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Il Y’a 20 Ans, Disparaissait Un Titan Du Droit, Le Juge Laïty Kama (fatima Sow)

Il y a trois ans, l’idée de rendre hommage aux anciens pionniers de la magistrature du Sénégal me traversait l’esprit.

En effet, j’ai eu comme l’impression que certains hommes et femmes, qui ont joué un rôle important dans le rayonnement de la justice sénégalaise ne sont pas si connus que ça par notre jeunesse. Il m’a semblé alors utile de faire connaître à notre génération que nous avions des personnes éprises de valeurs qui ont servi la Justice de notre jeune République, dans la dignité, avec un sens aigu des Institutions et de l’État de droit.

Mon objectif est ainsi de leur rendre hommage, les donner en exemple et modèles de vertu aux générations actuelles et futures. Ces hommes et femmes sont, sans prétendre tous les citer Laïty Kama, Kéba Mbaye, Dior Fall Sow, Maïmouna Kane Touré, Abdoulaye Mathurin Diop, Andresia Vaz, OusmaneCamara, Abdoulaye Dièye, Amadou Louis Gueye, Ibrahima Boye, Assane Bassirou Diouf.

Comme me le disait M. Ousmane Camara, ancien président de la Cour suprême, « celui qui fait l’objet d’un hommage devient immortel, et cet hommage permet de montrer, aux générations futures, ce qu’il avait fait ».

Âgée de cinq ans en 2001 quand le Juge Kama quittait ce bas monde, j’ai décidé aujourd’hui, bien des années après la disparition de cet illustre magistrat, de prendre ma plume pour rendre hommage à ce titan du droit dont l’œuvre a traversé les frontières.

Qui était Laïty Kama?

Laïty Kama est né le 22 novembre 1939 à Dakar. Réputé élève brillant, il a fait ses études primaires à l’école de Médina à Dakar où il obtint son Certificat d’Etudes élémentaires. Son cursus secondaire, il l’a fait aux lycées Delafosse et Van Vollenhoven, actuel lycée Lamine Gueye, où il obtint son baccalauréat avec brio en 1962. 

Selon certains, la période coloniale vécue dans sa jeunesse et les indépendances ont déterminé son militantisme pour les droits de l’homme. 

Passionné des affaires judiciaires, il s’inscrivit dans un premier temps à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Dakar où il obtint sa licence en droit privé.

Plus que jamais déterminé à servir son pays, particulièrement la justice sénégalaise, il réussit à obtenir une bourse d’excellence pour aller continuer ses études à l’Université de Paris Panthéon. En 1968, il s’inscrivit au Centre National d’Etudes Judiciaires de Paris (actuelle Ecole Nationale de la Magistrature) où il obtint en avril 1969 son diplôme.

Magistrat, Laïty Kama le fut dans l’acception la plus forte et la plus élevée qui puisse être. La même année où il a obtenu son diplôme, il rentra au Sénégal où il est successivement nommé à Diourbel comme Substitut du procureur de la République de juillet 1969 à décembre 1969, puis juge d’instruction de décembre 1969 à mars 1973. De mars 1973 à mars 1974, il devient Substitut du procureur au tribunal de première instance hors classe de Dakar et de mars 1974 à mars 1977 il est nommé procureur de la République à Thiès.

De Diourbel à Thiès en passant par Dakar, Laïty Kama a exercé ses fonctions de procureur de la République de façon remarquable, car parler au nom du ministère public ne l’a jamais empêché d’être libre à l’audience.  Il savait bien exprimer la règle selon laquelle « la plume est serve mais la parole est libre ». Ses réquisitoires captaient l’attention avec sa haute voix et sa parfaite maîtrise du Code pénal et du Code de procédure pénale, doublée d’une vaste culture doctrinale et jurisprudentielle qui lui donnait des armes redoutables à l’audience.

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Exercer la fonction de procureur de la République le rendait fier en n’obéissant qu’à la loi et qu’à sa conscience, comme un juge du siège. Il a participé aux audiences des Cours d’assises de Dakar, Saint Louis et Ziguinchor pendant quinze ans, où il était la vedette du fait de son éloquence et de sa pertinence. Formateur d’une grande dimension, il le fut, car il a participé à la création de l’École nationale d’Administration du Sénégal avec sa Division judiciaire devenue Centre de Formation judiciaire où il a enseigné les techniques du parquet.

Entre 1976 et 1990, il n’y pas eu un seul magistrat qui soit passé dans cette école sans l’avoir eu comme formateur. Ses élèves magistrats avaient une grande admiration pour lui, il était non seulement leur formateur, mais aussi leur conseiller. Il leur avait transmis sa conviction selon laquelle les magistrats doivent être conscients de leur rôle dans le renforcement de la démocratie, et cela se traduit par les pouvoirs que la loi leur confère.

Ses conseils, l’Union des magistrats sénégalais de l’époque les sollicitait, car aucune décision n’était prise sans l’avoir consulté. Même si Kama n’était pas formellement membre de l’Union, pour ses collègues, ce dernier était l’âme de leur organisation. En 1992, il devint Avocat général à la Cour de cassation qui venait d’être créée à la faveur de la réforme de l’organisation judiciaire entreprise cette même année. Trois ans après, il va rejoindre le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), après une belle carrière dans la magistrature sénégalaise.

Laïty Kama : un juge international

En mai 1995 à la Haye, la session plénière des juges est ouverte. Elle est présidée par le juge italien Antonio Cassese par ailleurs Président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Après avoir lu les curricula vitæ des six juges, ce dernier proposa le Juge Kama pour être le Président du TPIR, tribunal ad hoc créé le 8 novembre 1994 par la Résolution 955 du Conseil du Sécurité des Nations Unies. Cette proposition fût acceptée à l’unanimité grâce à la large expérience judiciaire de ce dernier. Sa nomination à la tête du TPIR fût considérée comme un grand honneur pour le groupe de travail sur la détention arbitraire, créé par la Commission des droits de l’homme de l’ONU dont il était l’une des chevilles ouvrières.

Le Juge Kama est officiellement installé au TPIR basé à Arusha en Tanzanie et chargé de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire et des droits de l’homme commis sur le territoire du Rwanda et sur les territoires d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Il restera à ce poste jusqu’en 1999, la fin de son mandat avant de devenir président de la chambre de première instance II.

Sa haute moralité, son impartialité, son intégrité et ses talents de juriste ont toujours été décisifs dans ses nominations. Il avait une maîtrise parfaite de la langue anglaise et française. Il parlait un français particulièrement châtié au point que ses collègues français le considéraient plus francophile et francophone qu’eux.

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Durant son magistère, Kama s’assurait à ce que les droits de chaque partie à l’audience soient respectés et il se chargeait simplement de ne dire que le droit. Il aimait le triomphe du droit et de la justice. Kama a ainsi rendu des jugements célèbres, dans son activité, comme ceux relatifs aux affairesAkayesu et Kambanda en 1998. Des jugements historiques, car dans l’affaire Akayesu, pour la première fois dans l’histoire de la justice pénale internationale, un jugement de génocide est rendu et le viol est reconnu comme pouvant être constitutif du crime de génocide. Avec l’affaire Kambanda, pour la première fois, un chef de gouvernement est condamné pour génocide.

Membre du groupe de travail de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, expert en droit international pénal, il a, entre autres activités extrajudiciaires:

– présidé les travaux d’élaboration du nouveau Code de procédure pénale du Bénin ;

– animé des séminaires de droit international ;

– mené des enquêtes pour lutter contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

À chaque fois que feu Kofi Annan, ancien Secrétaire général de l’ONU, le rencontrait pour des séances de travail, il était impressionné par la vision du Juge Kama, son engagement au service du TPIR et son attachement au respect des droits de l’homme. 

Le 6 mai 2001, dans l’après-midi, le Juge Kama a tiré sa révérence dans un hôpital à Nairobi (Kenya) où il fut hospitalisé. Le monde judiciaire national comme international est frappé par la perte d’un juriste chevronné, dont l’esprit de juriste a traversé les frontières.  

Un travailleur infatigable, un titan du droit, un des pères fondateurs de la justice pénale internationale, il a largement contribué au développement du droit et de la jurisprudence de la responsabilité pénale individuelle internationale. La nouvelle de sa disparition rendue publique, la tristesse se lisait sur les visages des personnes qui ont côtoyé Kama, notamment au TPIR. Kama était aimé de tout le monde, il avait gagné le respect et la considération de chacun de ses collaborateurs. Il aura fait progresser le droit à travers de nombreuses causes défendues et avait gagné le respect de ses pairs par son intégrité, son professionnalisme et une généreuse disponibilité jusqu’à ses derniers jours. Il a toujours lutté contre l’impunité, même sur son lit d’hôpital, il demandait à ses collègues venus à son chevet comment se déroulaient les audiences. Ses collègues avaient l’espoir qu’il allait se relever, mais Dieu en a décidé autrement.

À sa mort, le drapeau de l’ONU fut mis en berne pour magnifier l’homme, son œuvre, montrer que ce n’est pas seulement la justice sénégalaise qui a perdu, mais également la justice internationale et les Nations Unies venaient de perdre un homme exceptionnel. En guise de reconnaissance, l’une des trois salles du TPIR porta son nom et un CD-ROM consacré à son travail est présenté au public.

Des hommages il y’a en a eu, j’en citerai quatre : celui des Nations Unies, de Claude Jorda, du président Abdoulaye Wade et de Louis Joinet. En effet, Kofi Annan avait affirmé que la mort du Juge Kama était une grande perte pour les Nations Unies, et le Secrétaire général, exprimant sa profonde tristesse, a souhaité à sa famille toute la force nécessaire pour faire face à sa disparition.

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Exprimant le deuil profond des juges et des membres du Greffe du TPIY, le président Claude Jorda, ancien procureur général près la Cour d’appel de Paris, a souligné : 

L’autorité inspiratrice du Juge Laïty Kama : la disparition de ce grand juriste africain nous prive à jamais d’une vision et d’un attachement exemplaires à la cause des droits de l’homme. Sa clairvoyance et sa droiture ont été déterminantes tout au long des années fondatrices du Tribunal pénal international pour le Rwanda, et la fin de son mandat de Président n’avait en rien diminué son influence. Puisse le souvenir éclairant de ce père fondateur de la justice internationale perpétuer sa présence, et guider l’action déterminée et réfléchie, à l’image du Juge Laïty Kama, des Tribunaux d’Arusha et de La Haye.

Lors du forum du TPIR, le président Abdoulaye Wade avait affirmé que : 

le juge Kama était un grand magistrat. Il était courageux, assumait ses opinions, même pendant les moments les plus difficiles de notre démocratie. Nous souhaitons que l’exemple Laïty Kama soit médité par la jeunesse de notre pays.

Exprimant également sa tristesse, le haut magistrat français Louis Joinet, par ailleurs fondateur du Syndicat de la magistrature Française a fait un témoignage sur son ami : 

En 1991, le groupe de travail sur la détention arbitraire, qui venait d’être créé par la Commission des droits de l’homme, allait se réunir pour la première fois à Genève, au Palais des Nations. Je pénétrais dans la Salle IX qui, pendant de longues années, hébergea nos passionnantes et parfois passionnées délibérations. A peine entré, je suis interpellé d’une tape amicale sur l’épaule doublée d’un cordial “Bonjour collègue !” par Laïty Kama, qui tout comme moi –mais je l’ignorais – était magistrat à la Cour de cassation de son pays. Dès cet instant est née entre nous une complicité faite d’amitié et de professionnalisme qui ne s’est jamais démentie par la suite.

La presse internationale a également évoqué le décès de ce grand juriste comme le célèbre journal américain, The New York Times, retraçant le parcours du Juge Kama, du Sénégal au Rwanda.

Pour l’ensemble de son œuvre, le Juge Kama mérite d’être offert en référence aux jeunes et futures générations.

Un bel hommage pourrait lui être rendu comme le sont d’autres illustres personnages de notre pays dont des édifices publics ou des rues, avenues ou places publiques portent les noms. En effet, un lycée, une université ou une salle d’audience pourraient porter, de manière bien méritée, le nom du Juge Kama à l’instar du CEM de la zone B qui porte le nom de l’ancien procureur général près la Cour suprême, Abdoulaye Mathurin Diop, que Feu Iba Der Thiam, ministre de l’Education nationale à l’époque, avait choisi afin de servir de référence aux jeunes esprits en formation.

Ce serait un hommage mérité, rendu à un digne fils du pays qui a hissé très haut le drapeau national sur la scène internationale en rendant justice aux victimes du génocide rwandais qui a ébranlé l’Humanité avec près d’un million de morts.

Fatima SOW

Étudiante en droit à ISM Dakar

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