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Refuser Un Avion PrÉsidentiel, C’est Manquer De Respect Au SÉnÉgal

Refuser Un Avion PrÉsidentiel, C’est Manquer De Respect Au SÉnÉgal

Etonné par la polémique qu’a suscitée un communiqué du gouvernement du Sénégal annonçant la réception, le 16 juillet 2021, d’un nouvel avion de commandement acquis par l’Armée sénégalaise, un ami, paysan de Birkilane, O. Guèye, m’interpella : «Dis-moi, est-ce que si Macky Sall quitte le pouvoir il va emporter l’avion avec lui ?» «Bien sûr que non!», lui répondis-je tout en ajoutant : «Est-ce que Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade avaient emporté l’avion de commandement à leur départ ?» Mon interlocuteur de renchérir : «Justement, si Léopold Sédar Senghor comme Abdou Diouf et Abdoulaye Wade avaient le droit de disposer d’an avion, pourquoi Macky Sall n’aurait-il pas le même droit ?» Ainsi, je lui soulignais que jamais depuis l’indépendance, un chef d’Etat du Sénégal n’était resté sans avoir à sa disposition un avion de commandement. Faudrait-il alors commencer avec Macky Sall ? O. Guèye : «Il ne saurait en être question, surtout que le Sénégal est devenu plus riche et plus moderne entretemps.» Je le chambrais alors un peu : «Peut-être que le président Sall pourrait faire de «l’avion stop» pour ses déplacements, demandant par exemple à ses homologues de la Gambie ou du Mali ou de la Mauritanie ou du Niger ou de la Guinée-Conakry ou même du Cap-Vert ou de Côte d’Ivoire, de l’emmener à l’occasion.» O. Guèye : «Ne me dis pas que ces chefs d’Etats ont déjà des avions ?» Moi: «Bien sûr qu’ils en ont et parfois plusieurs !» C’en était déjà assez pour provoquer la colère de mon ami, qui fulmine : «Comment des personnes instruites peuvent-elles alors essayer de défendre l’argument que le Sénégal ne devrait pas acheter un avion de commandement pour remplacer un avion qui ne peut plus voler en sécurité ?»

Amadou Karim Gaye, ancien ministre de Senghor, disait «qu’on ne fait pas d’économie avec la sécurité»

Au tout début de l’indépendance du Sénégal, Léopold Sédar Senghor faisait ses déplacements internationaux par divers moyens. Si pour les vols domestiques et de voisinage, il pouvait utiliser des aéronefs de l’armée sénégalaise, il se voyait contraint souvent de prendre les vols commerciaux de Air France et de transiter par Paris, afin de poursuivre ses longues pérégrinations. A partir de Dakar, plusieurs sièges étaient réservés et laissés vides de passagers. Il arrivait aussi que la compagnie nationale française lui loue un avion. Cette situation ne manquait pas d’incommoder le président Senghor. Finit-il par «faire de nécessité loi». Il acheta de Air France un avion en seconde main, de marque Lockheed Super Constellation. Cet avion baptisé «La flèche des Almadies», montra très rapidement des avaries et inquiétait les autorités sénégalaises quant à la sécurité du chef de l’Etat. Un ancien membre du gouvernement témoigne qu’un jour, on a vu l’avion décoller avec une nuée de fumée noire et le ministre Amadou Karim Gaye, connu pour sa sagesse et son sens de la formule, dit dans un souffle : «On ne fait pas d’économie avec la sécurité.» Mais le président Senghor, philosophe ou assuré par on ne sait quelle veine ou quel génie protecteur, restait le seul à avoir confiance en son avion, qui était entretenu et piloté par un équipage mis à disposition par la compagnie Air France. C’est en 1971 que «La flèche des Almadies» sera remplacée par un avion Caravelle, toujours d’occasion, acheté encore auprès d’Air France. Le commun des Sénégalais continuait d’appeler cet appareil «La flèche des Almadies». Le Président Senghor n’avait pas jugé nécessaire de lui donner un nom de baptême. L’aéronef sera utilisé jusqu’en 1984, mais en 1978 le Sénégal s’offrit un Boeing 727 baptisé la Pointe de Sangomar. Le président Senghor voulait rester fidèle à sa Caravelle, mais il se fera forcer la main par son gouvernement, encouragé par son entourage proche.

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Pour la petite histoire, ce furent Moustapha Niasse (actuel président de l’Assemblée nationale) et Cheikh Lèye qui arrivèrent à négocier, avec une compagnie américaine de leasing, un avion qui était préparé et initialement destiné à Singapour. Ce sera donc la Pointe de Sangomar ! Cet avion sera exploité jusqu’en 2011 et le président Abdoulaye Wade décida de changer d’avion de commandement, surtout que les avaries se multipliaient, comme ce grave incident de vol survenu en 2007, au-dessus de l’Espagne, contraignant l’appareil à un atterrissage d’urgence, après qu’une vitre du cockpit fut brisée. Ainsi, le Sénégal acheta à la France, le 1er mars 2011, pour la somme de 32 millions d’euros, un avion Airbus 319 qui avait été opéré pour le transport du président de la République française et des autorités gouvernementales. Cet appareil sera baptisé la Pointe Sarène.

Les misères de Macky Sall

L’appareil était déjà vieux de 11 bonnes années quand le régime du président Wade l’achetait. C’est dire que la Pointe Sarène montrait ses limites et multipliait les arrêts pour se faire bichonner. Le Président Wade, qui avait un agenda international fort chargé, se mettait ainsi à louer des avions à chaque fois. La facture a pu monter à plus de 12 milliards de francs Cfa pour un seul exercice budgétaire, et les partenaires financiers du Sénégal ne manquaient pas de râler. Arrivé au pouvoir en 2012, Macky Sall hérita de la Pointe Sarène. Il se coltina cet avion pendant tout son premier septennat, non sans provoquer quelques frayeurs pour son entourage. Et les arrêts pour réparations techniques de l’avion devenaient de plus en plus fréquents. Cette situation handicapante se révéla assez dommageable pour la diplomatie sénégalaise. On se rappelle par exemple qu’en septembre 2015, Macky Sall, président en exercice de la Cedeao, a été bloqué à Dakar pendant plus de deux jours avant de trouver un avion pour rallier Ouagadougou afin de dénouer en urgence la crise consécutive à un putsch militaire, conduit par les éléments du Groupement de sécurité présidentielle du Général Diendéré. Macky Sall qui était attendu à Ouagadougou avec son homologue béninois Yayi Boni, prendra son mal en patience jusqu’à pouvoir mobiliser un avion affrété par la Royal Air Maroc (Ram) afin de pouvoir rallier la capitale du Burkina Faso. L’avion était pris en location mais les autorités marocaines avaient tenu à mettre beaucoup de délicatesse dans l’opération. La Ram avait cloué au sol ce Boeing 737-800 dernière génération, pendant deux jours, afin de pouvoir le re-configurer aux standards d’un vol présidentiel. On peut bien deviner qu’il sera encore nécessaire de consacrer du temps pour le retransformer en avion commercial, à la fin de ce vol spécial. Le Commandant Benani, qui transporte Sa Majesté le Roi Mohamed VI lors de ses grands déplacements, avait été assigné à ce vol. Aussi, la Ram avait pris le soin de mettre, dans le personnel de bord, des citoyens sénégalais pour servir leur chef d’Etat. Il faut dire que le président Sall avait, à cette occasion, été poussé à décliner l’offre du président Ouattara de lui prêter un Grumman de la flotte aérienne présidentielle ivoirienne, riche de cinq aéronefs. Des conseillers du Président sénégalais lui disaient de ne surtout pas atterrir à Ouagadougou avec un avion ivoirien, dans le contexte où la Côte d’Ivoire était accusée d’entretenir les querelles politiques au Burkina Faso.

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Le président Macky Sall, qui veillait scrupuleusement sur les coûts de ses déplacements internationaux jusqu’à faire contrôler dans les détails les frais d’assurance, de stationnement et de dépenses en kérosène de son avion de commandement, supportait difficilement de consacrer des dépenses de l’ordre de 4 milliards de francs par an en location d’avions. Encore qu’il n’ait toujours pas des avions disponibles pour ses voyages décidés dans l’urgence ou qu’il ne pouvait trouver des appareils dignes du statut d’un chef d’Etat. Le coût de location des avions tournait autour de 15 mille à 18 mille euros de l’heure, soit 10 millions à 12 millions de francs Cfa. Encore qu’à bord de certains appareils, le chef de l’Etat ne pouvait avoir une certaine intimité, pour ne pas dire qu’il ne pouvait tenir une certaine distance avec les autres membres de sa délégation. Le chef d’Etat du Sénégal devrait-il rester à la merci de ses pairs pour se voir prêter un avion pour lui permettre de pouvoir remplir ses obligations diplomatiques ? Ce serait insulter le Sénégal que de le ravaler à ce niveau ! Ou devrait-il risquer sa sécurité en affrétant des coucous ?

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Quand un avion est loué, la responsabilité technique incombe à la compagnie de location. Quelle garantie pourrait-on avoir sur la fiabilité technique d’un appareil loué ? C’est également le loueur qui fournit son personnel de bord. Quelle garantie de sécurité dispose un chef d’Etat dans ces conditions ? Ne pourrait-il pas faire l’objet d’espionnage ou même d’une tentative d’atteinte à sa sécurité physique. On a pu voir des personnels qui parlaient une langue d’Europe de l’Est et ne comprenaient un traitre mot de français ou d’anglais, affectés à bord d’avions loués par le Sénégal pour transporter le président Sall. Est-ce que ces personnels étaient aussi «innocents» qu’ils paraissaient ?

De toute façon, un avion de commandement est exploité par l’Armée nationale et le chef d’Etat est transporté et reste aux mains des militaires de son pays. C’est sans doute un gage de sécurité nationale.

Le président Macky Sall a donc fait le choix fort légitime (on ne le dira jamais assez) de passer commande d’un avion. Fallait-il acheter un coucou de seconde main comme le Sénégal avait l’habitude de le faire ? Tous les spécialistes de l’aéronautique déconseillent d’acheter un avion d’occasion pour en faire un avion de commandement car il peut toujours y avoir des vices cachés. Aussi, les coûts de réparation et d’entretien d’un vieil aéronef se révèlent plus onéreux que l’achat d’un appareil neuf.

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Au demeurant, le président Macky Sall a fait le choix de gestion d’éviter, autant que possible, d’acheter des matériels et des équipements d’occasion. Il dit toujours n’avoir pas le complexe de chercher le meilleur pour son pays. C’est ainsi que le gouvernement du Sénégal avait décidé en 2018 de remplacer la Pointe Sarène par un appareil neuf, un avion Airbus A 320 Néo. Les négociations avaient été conduites par les autorités militaires et le prix d’acquisition arrêté à la somme de 57 milliards 447 millions de francs Cfa, payable sur les budgets des années 2019, 2020 et 2021. Le Sénégal avait pu négocier un tel prix, grâce à son respectable carnet de commande auprès d’Airbus. Cela a aussi permis de pouvoir obtenir dans le package du contrat, la construction d’un hangar pour garer l’avion. Le contrat d’achat de l’avion a été signé avec Airbus le 14 juin 2019 et le contrat d’équipement et d’aménagement de la cabine a été conclu avec Amac Aero Space le 28 octobre 2019. Le gouvernement avait en effet acheté d’autres appareils du même type pour le compte de la compagnie Air Sénégal. Serait-il besoin de rappeler que ces dépenses inscrites au budget du ministère des Forces armées avaient été régulièrement approuvées, à l’unanimité, par les députés de l’Assemblée nationale, à chaque session budgétaire ? Il peut alors paraître étonnant d’entendre des cris d’orfraie lancés par des députés de l’opposition, après le communiqué du gouvernement annonçant la réception prochaine du nouvel avion présidentiel. Dans le même temps, le Sénégal a acquis plus de dix nouveaux avions sur le budget de l’Etat et cela n’a l’air de déranger personne. Mais il a fallu qu’on parle d’un avion présidentiel pour faire crier au scandale. Est-ce à dire que le confort, la sécurité et la tranquillité du chef de l’Etat qui s’appellerait Macky Sall, ainsi que de ses collaborateurs, ne devraient pas être assurés ? Il est bien heureux que pour une fois, personne n’a eu le culot de parler de surfacturation ou de détournement présumé de deniers publics. Les prix catalogués d’Airbus montrent bien qu’un tel type d’avion, le plus moderne et le plus sûr sur le marché mondial de l’aéronautique, sont supérieurs au prix auquel le Sénégal a acheté cet avion présidentiel et avec, à la clé, des paiements échelonnés. On voit bien que l’acquisition d’un avion présidentiel est amplement justifiée, à moins qu’on ne veuille tomber dans une hystérie de la critique qui serait que tout acte de gouvernement est systématiquement jugé comme négatif.

Au demeurant, l’enjeu restera que le gouvernement devra en faire une utilisation conforme aux principes et règles de la République. Un avion de commandement, une lubie ou un indispensable outil ? La sécurité d’un chef d’Etat a-t-elle un prix ?







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