Tigo) dominent largement le marché avec leurs filiales émettrices de monnaie électronique. Ils tirent un gros avantage de leur base de clientèle existante, leur capacité à communiquer et faire de la distribution en masse. Aujourd’hui, Orange Money, distribué par le leader du marché Orange Finances Mobiles Sénégal, est le moyen de paiement le plus populaire au Sénégal.
Le mobile money est clairement entré dans les habitudes de consommation des Sénégalais. Le dépôt/retrait d’argent est devenu un usage basique chez les utilisateurs. L’innovation attendue sur le marché est la distribution de crédit digital, pour le moment confiné au crédit téléphonique. En définitive, le système financier sénégalais subit de profondes mutations auxquelles l’Etat, via une régulation adéquate, devra faire face et aussi accompagner.
Le mobile banking ne sera la solution au financement des PME/TPE que lorsqu’une règlementation spécifique autorisera les opérateurs à faire du crédit avec des plafonds consistants, en rapport avec les besoins ou sous forme d’appoint. La BCEAO se préoccupe présentement de la sécurité des opérations de Mobile banking qui sont potentiellement source de fraudes