Emmanuel Macron, devant les 250.000 morts au Mémorial de Kigali, dit espérer « le don du pardon », tout en refusant de présenter les excuses de son pays. Évitant à tout prix le mot « complicité », c’est presque avec soulagement qu’il revendique « les lourdes et accablantes responsabilités » servies par le rapport Duclert.
Notons ici trois choses. La première des foutaises est cette latitude dont dispose l’État coupable dans la manifestation de la vérité. Il s’arrange pour verrouiller les archives compromettantes durant de longues décennies. Au cours desquelles, la manœuvre est de faire tomber les victimes dans l’oubli, tout en détruisant les plus dangereuses archives. Quand elles sont proclamées ouvertes, au moins 50 ans après le dernier élément du dossier (27 ans, exceptionnellement, pour le cas du Rwanda), les archives sont déjà vides.
La deuxième chose est le ridicule qui entoure tous ces soi-disant efforts de réconciliation, d’apaisement des mémoires. Le respect des morts n’y a pas sa place, la douleur des ayants droit non plus. Tous les termes sont fixés par l’État coupable : « Je ne vais pas m’excuser, mais vous allez me pardonner. » Telle est l’injonction, qui signifie ceci : « N’en faites pas trop, réjouissez-vous déjà que nous, un si grand État, fassions acte d’humilité devant vous dont vos vies n’ont jamais rien valu. »
La dignité des morts ne sera ainsi jamais restaurée. À la place d’une reconnaissance franche et sincère, leur bourreau leur sert, avec légèreté, un débat creux sur le choix des mots. S’avouer « lourdement responsable » ; se refuser d’être « complice » de tueurs à qui l’on a donné les armes, l’argent et les renseignements. Invoquer le « don de pardon » ; pour ne jamais prononcer le mot « excuses ». Autant de tergiversations laissant intacte la vérité : nous sommes en face d’un État orgueilleux, méprisant, incapable d’assumer ses responsabilités. Parce qu’ayant la faiblesse de croire qu’être grand, c’est passer le temps à se mentir. Pour sauver les apparences, et son mythe d’État civilisé, civilisateur.
La dernière chose, tout aussi révélatrice de la mentalité de l’Occident face à ses crimes contre l’humanité, vient de cet empressement à signifier que même si le mot « excuses » est prononcé, il n’ouvre la voie à aucune réparation juridique. Impensable pour la France, impossible partout ailleurs. Aux États-Unis, dans le U.S. Senate Congressional Resolution 26 de 2009, il est écrit : « Nothing in this resolution serves as a settlement of any claim against the United States. »
En Allemagne, où le ministre des affaires étrangères Heiko Mass vient de reconnaître, après 117 ans de déni, les génocides contre les Herero (au moins 60.000 morts) et les Nama (au moins 10.000 morts), la formule est la même : « pas de demande légale d’indemnisation possible ». À la place, en bon seigneur, l’Allemagne « va offrir, sur une période de trente ans, 1,1 milliard d’euros aux descendants des victimes ». L’État génocidaire est son propre juge. Il se fixe sa propre peine et nous dit d’aller nous faire voir où nous voulons si nous ne sommes pas contents.
À travers ces crimes avoués à demi-mot, ces « concessions » insultantes, ces coups de communication, l’Occident démontre son inconfort avec l’idée que des Africains ou autres victimes dites « du Sud » puissent se prévaloir d’une humanité, de droits et de respect de ces droits. Il ne réalise pas que chaque vie de chez nous équivaut à une vie de chez lui. Et que dans notre combat pour la justice et la dignité, nous ne sommes pas déterminés par ses humeurs, ses mensonges, son timing, ou ses volontés.
Les excuses, elles viendront. Tôt ou tard. Les réparations suivront également. Tôt ou tard. Ce sont nos droits, notre dignité. Et nous ne sommes pas en train de les quémander.
Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye est ancien Enfant de Troupe du Prytanée Militaire de Kadiogo (Burkina Faso). Diplômé en droit de Sciences Po Paris et de Panthéon-Assas, il est l’auteur du blog Assumer l’Afrique.