«La fraude sur l’âge est pire que le dopage», dixit Saer Seck. Le président de l’Institut Diambars, non moins président de la Ligue sénégalaise de football professionnel (LSFP) et 1er vice-président de la Fédération sénégalaise de football ne savait pas si bien dire, tellement la triche sur l’âge est en passe de devenir systémique. Le comble, c’est que plusieurs professionnels et/ou responsables de clubs ou de Fédérations semblent s’accommoder de cette situation qui gangrène le football africain et jette l’opprobre sur le talent de ses athlètes. En témoigne le séisme que la sortie de Nguirane Ndaw avait provoqué dans l’écosystème footballistique sénégalais voire africain. «Comme tous les Sénégalais, j’ai triché sur mon âge pour être professionnel. En Afrique, je ne dis même pas au Sénégal, le joueur qui ne diminue pas son âge ne pourra pas être professionnel. C’est une réalité, qu’on le veuille ou non. Au Sénégal, 99 % des joueurs ont diminué leur âge», avait balancé, tout de go, l’ancien international. Un tel fléau dépasse nos frontières, qui touche plusieurs pays africains au Sud du Sahara. De Dakar à Mogadiscio; de Ndjamena à Gaborone, il ne semble épargner aucun pays.
L’AFFAIRE GUELOR KANGA
Le coup d’envoi de la CAN Cameroun 2021 est déjà lancé avant l’heure par ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’affaire Guelor Kanga où certains pourront accuser les Congolais de «mauvais perdants». Après leur cuisante défaite (0-3) devant la bande à Pierre-Emerick Aubameyang, les Léopards de la RD Congo étaient rétrogradés à la 3ème place et éliminés de la CAN camerounaise. Sauf que le Gabon qui avait dans ses rangs, Guelor Kanga, risque de tout perdre. Et pour cause ! La fédération de la RDC a déposé une plainte à la CAF concernant l’actuel joueur de l’Étoile rouge de Belgrade (SuperLiga, Serbie) originaire de la RDC et qui aurait été naturalisé par le Gabon quand il était «adolescent». Sauf qu’il serait né à Kinshasa sous le nom de Kiaku-Kiaku Kanga. Pis, il aurait en réalité 35 ans, au lieu des 30 ans déclarés. Guelor Kanga, le Gabonais ou Kiaku-Kiaku Kanga, le Congolais mentirait sur son âge, son nom, son lieu de naissance. Il aurait même poussé l’outrecuidance avec la complicité des autorités gabonaises jusqu’à changer de parents. Diantre ! Pris en flagrant délit, le Gabon risquerait tout bonnement de suivre la CAN à la télévision. Même si le président de la Fédération gabonaise Pierre Alain Mounguengui garde sa sérénité en indiquant sur les colonnes de Gabon Media Time que «Guelor Kanga n’a jamais porté les couleurs de la RDC quelle que soit la catégorie des équipes nationales. Mieux, le Congo ne dispose d’aucun élément qui pourrait mettre en mal la nationalité du milieu de terrain gabonais qui compte une quarantaine de sélections avec les Panthères du Gabon».
LA GUINEE ET LA CAN TANZANIENNE U-17
Ce qui vient d’arriver au Gabon est peut être inédit. Toutefois, cette triche est loin d’être l’apanage de la Fédération gabonaise de football. Les souvenirs de la CAN des Cadets en Tanzanie sont encore vivaces dans nos mémoires. Eliminé sur le terrain suite à un score vierge face à la Guinée, le Sénégal sera pourtant autorisé à danser la «Samba» au Brésil à la place du Syli, coupable d’avoir triché sur l’âge réel de deux de ses joueurs : Aboubacar Conté et Ahmed Tidiane Keïta. Ces deux «cadets» du Syli national avaient changé leur date de naissance entre le tournoi “Dream Club” abrité par le Japon en 2017 et la CAN des U17 qui a pris fin le 28 avril de la même année à Dar-Es Salam (Tanzanie). La CAF qui a longtemps louvoyé sur le dossier, finira par reconnaître la fraude suite aux documents fournis par la Fédération nippone. Ainsi, le jury disciplinaire de la Confédération africaine de football (CAF) va déclarer la Guinée coupable de tricherie sur les joueurs susmentionnés.
BRILLER CHEZ LES CADETS ET DISPARAITRE
Ce fléau risque de tuer le football africain, particulièrement le football local. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la plupart des sélections nationales africaines sont peuplées de Binationaux. Surtout quand les équipes nationales sont dirigées par des techniciens étrangers qui doutent toujours de l’âge des joueurs nés sur le continent. La sortie de Jose Mourinho, alors coach du Chelsea sur Samuel Eto’o Fils en dit long sur l’état d’esprit de nos «Sorciers Blancs». A tort ou à raison ! Mais les faits sont têtus. Le continent brille chez les petites catégories. Surtout chez les Cadets et les Juniors. La Gambie n’a-t-elle été sacrée championne d’Afrique en 2005 et 2009. Les Baby Scorpions avaient rejoint les Blacks Starlettes, vainqueurs de la CAN en 1995 et 1999 et les Golden Eaglets du Nigeria en 2001 et 2007. Mieux, le Ghana et le Nigeria, qui dominent les débats africains chez les U-17, totalisent à eux deux, sept couronnes mondiales et cinq titres de vice-champions en 18 éditions de la coupe du monde des Cadets depuis la première édition en République populaire de Chine en 1985, jusqu’à la dernière au Brésil en 2019. Mais deviennent ces jeunes ? La première déperdition est à constater chez les Juniors. Seul le Ghana parviendra à monter sur la plus haute marche du podium dans la catégorie U-20. C’était lors de la 17ème édition organisée en Egypte avec la génération d’Andre Ayew, Samuel Eboue Inkoom, Johnathan Mensah, Emmanuel Agyemang Badu que l’on retrouvera tous chez les Blacks Stars (senior). L’attaquant Dominic Adiyiah, sacré ballon d’or et soulier d’or de l’édition, évolue présentement à Arsenal Kiev dans le championnat ukrainien, après être passé par la Serie A notamment au Milan AC et Reggina. Quant au Nigeria, on retiendra Kelechi Iheanacho, ballon d’or Addidas en 2013 lors du Mondial U-17 aux Emirats Arabes Unis. Pourtant la liste des jeunes africains ayant éclaboussé de leur talent des CAN U-17, U-20 voire des Coupes du monde de football des mêmes catégories est très loin d’être exhaustive. Paradoxalement, ils disparaissent comme par enchantement dans la nature, sans laisser aucune trace. Souvent à cause des agents, sans scrupules. Ou encore parce que tout simplement ils sont rattrapés par la TVA qui leur rappelle que leur âge réel ne rime pas avec les exigences du haut niveau. Ils finissent en Chine, en Malaisie, en Singapour, dans le golfe, etc. Pendant ce temps, leurs complices se contentent de toucher honteusement quelques subsides.
TOUT LE MONDE EST COUPABLE, MAIS PERSONNE N’EST RESPONSABLE
Et dire que le diagnostic est fait. Depuis très longtemps même. Le rapport révèle que c’est toute une chaine. De la naissance non déclarée à l’agent de l’état civil qui falsifie les extraits sans occulter les audiences foraines qui servent d’opportunités pour «renaitre». Le tout, avec l’accord des présidents des clubs, des parents et du joueur lui-même. La fin justifie les moyens! Pourtant, rien que le gabarit impressionnant de certains Cadets, des poils aux aisselles, à la barbe et à la poitrine devraient intriguer plus d’un. «Mes jeunes sont souvent opposés à leurs oncles», avait ironisé Saer Seck dans la même interview qu’il avait accordée à Sud Quotidien. Pourtant l’Afrique gagnerait à arrêter l’hémorragie pour mettre un terme à cette stigmatisation que subissent nos joueurs à chaque compétition internationale. D’autant plus que les tests IRM sont loin d’être une panacée. Surtout chez les juniors ! Le Sénégal n’avait-il apporté trois changements à son équipe qui l’a représenté à la Coupe des Nations U-17 en avril 2019 ? En effet, le milieu de terrain El Hadji Gueye et les attaquants Meleye Diagne et Ousmane Diallo – qui faisaient partie de cette équipe en Tanzanie – ont tous été écartés par l’entraîneur Malick Daf. Ils ont été remplacés par Mamadou Aliou Diallo, Mbaye Ndiaye et Ibrahima Sy. Ca s’appelle avoir le sens de l’anticipation pour ne pas être la risée du monde comme ce fut le cas avec notre sélection féminine de basket U-18. Il est temps qu’on arrête de jouer avec l’avenir de nos joueurs !