Jeter une pierre pour atteindre deux cibles, c’est ce qu’a réussi avec brio l’Etat du Sénégal à travers son administration de l’économie et des finances, qui ont piloté l’Eurobond 2021.
En effet, la nouvelle émission Eurobond (obligations souveraines) portant sur 775 millions d’euros, soit 508 milliards de F Cfa, avec un taux d’intérêt fixe de 5,375% sur une maturité finale de 16 ans, permet de donner à l’Etat les moyens de financer sa participation dans les méga projets pétroliers et gaziers en même temps refinancer le stock actuel de la dette avec des taux allongés, c’est-à-dire des paiements de services de la dette et des emprunts plus souples.
La vraie prouesse de l’administration des finances c’est d’avoir réussi à aiguiser l’appétit des gestionnaires de l’épargne mondiale sur nos titres de créance dans cette période de pandémie, marquée par une récession mondiale et une reprise d’activité timide en Afrique au Sud du Sahara. Bravo donc au duo ministre des Finances et ministre de l’Economie.
Pour rappel un «Eurobond» (ou une «euro obligation») est une obligation (titre de créance) libellée dans une devise étrangère, c’est-à-dire dans une monnaie autre que celle où réside l’émetteur pour le cas du Sénégal, c’est l’euro, devise sur laquelle le franc Cfa est adossé. Contrairement à ce que peuvent suggérer leurs noms, les Eurobonds sont principalement libellés en dollar des Usa. Toutefois, il est à noter que ces obligations sont principalement cotées sur les places financières européennes.
En Afrique de l’Ouest, 5 pays ont déjà émis des Eurobonds : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal. Avant le Sénégal, deux pays ont particulièrement bien réussi à solliciter des fonds importants auprès des investisseurs institutionnels : la Côte d’Ivoire a émis un Eurobond d’1 milliard d’euros sur un carnet d’ordres de 5 fois le montant recherché avec un coupon de 4,875% pour une maturité de 11,2 ans, puis le Bénin qui a levé, mi-janvier, 1 milliard d’euros à travers deux tranches dont l’une de 11 ans pour 700 millions d’euros au taux de 4,875% et la seconde de 31 ans pour 300 millions d’euros au taux de 6,875%.
Au vu de cela, le Sénégal semble avoir bien tiré son épingle du jeu surtout en termes de fonds levés. Les gestionnaires de fonds, banques et investisseurs intentionnels, voulaient nous prêter beaucoup plus, avec des échéances d’amortissement sur une période de 16 ans, ce qui est soutenable pour le Sénégal, surtout si l’exploitation du pétrole et du gaz se matérialise et que nous parvenions à relancer notre économie en retrouvant les taux de croissance d’avant la pandémie. Pour ceux qui veulent précipiter l’avènement de l’Eco, peut-être les Eurobonds constituent déjà un argument à leur opposer. En effet, les obligations libellées en euros permettent à nos Etats de mitiger le risque de change et c’est un avantage non négligeable dans ce genre d’exercices si nous voyons le casse-tête que peut constituer la volatilité dans le marché des changes pour des pays comme le Nigeria et surtout l’Argentine.
Toutefois, le bol d’oxygène que peuvent représenter les Eurobonds n’aura pas les effets bénéfiques sur le long terme pour nos pays, surtout avec les taux élevés auxquels nous sommes sollicités et levons des fonds sur les marchés financiers. En Europe et en Amérique du Nord, des pays avec les meilleurs profils comme l’Allemagne et la France et dans une certaine mesure le Canada et le Japon peuvent lever des fonds avec des taux d’intérêt négatif. Dans tous les cas, les obligations sur 10 à 30 ans ne dépassent jamais 1,46% alors que c’est plus de 300 à 500 points de base pour des pays en Afrique au Sud du Sahara comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. C’est trop.
Ainsi, pour le Sénégal sur les 508 milliards de F Cfa levés au taux d’intérêt fixe de 5,375%, c’est une somme de 60 milliards au minimum qu’il faut ajouter au montant initial de la dette aux termes de 16 ans de paiement. Cela veut dire qu’un emprunt de 508 milliards coûtera aux contribuables après 16 ans de services de la dette, 570 milliards de F Cfa minimum. Ce qui est énorme, illicite et même usuraire. Il faut urgemment poser le débat au niveau des instances internationales sur les taux élevés des Eurobonds et leur soutenabilité dans un contexte de fragilité des relances économiques imposées par la pandémie du Covid-19. En attendant, nos Etats devraient mettre l’accent sur le concessionnel où les taux dépassent rarement et exceptionnellement 2%. L’Afrique a besoin d’un new deal en termes de taux obligataires.
Moustapha DIAKHATE
Ex Cons. spécial Premier ministre
Consultant et Expert