Plusieurs politiques de création massive d’emplois ont été menées au Sénégal depuis l’indépendance et des efforts importants ont été déployés dans ce sens. A cet effet, des financements importants ont été mobilisés, et des structures d’accompagnement sont créées, mais des difficultés sont notables avec des résultats qui sont loin des attentes des décideurs et des populations.
Et pourtant, il est possible de créer 100 000 emplois, en 3 mois avec près de 100 milliards de FCfa dans le secteur primaire. Le Président de la République peut rassembler les différentes structures qui interviennent dans l’emploi, le secteur privé et dégager une feuille de route à court et moyen terme qui permet de créer des milliers d’emplois en 100 jours. On aura un cofinancement national public et privé, des créations rapides et importantes d’emplois et de richesses, une voie sénégalaise de développement.
Dans les pays sous-développés, l’Etat est la locomotive du développement et le privé les wagons. Cette logique peut changer lorsque le pays accède à l’émergence ou se développe. Le rôle de l’Etat est fondamental à ce niveau. Ainsi, l’Etat doit manager la création d’emplois avec l’aide du secteur privé, et il est important de préciser que l’Etat doit diriger tout le processus. Aujourd’hui, les tenants de l’ultralibéralisme ne doivent pas oublier que leurs pays se sont développés en s’appuyant sur le leadership étatique. Par exemple, prenons deux familles. Le père de famille représente l’Etat et les enfants sont le secteur privé.
Dans une famille avec des enfants de moins de 15 ans qui vont à l’école, le père de famille doit piloter toutes les actions dans la maison et accompagner les activités des enfants. Dans la famille avec des enfants qui sont âgés de plus de 30 ans et qui travaillent, le père de famille peut cogérer la maison, et, même dans certains cas, il peut déléguer l’essentiel des activités aux fils et filles. Après la crise économique des années 30, c’est l’Etat américain qui a piloté la relance et les créations d’emplois à travers le «New deal».
En Europe, à la fin de la seconde guerre mondiale, les structures publiques ont managé la reconstruction qui a permis aux Européens d’entrer dans les «trente glorieuses». En Chine, la stratégie «un pays, deux systèmes», initiée par Deng Xiaoping, a permis à la Chine d’être parmi les pays les plus puissants du monde en s’appuyant sur des structures publiques. En analyse stratégique, pour éviter de perdre des ressources supplémentaires et du temps, il est important d’interroger les causes qui sont multiples. Et, divers paramètres doivent attirer notre attention. D’abord, le Sénégalais est capable d’apprendre vite et de s’adapter.
Prenons l’exemple, des groupes de rap à la fin de la décennie 1990, puis des télécentres, ensuite des cybercafés, des importations de conteneurs de produits d’occasion, des services de transfert d’argent, etc. Ensuite, il est capable d’engagement et d’enthousiasme dans un secteur où il observe des cas de réussite. Nous pouvons citer le football en 2002, puis la lutte dans la première décennie des années 2000, aujourd’hui les séries télévisées… Par ailleurs, il considère la prison comme un déshonneur, une humiliation qui touche la famille, le quartier, le village…
Ainsi, si le risque d’aller en prison est élevé, il ne s’engage pas. Certains préfèrent la mort à la place de la prison. Certaines personnes pensent que mourir en traversant la mer n’est pas un déshonneur pour soi et sa famille. Ce qui peut expliquer l’ampleur du phénomène «barça ou barsakh». En outre, il ne prend pas de risque important dans les affaires, car en face d’incertitudes et des risques élevés à endosser par l’investisseur, il ne s’engage pas. C’est pourquoi, beaucoup de nos compatriotes préfèrent mettre 25.000.000 FCfa dans une maison et percevoir des mensualités de location que d’investir dans une création d’entreprise.
En effet, une partie de la société ne saurait être tolérant vis-à-vis de cet investisseur qui ferait faillite, mais accepterait mieux l’individu qui a une maison et qui se débrouille au quotidien pour chercher sa dépense. Par exemple, si une personne possède un paquet d’argent dans la cour de votre maison. Un individu entre dans la maison, et on lui propose différentes activités à faire pour gagner cet argent. Exemple, remplir un grand fût sans verser l’eau par terre, nettoyer un poulailler rempli de poussins sans qu’aucun d’eux ne meure ; désherber un potager avec de nouvelles plantes et aucune ne doit être perdue. S’il ne remplit pas les conditions, non seulement il ne va pas gagner l’argent, mais il irait en prison.
Le risque étant élevé, la menace importante, le jeune ne s’engage pas. Des facteurs bloquants freinent la création d’emplois dans notre pays, et on peut en citer quelques-uns :
– Des banques et les structures de micro finance ne sont pas encore adoptées par une part importante de la population, et qui suscitent plus de la crainte et de la suspicion. Leurs messages ne sont pas bien perçus par les potentiels bénéficiaires des financements.
– Des structures de financement qui, si elles ne sont inconnues du grand public, ou ne parviennent pas à convaincre certains, ont de réels problèmes pour recouvrer des échéances de remboursement des prêts. En brandissant la possibilité d’aller en prison en cas de non-remboursement, elles suscitent la méfiance des potentiels bénéficiaires.
– Une absence de structures d’aide à la créativité, d’où un manque de diversité dans les investissements. Il est souvent observé une concentration dans certains secteurs, ce qui occasionne le phénomène de saturation et de mévente.
– Des cas de réussite peu nombreux et mal médiatisés dans des secteurs porteurs : comment peut-on se presser dans un secteur dans lequel les acteurs sont en proie à des difficultés énormes. Dans le village, le jeune qui voit son père avoir des difficultés pour construire une seule chambre en dur après 30 d’activité, puis son oncle de 25 ans avoir des problèmes pour réparer sa charrette, ne sera pas motivé pour prendre un financement et se lancer dans le secteur agricole.
– Une absence d’assurance et de visibilité quant à la vente et la transformation des productions. Les débouchés ne sont pas bien identifiés.
Toutes ces causes indiquent qu’il faut changer de stratégies, ne pas plaquer systématiquement les stratégies, les modèles des autres.
Il faut innover, il faut de la créativité en créant notre propre modèle, qui s’appuie sur nos réalités. Beaucoup de dirigeants de structures ont été formés dans un système différent, une société différente, donc il faut «tropicaliser» les connaissances et les politiques.
Ababacar LO
Enseignant, Titulaire d’une attestation en gestion de projet avec des spécialisations en analyse stratégique et management de la créativité et brainstorming.
Email : ababacar58@gmail.com