Un Conseil présidentiel sur l’emploi s’est tenu le jeudi 22 avril 2021. Macky Sall a déjà annoncé, lors de son message à la Nation du 03 avril 2021, qu’il ressortirait de ce Conseil présidentiel un Programme d’urgence pour l’emploi et l’insertion socio- économique des jeunes. Macky Sall a affirmé que cette nouvelle cuvée programmatique sera basée sur une stratégie « de territorialisation des politiques et de mutualisation des instruments de promotion de l’emploi, de l’entreprenariat et d’insertion des jeunes ». C’est dans cette dynamique que s’inscrit l’annonce de la création de guichets uniques, dénommés « Pôle-Emploi et Entreprenariat pour les Jeunes et les Femmes », dans chacun des 45 départements du pays.
GUICHET UNIQUE POUR L’EMPLOI : Une recette importée qui pourrait s’avérer insuffisante
La promotion de l’emploi, de l’entreprenariat et d’insertion des jeunes notamment à travers la mise en place de guichets uniques favorise une plus grande proximité et permet une plus grande réactivité pour apporter les corrections nécessaires aux programmes mis en œuvre. Elle aide à une meilleure circulation des informations et facilite la mise en commun d’expertises et de ressources diverses pour atteindre les populations cibles. Par conséquent, sur le principe, la décision de procéder à la création de guichets uniques dans chacun des 45 départements du pays va dans le bon sens.
Toutefois, cette recette importée, telle que déclinée par Macky Sall, soulève beaucoup de questionnements, voire installe le scepticisme. En effet, Macky Sall affirme que « la DER/FJ, l’ANPEJ, l’ADPME et le FONGIP entre autres, seront représentés dans chaque guichet unique afin d’apporter aux projets l’expertise, le financement et le suivi nécessaires ». Donc, il est clair, que la formule retenue prendra la forme d’une déconcentration : les structures chargées des questions d’emploi rendront disponibles leurs services au plan local, mais leurs programmes et politiques continueront à être définis au niveau central.
Autrement dit, les guichets uniques à mettre en place vont surtout appliquer des politiques et programmes élaborés et pilotés depuis le niveau central (logique descendante). De ce fait, ils ne pourront pas tenir compte, suffisamment, des spécificités, des contraintes et des opportunités des départements dans lesquels ils seront implantés. Cela aboutira, de façon inéluctable, aux mêmes résultats qui ont été à la base du mécontentement populaire essuyé par le régime il y a quelques semaines. Si la volonté de Macky Sall était de s’appuyer « sur les réalités des terroirs, dans un format inclusif associant la jeunesse ouvrière, artisanale, paysanne, entrepreneuriale, sportive, artistique, du secteur informel, des cultures urbaines et des loisirs » comme il l’affirme, il aurait été plus cohérent d’ajouter à l’approche déconcentrée choisie celle décentralisée. Ce qui reviendrait à combiner ces deux approches (déconcentration et décentralisation).
En effet, la décentralisation permettrait de parvenir à de meilleurs résultats en ce sens qu’elle permet une meilleure prise en considération des diversités et spécificités de chacun des 45 départements. Ainsi, les guichets uniques faciliteraient la création d’emplois, le financement de projets et le développement des compétences qui s’inscrivent dans une dynamique de valorisation des potentialités et des opportunités propres à chaque département (logique ascendante). Dans cette perspective, la territorialisation des politiques d’emploi voulue et décidée par Macky Sall passerait notamment par la décision de transférer et/ou renforcer les compétences des collectivités locales en matière d’emploi, de formation professionnelle et de financement des projets en articulant sa vision à la loi n° 201-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des collectivités locales plus connue sous le nom d’Acte 3 de la décentralisation.
GUICHET UNIQUE POUR L’EMPLOI : Pari impossible de la collaboration
L’État intervient pour promouvoir l’emploi des jeunes à travers plusieurs structures au nombre desquelles figurent notamment la Convention Nationale État-Employeurs (administrée par la Direction de l’Emploi), l’Office National de Formation Professionnelle (ONFP), l’Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes (ANPEJ) née de la fusion de plusieurs agences d’emploi (FNPJ, ANEJ, ANAMA et AJEB), l’Agence Nationale d’Insertion et de Développement Agricole (ANIDA), le Programme des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), le Fonds de Financement de la Formation Professionnelle et Technique (3FPT), la Délégation générale à l’Entrepreneuriat Rapide des Femmes et des Jeunes (DER/FJ), le Programme Sénégalais pour l’Entrepreneuriat des Jeunes (PSE-J) et l’Agence de développement et d’encadrement des Petites et moyennes entreprises (ADEPME). Selon Macky Sall, toutes ces structures seront représentées dans les guichets uniques à créer dans chacun des 45 départements et qui seront chargés « d’apporter aux projets l’expertise, le financement et le suivi nécessaires ».
Le regroupement de toutes ces structures sous un même toit ne suffit pas pour rendre efficaces les politiques de promotion de l’emploi, de l’entreprenariat et d’insertion des jeunes. En effet, il faut au préalable qu’elles soient capables de fonctionner de façon décloisonnée, c’est-à-dire soient capables de travailler ensemble. Ce qui est loin d’être le cas dans la réalité. Toutes ces structures sont habituées à fonctionner en silos : chacune d’elles développe ses propres programmes, dispose son propre système d’information, refuse de mutualiser ses ressources (informationnelles, d’action, etc.) et maintient une certaine opacité sur ses véritables résultats.
Dans sa livraison no 8367 en date du 7 avril 2021 et à la page 4, Sud Quotidien rapporte les propos du Directeur général de l’ANPEJ qui confirment l’absence de collaboration entre les différentes structures s’occupant des questions de l’emploi des jeunes en disant que « le vrai problème du dispositif qui est mis en place c’est qu’il y a beaucoup de cloisonnement ». Ce qui selon lui, rend difficile toute harmonisation. C’est une voix autorisée qui met à nu la gestion parcellaire d’une question qui ne pourrait être prise en charge efficacement que par une approche holistique et collaborative. Cela est déplorable étant donné que cette kyrielle de structures vise les mêmes cibles et, ultimement, concourt à la réalisation d’une même finalité : l’insertion professionnelle. C’est la raison pour laquelle il aurait fallu commencer par une rationalisation institutionnelle en fusionnant, par exemple, les structures qui sont des doublons. Cela aurait permis d’assurer, en amont, un décloisonnement et de favoriser, en aval, une circulation des informations ainsi qu’un partage des données, gages d’une efficacité dans les interventions de proximité. Il est facile de deviner que Macky Sall n’a pas choisi cette option rationnelle et évidente pour des raisons purement politiciennes : la suppression et/ou la fusion de structures lui ferait perdre plusieurs possibilités de recasements politiques à travers la nomination de Présidents de Conseils de surveillance et de Directeurs généraux. Sa « vision d’un Sénégal pour tous, par le développement inclusif et solidaire, l’équité territoriale et la justice sociale » tardera à se matérialiser tant qu’il continuera à privilégier la politique politicienne dans la gestion d’un problème aussi important et sérieux que celui de la prise en charge, réelle et efficace, des besoins des jeunes dans les domaines de la formation, de l’insertion professionnelle, des financements de projets et du soutien à l’entreprenariat.
Une des explications de l’échec retentissant qu’il a subi en matière d’emploi, en neuf années de règne, découle de sa décision, inconséquente et injustifiée, de confier la gestion de plusieurs centaines de milliards de francs CFA à des mains inexpertes, à des personnes qui n’ont eu aucune expérience professionnelle significative ni une compréhension holistique des questions d’emploi et dont le seul mérite est de lui être fidèles en politique. C’est par ce changement de paradigme qu’il faudrait commencer (nommer les femmes et les hommes qu’il faut à la place qu’il faut) pour espérer voir les choses changer dans le bon sens.