« On avait fourré dans sa pauvre cervelle qu’une fatalité pesait sur lui ; qu’il n’avait pas puissance sur son propre destin. » (Aimé Césaire, dans Cahier d’un retour au pays natal, éditions Présence africaine). Nous y sommes tous, à des degrés divers. Nous y sommes tous, l’intellectuel plus que les autres. Nous y sommes tous, mais beaucoup n’en sont pas conscients.
Quels préalables conduisent l’intellectuel africain à croire au messianisme de la France sur le destin de l’Afrique !
Je flaire la confusion entre postcolonie et néocolonialisme. La deuxième notion est une fiction. La postcolonie, c’est la période de fragilité après le trauma colonial. On n’arrive pas à se libérer de l’emprise spectrale du maître. Même quand on pense le combattre, il reste le modèle. Et si les postcolonisés sont des victimes, il sont désormais les seuls responsables de leur salut. Ils doivent générer en leur sein des lumières, ces intellectuels qui vont éclairer le peuple. Tant que le groupe n’a pas atteint la maturité nécessaire, il trainera son aliénation.
Psychologie du dominant
L’ancien maitre n’a plus voix au chapitre. Il n’a rien fait quand il le pouvait. Comment penser qu’il s’est converti à d’autres sentiments ! Qu’est-ce qui aurait changé dans la psychologie du dominant depuis Ruben Um Nyobè pour que nous pensions à lui comme Messie, interlocuteur indispensable pour notre destin ? Dans quelle page de l’histoire ou des mythologies, avons-nous vu le dominant panser les plaies du dominé ?
Deux concepts sont souvent mêlés quand on définit le processus par lequel se façonne l’identité du dominé : l’assimilation et l’aliénation. J’entends que le colon voulait assimiler le dominé. Il n’en a jamais eu l’intention, même dans les colonies de peuplement comme l’Algérie. Assimiler c’est amener l’autre à votre niveau, le rendre semblable à vous. Alors on n’applique pas l’indigénat mais un dispositif de rattrapage de type discrimination positive.
Le colon a choisi l’aliénation, qui assure une domination des esprits dont les effets restent, même quand on est physiquement parti. Et il lui suffisait d’aliéner l’élite, user de la peur sur le politique et de la flatterie envers l’intellectuel. Mais il fallait aussi et surtout créer une forte défiance entre ces deux composantes de l’élite.
Figé dans les schémas coloniaux
En 1960, 2 % des colonies françaises allaient à l’école. Cette école a formé des commis subalternes et une poignée d’aliénés diplômés, ces « nouveaux Blancs » comme on les désigne encore de nos jours en Afrique, qui allaient perpétuer la domination du maître après lui. L’intellectuel devient l’allié, « la voix de son maître » blanc, et participe à la fragilisation des régimes politiques que le maître met à mal depuis l’indépendance par des coups d’états, des assassinats de leaders…