La pénurie de poulets, d’une rare ampleur et vécue au Sénégal à la veille de la Korité, a occasionné une hausse exagérée des prix qui a surpris et choqué une population déjà durement éprouvée par la crise. Nul doute que les mutations observées dans la filière sous l’action d’intervenants de taille n’y sont pas étrangères.
La Sedima, pour ne pas la nommer, est en train de transformer la filière volaille en jungle sans foi ni loi où tous les coups sont permis. Elle va bientôt phagocyter et avaler toutes ces micros entreprises avicoles difficilement montées par des milliers de femmes et de jeunes chômeurs, sans ressources, parfois bardés de diplômes, qui s’essaient à l’auto entreprenariat faute d’emplois dans le secteur moderne. Beaucoup d’entre eux, qui rêvaient de lendemains meilleurs en s’insérant dans un sous-secteur agroalimentaire potentiellement porteur d’emplois et de revenus et qui nourrissaient l’espoir de sortir de la précarité et de la pauvreté, sont aujourd’hui plongés dans le découragement et la désillusion.
Certes le régime de la libre concurrence prôné par le capitalisme depuis le 18ème siècle garantit aux acteurs économiques la liberté de produire et de vendre ce qu’ils souhaitent, mais exige l’égalité et la loyauté dans la compétition qui les oppose, ce qui est loin d’être le cas malheureusement dans ce sous-secteur, pour au moins deux raisons :
1)- La concurrence installée entre entreprises de niveau de développement inégal favorise le puissant au détriment du faible. La Sedima, qui approvisionne en produits de base les très petites entreprises, occupe une position dominante sur elles et en abuse. Bénéficiant de charges d’exploitation plus faibles et s’octroyant après tri les meilleurs sujets, elle fait main basse sur toute la chaîne de valeurs, en adoptant une logique d’intervention sur tous les maillons : en amont de la filière comme fournisseuse de poussins et aliments, au centre comme productrice de volailles, et en aval comme distributrice ;
2)- Certaines de ses pratiques commerciales abusives, anticoncurrentielles et déloyales appliquées portent préjudice, asphyxient et tuent les petites unités : rétention de poussins de chair sous prétexte de pénurie ou livraison d’individus de mauvaise qualité en exploitant les meilleurs, vente de poussins pondeuses pour ensuite produire et inonder le marché d’œufs, créant une mévente, dumping (vente à perte), ventes sauvages de proximité, en ligne et au détail, dans les rues des quartiers où vivent, produisent et vendent les pauvres petits aviculteurs urbains et semi-urbains. En leur vendant poussins et aliments et en empochant ses bénéfices, on attendait d’elle qu’elle les considère comme des partenaires à soutenir et à appuyer en formation, à accompagner et à encadrer, consciente que leur croissance aura un effet d’entraînement positif sur son chiffre d’affaires et son développement. Mais à la place, l’ogre vorace va choisir de les dévorer en jetant ses tentacules jusqu’à leurs lieux d’habitation et de production pour s’accaparer de leur micromarché de poulets de chair et d’œufs.
De tels procédés inélégants, dégradants, indécents, cyniques, dégoutants et écœurants, qui violent les règles et dispositions juridiques de concurrence applicables aux entreprises, interpellent l’Etat en tant qu’arbitre, garant du respect des règles du jeu du marché. Il doit impérativement intervenir pour réguler le marché de la volaille, ne serait-ce que pour la raison purement sociale de protéger les plus faibles et de préserver leurs très petites entreprises, leurs emplois et leurs revenus.
Dans le cas contraire, on ira inéluctablement vers une situation de monopole, de duopole voire d’oligopole, où les consommateurs seront à la merci d’une, de deux, ou d’un petit nombre de grandes entreprises qui leur imposeront leurs prix. Même dans les pays d’obédience libérale, ces actes sont condamnés par le droit à la concurrence et passibles de sanctions : en 1890 déjà, la loi Sherman ou loi antitrust, votée par les Usa, chef de file de la doctrine, considérait que «toute personne qui monopolise ou tente de monopoliser une partie quelconque du commerce est coupable d’un délit».
Ce droit à la concurrence occupe aussi une place de choix dans les dispositions juridiques de l’Uemoa, notre cadre d’intégration économique sous-régionale. «La liberté sans la loyauté n’est que chaos.» La recherche effrénée de profits n’exclut pas des acteurs le respect d’un gentleman-agreement, d’un code de conduite où l’honneur, la dignité et l’esprit chevaleresque transparaissent.