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Fin De L’Âge D’or De L’arcahide

Fin De L’Âge D’or De L’arcahide

Jadis principale pourvoyeuse de devises de notre pays, première source de revenus de nos agriculteurs et base d’un secteur industriel fort, l’arachide en est aujourd’hui réduite à servir d’appoint à la production de la Chine… 

L’arachide est la principale production agricole de notre pays, et aussi la première source de revenus de ses producteurs. Au plan spatial, sa culture couvre la zone ouest et le centre du pays, ce qui correspond aux régions de Louga, Thiès, Diourbel, Fatick et Kaolack, soit 1/3 de la superficie du Sénégal, et près de 4 millions de personnes en 2020, soit environ 482 000 exploitations familiales. Cette culture et la transformation industrielle de ses graines ont connu de nombreux revers par le passé, du fait de la persistance de la sécheresse durant près de 15 ans, de la présence d’aflatoxine dans les graines et les tourteaux, de la brutale libéralisation imposée par les programmes d’ajustement structurel d’un secteur autrefois très intégré et encadré par l’Etat. Mais, la principale cause du déclin de la transformation industrielle est imputable à l’apparition sur le marché mondial d’huiles végétales de substitution à moindre coût, depuis le milieu des années 1970. La progression fulgurante de ces huiles a réduit le marché de l’huile d’arachide à un « marché de niche » par rapport au marché très large des huiles végétales. Quatre grandes huiles se partagent 86 % de la production mondiale présentement : huile de palme (34 %, soit 10 fois la part de l’huile d’arachide) ; huile de soja (27 %) ; Huile de colza (16 %) et huile de tournesol (9 %). La production de l’huile de palme est concentrée à 90 % en Indonésie (leader mondial) et en Malaisie. Ces deux pays ont connu un succès spectaculaire dans la production de cette huile à compter des années 80. De 1972 à 2014, la production d’huile de palme a été multipliée par 115 en Indonésie et par 25 en Malaisie.

Ensemble, ces quatre grandes huiles végétales accaparent quasiment le marché mondial, laissant la portion congrue aux autres huiles. Les plus grands producteurs de ces huiles sont donc la Chine pour l’huile de colza, l’Indonésie et la Malaisie pour l’huile de palme, les USA pour le soja, et l’Ukraine pour le tournesol. Concernant l’arachide, près de 53 millions de tonnes de graines sont produites mondialement par an. La Chine est le plus grand producteur avec près de 18 millions de tonnes annuelles en 20210, suivie de l’Inde qui affiche près de 8 millions de tonnes, du Nigéria et des Etats Unis d’Amérique. A eux deux, la Chine et l’Inde produisent plus de 50 % du total mondial. Au Sénégal, la campagne de commercialisation de l’arachide 2020/2021 vient d’être bouclée. Les autorités annoncent le chiffre « record » de 1 800 000 tonnes de production de graines, contre 1 400 000 tonnes pour la campagne 2019/2020, soit un accroissement de près de 30 % d’une année à l’autre. La particularité de la récolte 2020/2021 est qu’elle apparaît comme étant suffisante pour satisfaire la demande intérieure, soit 700 000 tonnes de graines pour l’huilerie locale (pour une production d’huile brute de 250 000 tonnes, même si la capacité réelle de production semble se situer en deçà), entre 450 000 et 600 000 tonnes de graines pour l’exportation vers la Chine via les commerçants chinois, et enfin près de 100 000 tonnes réservées aux semences.

La Chine est devenue l’acteur commercial principal du marché depuis qu’en 2014 des conditions favorables d’accès ont été offertes à ses collecteurs par le gouvernement du Sénégal. En revanche, la part de la production réservée aux huiliers locaux s’est ainsi rétrécie d’année en année depuis cette date. Pour mémoire, la SONACOS n’a pu collecter que 28 000 tonnes en 2019/2020, alors qu’elle en attendait 50 000. Tout semble donc indiquer qu’il y aura en 2021 un excédent net de graines de l’ordre de 400 000 tonnes dont il faudra déterminer au plus tôt l’utilisation. L’huile d’arachide produite par les usines du Sénégal est quasi absente sur le marché international des huiles végétales depuis l’apparition des huiles de palme, de soja, de tournesol, de colza et d’olives plus compétitives et offrant des qualités similaires aux yeux des consommateurs. Le marché mondial de l’huile d’arachide est étroit, du fait que ce produit est généralement consommé en totalité dans les pays qui le fabriquent (Chine, Inde, Birmanie etc.).

Quand l’ami chinois vient faire son marché au Sénégal !

Le Sénégal est une exception en ce qu’il consomme les huiles de substitution importées et exporte les graines d’arachide en Chine faute de collecte suffisante des huiliers pour la trituration et le raffinement, et de prix rémunérateurs. Les relations commerciales avec la Chine concernant l’arachide ont commencé à prendre du volume le 13 janvier 2010, lorsque le gouvernement a pris un décret autorisant les exportations d’arachides hors du Sénégal sans agrément.

L’objectif visé était d’écouler le surplus de la récolte record de la saison 2009. Seulement voilà : dès 2011, la mesure a eu l’effet d’attirer de nombreux importateurs de Chine. Les exportations d’arachide sont ainsi passées de 77 589 tonnes en 2014, à près de 400 000 T en 2019/2020. La Chine importe des graines d’arachide du Sénégal pour leur transformation en huile par ses usines chinoises et pour les stricts besoins des populations chinoises. Depuis 2014, les commerçants chinois font les prix du marché. Pour la campagne 2020/2021, le prix d’achat des graines s’affiche entre 350 et 400 FCFA le kilo (contre 250 FCFA la campagne précédente), soit une surenchère par rapport au prix officiel, faisant l’affaire des producteurs. La contrepartie attendue en termes de revenus monétaires de cette exportation de graines vers la Chine est de 600 milliards de FCFA selon le ministre chargé de l’Agriculture.

La production locale d’huile d’arachide a été assurée par diverses institutions dans le temps. En septembre 1975, Lesieur Afrique Dakar est nationalisée pour devenir la SONACOS (Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal). La SONACOS, créée par agrégation de plusieurs usines existantes, était initialement conçue pour traiter 900 000 T de graines, soit la quasi-totalité de la production de graines du pays. Après des difficultés liées à la sécheresse, et à la concurrence d’autres huiles végétales, elle est privatisée au profit d’un consortium mené par le groupe Advens. Au bout de 10 années de revers techniques et financiers, la SUNEOR avait fini par afficher des performances largement en deçà des résultats attendus lors de sa privatisation. Les pertes d’exploitations cumulées s’élevaient à près de 66 milliards de francs CFA, avec des fonds propres négatifs de 31 milliards de francs CFA à la fin de l’exercice 2016.

En 10 ans, les effectifs de la Suneor sont passés de 7 000 travailleurs à moins de 1 000 en 2016

L’endettement bancaire (50 milliards de FCFA) était devenu un obstacle à la mobilisation de ressources financières pour démarrer le cycle d’exploitation (achat de graines), de sorte que la SUNEOR, en rupture de trésorerie, ne fonctionnait plus que par des avances du Trésor public. La collecte des graines était tombée à 7.146 tonnes pour la campagne 2015/2016. C’est cette situation qui a contraint l’Etat à reprendre la SUNEOR des mains du secteur privé, et à créer une nouvelle société, à savoir la Sonacos Sa en juillet 2016. Pour permettre aux huiliers de s’approvisionner, l’Etat a décidé d’autoriser la SONACOS à acheter ses graines « bords champs » mettant fin au système contraignant dénommé « carreau/usine » dans lequel il attendait d’être approvisionné par les Opérateurs Privés Stockeurs ; de surcroît, l’Etat a mis une taxe sur l’exportation de graines décortiquées de 30 FCFA en vue de favoriser la transformation locale.

Avec la SONACOS, l’industrie locale de transformation de l’arachide en huile est absente du marché international depuis l’apparition des huiles végétales de substitution sus évoquées. Faute de compétitivité globale, elle est réduite à écouler sur un marché local où elle est en compétition avec ces huiles de substitution moins chères, plus attractives pour le consommateur sénégalais indifférent à son caractère « luxueux » et plus sensible au prix. Elle a des difficultés à s’approvisionner en graines auprès des producteurs locaux, ne pouvant soutenir la concurrence des commerçants chinois offrant de meilleurs prix à l’achat. La SONACOS est aujourd’hui confrontée à 3 contraintes majeures : La vétusté de son outil industriel, la concurrence des huiles importées sur son marché intérieur, et sa faible compétitivité à l’export. La quantité totale de graines prévue dans ses estimations de collecte est 250 000 T de graines, alors que sa capacité actuelle est de 7 500 tonnes d’huile par mois, soit 90 000 T/an. Aujourd’hui, les infrastructures et le matériel productif de la SONACOS sont gagnés par l’obsolescence, donc sont générateurs de surcoûts en effectifs et en énergie. Les taux de rendements sont faibles, et la productivité basse. Tous ces facteurs contribuent à réduire la compétitivité de l’huile d’arachide tant sur le marché intérieur qu’à l’export.

Quel avenir pour les producteurs d’arachides ?

Malgré sa marginalisation et son déclin sur le marché des oléagineux, l’arachide reste d’une grande importance économique et stratégique pour le Sénégal. Cette importance tient au fait qu’elle est une culture à la fois vivrière, commerciale, industrielle, fourragère et fertilisante. Elle reste aujourd’hui, tant du point de vue volume que valeur, la production agricole (végétale ou animale) la plus importante au Sénégal. Elle constitue la principale source de revenu des ménages ruraux ou exploitations familiales agricoles, particulièrement dans le Bassin arachidier.

La force de l’arachide, c’est sa liquidité. Même lorsqu’elle est payée en bons elle garde son attractivité. C’est une culture pluviale et le cycle de l’eau de pluie lui convient. Elle ne demande pas de techniques hydrauliques particulières pour sa culture, et son stockage en coque permet une longue conservation. Elle a une valeur marchande assurée. Elle est « multi usages » (paille arachide et aliments de bétail). Les techniques de financement de la commercialisation sont maîtrisées et le soutien de l’Etat acquis du fait de l’impact social de cette culture. Ces caractéristiques font de l’arachide une culture multidimensionnelle ancrée dans les systèmes de production agricoles et sociaux. Le circuit de l’arachide est relativement organisé quoique parasité par des intermédiaires investis de la gestion de l’approvisionnement en graine des unités de traitement de l’huile, des semences, des intrants, de l’engrais et du matériel agricole au détriment des producteurs. Ces intermédiaires sont les Opérateurs Privés stockeurs (OPS) qui entretiennent souvent un lien de dépendance financière avec le producteur (prêteurs de deniers en temps de soudure). Du moins, ce dernier est-il souvent « tenu » financièrement par les OPS.

La formidable opportunité du marché chinois est-elle appelée à durer ?

Concernant la demande chinoise de notre d’arachide, la question est de savoir quelle sera son évolution dans le temps. Les conditions climatiques en Chine joueront certes un rôle important, mais il faut espérer que cette demande suive la courbe du croît démographique du pays, et que les huiliers chinois aient une préférence pour la graine du Sénégal. Il faudra également prendre en considération le fait que les conditions climatiques sont susceptibles de revenir à la normale en Chine et prendre les devants pour éviter les surstockages et invendus du passé. Dans tous les cas, les prix de vente au kilo proposés par les commerçants chinois font le bonheur de producteurs qui retrouvent des positions de négociation favorables, et des conditions de rémunération plus équitables par rapport aux situations antérieures, caractérisées par le monopole de l’acheteur (SONACOS), des prix administrés, et des bons impayés sources de précarité.

Selon le département d’Etat américain de l’Agriculture, l’Afrique en général, le Sénégal en particulier, « joue une carte maîtresse car ses « cacahuètes » entrent en Chine sans droits de douane qui s’élèvent pour toutes les autres provenances à 15 % de taxe d’importation et 10% de TVA. Les arachides nord-américaines doivent, en outre, s’acquitter d’une taxe supplémentaire de 25 % ». Selon les autorités en charge de l’agriculture, les exportations de graines en 2020/2021 représenteraient un chiffre d’affaires de près de 210 milliards de FCFA tous opérateurs et origines confondus. Cependant, pour rester dans les bonnes proportions, il faut convenir tout de même que l’arachide sénégalaise est juste un appoint pour l’industrie de transformation chinoise. La Chine attendait une production de 18 millions de tonnes en 2020/21). Par conséquent, ses achats de graines au Sénégal (450 000 T) ne représentent que 2,5 % de sa production totale.

Quel avenir pour les huiliers ?

Dans un contexte marqué par l’étroitesse du marché mondial de l’huile d’arachide et la tendance à la baisse des exportations de cette huile fortement concurrencée par les huiles de soja et surtout de palme, l’avenir à long terme de l’huile d’arachide du Sénégal apparaît comme étant compromis, malgré la diversification stratégique prônée par la direction actuelle de la SONACOS.

Dans un marché mondial outrageusement dominé par les huiles végétales alternatives, le Sénégal reste cantonné à la transformation d’huile d’arachide alors que les pays de la sous-région (Cote d’Ivoire, Ghana, Nigéria) s’évertuent à promouvoir la production des huiles « leaders » (huiles de palme et de soja). Miser aujourd’hui sur la restructuration de l’industrie de l’huile d’arachide équivaudrait à prendre du retard par rapport à nos potentiels concurrents, plus soucieux de suivre les tendances du marché mondial auxquelles nous ne saurions échapper, sauf à opter pour l’autarcie.

Sur le marché intérieur, il nous semble peu productif de servir en priorité l’industrie locale d’huilerie en graines, si l’on sait que le produit fini, peu compétitif à l’export, sera en concurrence sur le marché local avec les autres huiles végétales importées. Pour ce qui concerne l’Etat, la question (exportation ou transformation locale) devrait être examinée sous l’angle de la réorientation stratégique de la SONACOS vers des huiles à fort potentiel ; elle a déjà expérimenté par le passé l’importation et le raffinage de l’huile de soja avant l’ouverture totale du marché aux importateurs. Les déclarations au sommet se suivent et ne se ressemblent pas. Autant le président de la République semble jouer l’équilibre de traitement entre nos huiliers et l’exportation des graines, autant le ministre chargé de l’Agriculture a tendance à poser le problème sans précaution de style. C’est ainsi qu’il déclarait récemment à la presse ce qui suit : « Certes 1 500 emplois seraient menacés dans les huileries (en cas de non approvisionnement), mais « il y a un million de producteurs qui sont contents ». A notre sens, la finalité de la transformation agro-industrielle est qu’à terme, elle puisse entraîner une transformation structurelle de l’économie tout entière. Une industrie de transformation non compétitive à l’export et subissant une forte concurrence sur son marché intérieur depuis près de 20 ans doit, à notre avis, être remise en question.







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